Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 25 mars 2021 à 14h30
Protection des mineurs contre les crimes et délits sexuels et l'inceste — Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Éric Dupond-Moretti :

Je le sais et je l’ai déjà dit, si le sujet qui nous occupe aujourd’hui suscite les passions et sans doute beaucoup d’émotions légitimes, cette passion et ces émotions ne peuvent, en matière pénale, être nos seules guides. La passion et les émotions sont souvent mauvaises conseillères comme en témoignent les suggestions de toutes sortes, qui visent à renverser la charge de la preuve – pourquoi pas ? –, à prévoir des peines plus lourdes que pour le meurtre – pourquoi pas ? –, ou encore l’imprescriptibilité pour ces faits – pourquoi pas, là encore ?

Je le dis solennellement, il est de notre devoir d’aborder cette question en responsabilité pour que la réponse juridique soit à la hauteur de l’attente des victimes que nous savons grande. Rien ne serait pire que de les décevoir en adoptant un dispositif bancal ou même contraire à notre Constitution.

C’est pourquoi je me félicite que votre commission des lois ait voté en conscience ces avancées historiques tout en poursuivant le travail d’enrichissement du texte. Je ne doute d’ailleurs pas que la poursuite de nos débats nous permettra d’aboutir sur les tout derniers points restant en discussion.

Le travail de pédagogie en direction de nos concitoyens est immense. C’est pourquoi il nous faut être concrets. Quels seront les effets de ce texte dans notre droit pénal ? Comment renforcera-t-il la protection des enfants face aux violences sexuelles commises par des adultes ? C’est à ces questions qu’il nous faut répondre clairement.

Tout d’abord, aucun adulte ne pourra se prévaloir du consentement d’un mineur de 15 ans. Le texte prévoit d’ajouter de nouvelles définitions au crime de viol et au délit d’agression sexuelle, qui permettent d’exclure du débat judiciaire la question du consentement du mineur.

Je l’ai dit, nos exigences constitutionnelles doivent être prises en compte. C’est pourquoi il nous faut garantir la proportionnalité de la répression, qui tend vers une criminalisation automatique de nombreuses situations. C’est la prise en compte de l’écart d’âge de cinq ans qui permet de protéger les amours adolescentes. Parce que, qu’on le veuille ou non, nos adolescents ont une sexualité ! Parce que c’est la vie, parce que c’est leur vie ! Ne devenons pas les censeurs de leur vie sentimentale…

J’ai entendu les débats houleux – qui découlent peut-être de mauvaises informations – autour de cet écart d’âge, mais, là encore, il nous faut être clairs : l’instauration de cet écart d’âge n’a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de protéger des délinquants sexuels au bénéfice de leur jeune âge.

Par ailleurs, tout en instaurant une loi pénale plus forte qui, en vertu de nos principes constitutionnels, ne s’appliquera que pour l’avenir, il nous faut maintenir un niveau très élevé de protection pour toutes les victimes de faits commis avant l’entrée en vigueur de cette loi nouvelle.

Ainsi, les dispositions issues de la loi de 2018 continueront de s’appliquer.

Le viol et l’agression sexuelle avec violence, contrainte, menace ou surprise, sont évidemment maintenus. De même, le délit d’atteinte sexuelle ne sera pas supprimé, afin notamment de sanctionner des faits qui ne tomberont pas sous le coup des nouvelles qualifications, mais aussi de continuer de réprimer les faits commis avant la réforme. Il n’est en effet pas envisageable de laisser sur le bord de la route les victimes passées d’abus sexuels commis par des majeurs, et d’adopter une réforme qui aurait pour conséquence d’amnistier les auteurs de ces actes.

Autre avancée majeure, les viols incestueux et les agressions sexuelles incestueuses seront désormais définis de manière autonome dans le code pénal et protégeront tous les mineurs : le seuil d’âge est ici fixé à 18 ans. Les ascendants sont nécessairement visés par le viol incestueux et l’agression sexuelle incestueuse. L’oncle, la tante, le grand-oncle et la grand-tante, les neveux, nièces, frères et sœurs, les conjoints de ces derniers, les beaux-pères ou les belles-mères exerçant une autorité de fait ou de droit sur le mineur seront évidemment concernés.

Pourquoi dès lors introduire la notion d’autorité de droit ou de fait dans le cadre des nouvelles incriminations incestueuses ? C’est parce que, en dehors des ascendants, nous ne pouvons pas, automatiquement et sans individualisation, criminaliser la relation sexuelle en raison de liens de sang.

Dans ces cas, il nous faut faire confiance au discernement et à l’appréciation des situations par les procureurs et par les juges. Vous les rencontrez régulièrement dans le cadre de vos travaux parlementaires, et vous connaissez leur engagement malgré la difficulté de leur mission : ils sont confrontés tous les jours à l’indicible et à l’inaudible, et ils savent distinguer ce qui relève de la loi pénale.

Je souligne avec force devant vous l’avancée réalisée en matière de relations incestueuses entre un majeur et un mineur puisque, désormais, les tribunaux n’auront plus à rechercher la violence, la contrainte, la menace ou encore la surprise.

Autre évolution majeure, dans les situations où un même auteur réitère des crimes ou délits sexuels sur plusieurs victimes, je m’étais engagé à proposer un dispositif garantissant un traitement judiciaire égalitaire pour toutes les victimes.

Les travaux normatifs nous ont conduits à instaurer un régime de prescription spécifique protégeant les mineurs. Le mécanisme de prescription prolongée, qui permet de faire bénéficier toutes les victimes de la prescription la plus longue, est complété par un autre mécanisme permettant d’interrompre la prescription de tous les crimes par la plainte de la dernière victime. Ainsi, même si le dernier crime n’est finalement pas poursuivi faute de preuves, ou s’il fait l’objet d’un acquittement, les autres crimes révélés grâce à ce dernier crime pourront tout de même être jugés.

Enfin, je l’ai évoqué au début de mon propos, la situation des mineurs victimes de prostitution est bien prise en compte. Désormais, grâce aux nouvelles incriminations, tout majeur de 18 ans qui rémunère une relation sexuelle avec un mineur de 15 ans commet un viol puni de vingt ans de prison ou un délit d’agression sexuelle puni de dix ans de prison.

Je salue ici, madame la rapporteure, l’introduction d’une précision souhaitée par votre commission, qui complète le texte en incluant, non seulement la relation sexuelle rémunérée, mais également la promesse de rémunération, la fourniture d’un avantage en nature ou la promesse d’un tel avantage. Cette disposition contribue à renforcer véritablement la protection de nos mineurs.

C’est dans ce même esprit que votre commission a autorisé l’extension du nouveau délit de « sextorsion » à tous les mineurs de 18 ans.

Vous le voyez, le texte qui vous est présenté aujourd’hui, loin d’être un mauvais texte, comme j’ai pu le lire, comporte des avancées inédites sur de nombreux aspects de la protection que nous devons à nos mineurs face aux violences sexuelles qu’ils subissent. L’ambition historique qu’il porte nous permettra de dire solennellement aux victimes : il y aura un « avant » et un « après » cette loi.

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