Intervention de Franck Montaugé

Réunion du 25 mars 2021 à 14h30
Veolia-suez : quel rôle doit jouer l'état stratège pour protéger notre patrimoine industriel — Conclusion du débat

Photo de Franck MontaugéFranck Montaugé :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de ce débat proposé par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, il me revient de conclure en tirant les enseignements des arguments formulés.

Comme cela a été dit, le silence assourdissant du Gouvernement tout au long des développements de l’affaire Veolia–Suez ne manque pas de susciter des interrogations. Il s’agit en effet de deux entreprises françaises, leaders dans le domaine de la gestion de biens communs comme l’eau, qu’elles ont contribué à développer, qui sont capables d’œuvrer également avec excellence dans les secteurs qui dessinent le monde de demain.

Plus largement, la question que pose cette affaire, comme d’autres affaires qui ont déjà défrayé la chronique, souvent quand il était trop tard pour les salariés et les territoires alors concernés, est de savoir quel rôle l’État français doit jouer auprès des entreprises françaises évoluant dans une économie de marché ouverte à la mondialisation, qu’il s’agisse pour l’État d’un patrimoine industriel dont il est pour partie détenteur, ou d’actifs considérés comme stratégiques sans qu’il en soit propriétaire.

Quels sont aujourd’hui, hors situation de crise comme celle que nous vivons, les enjeux qui justifient que l’État prenne part au capital d’une entreprise – et à quel niveau ? – ou qu’il use de son influence pour sauver des actifs stratégiques ?

De notre débat, il ressort que les enjeux à prendre en compte ont trait à l’emploi et à ses conséquences territoriales, à l’impact environnemental et à la soutenabilité du secteur économique concerné, à la compétitivité des entreprises dans un monde où les chaînes de valeur ont été décomposées à l’extrême, rendant souvent difficiles leurs relocalisations.

Surplombant ces trois enjeux, la souveraineté nationale doit être en permanence notre boussole. Ce concept de souveraineté nationale doit être précisé par l’exécutif, débattu et évalué par le Parlement, peut-être dans le cadre d’une loi-cadre ou d’une loi d’orientation, monsieur le ministre.

L’affaire Veolia–Suez soulève à l’évidence des enjeux sociaux, économiques et environnementaux considérables pour notre pays. Or, depuis la sortie d’Engie du capital de Suez, qui a très vite suivi la non-reconduction de Mme Kocher et l’enclenchement de l’OPA hostile de Veolia, nous constatons un silence radio, ou presque, de la part du Gouvernement.

Monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement au sujet de ces deux grandes entreprises et de leurs actifs, que nous considérons comme stratégiques, compte tenu de leur importance sur les plans national et international ? Vous avez certes répondu à cette question, mais il y en a d’autres.

Par exemple, le Gouvernement considère-t-il que l’entrée de fonds de pension américains avides de rendements élevés et rapides au capital de Suez est un gage de consolidation de son capital et de stabilité à long terme pour ses développements futurs ?

Quels sont les objectifs et les déterminants de la politique actionnariale et d’influence de l’État français en ce qui concerne les entreprises françaises à forts enjeux ?

Quel sens donnez-vous au concept d’« État stratège » auquel, monsieur le ministre, vous vous référez si souvent ?

Vous ne pouvez pas invoquer le principe de concurrence ou de liberté des acteurs quand il y va de l’intérêt général, des territoires par exemple. Sans parler de la souveraineté nationale en matière industrielle – c’est essentiel, comme on le sait plus encore en 2021 qu’en 2019 –, qu’il s’agisse de santé, de climat, d’énergie, de défense, d’alimentation, et – je l’ajoute – de culture, tant la question démocratique en dépend de plus en plus par l’entremise du numérique.

Dans chacun de ces domaines, et dans le cadre de politiques publiques de long terme, clairement explicitées et débattues, évaluées in itinere, le Parlement a un rôle éminent à jouer.

Dans un monde en évolution rapide et profonde, au-delà de la médiatisation de quelques moments de crise à propos de telle ou telle entreprise en difficulté, ou du vote du compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État », dont nous ne cessons de dire, loi de finances après loi de finances, qu’il est très réducteur et peu clair, nous devons, nous parlementaires, engager avec les gouvernements un dialogue régulier, fondé sur l’intérêt général et national, autrement dit le temps long, et à l’aune des enjeux de l’emploi, de la compétitivité et de la soutenabilité que j’évoquais il y a quelques instants.

Nous en sommes loin. Le Gouvernement, les gouvernements doivent prendre leurs responsabilités et cesser de s’abriter derrière le fait accompli ou le non-dit qui laisse place à toutes sortes d’interprétations.

Il faut se le dire, il n’y aura pas de développement soutenable demain et, donc, de planète Terre vivable pour nos enfants si nous n’instaurons pas un autre rapport au temps, à la durée. Cela donne une responsabilité majeure aux États, censés être les garants du temps long.

Le Gouvernement ne peut pas se comporter uniquement en banquier d’affaires.

Si, dans l’opinion et chez les élus, les choix du Gouvernement semblent reposer sur des arrière-pensées non assumées, c’est l’intérêt national, qui a toujours une dimension locale, qui est amoindri. Or, dans une démocratie républicaine comme la nôtre, c’est inacceptable !

Il est grand temps que le gouvernement français donne une consistance à son concept d’« État stratège », qu’il discute et explicite sa politique actionnariale et sa politique publique d’influence économique.

Une planification stratégique adaptée aux temps nouveaux devrait en résulter. Je ne crois pas me tromper en disant que la Chambre haute est prête à y apporter sa contribution. Ce débat de contrôle l’a amplement démontré. Je remercie d’ailleurs tous les groupes qui se sont exprimés.

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