Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaiterais commencer l’intervention que je m’apprête à prononcer au nom de mon groupe par un hommage : un hommage aux victimes qui ont eu l’énergie et le courage de parler, un hommage aux associations qui se sont battues depuis tant d’années, un hommage aux parlementaires, Annick Billon, mais aussi Laurence Rossignol, Michelle Meunier, Isabelle Santiago. La société civile, celle-là même que l’on désigne parfois par des termes un peu péjoratifs, a fait que la société a bougé, et elle a fait que nous, parlementaires engagées depuis longtemps sur ces sujets, avons pu trouver du soutien pour faire avancer cette cause.
Mais le combat a été long et, y compris dans cet hémicycle, les voix de ceux qui l’ont mené n’ont pas toujours été entendues. Nous avons débattu de ce sujet un nombre incalculable de fois depuis que je suis élue, c’est-à-dire depuis 2017. Plusieurs textes de loi ont été examinés, et des propositions ont été faites, y compris par les socialistes, y compris sous forme d’amendements à la proposition de loi dont l’examen nous occupe aujourd’hui.
Voilà peu, le 21 janvier, nous avons proposé le seuil d’âge de non-consentement à 15 ans – rejeté. Nous avons proposé qu’il soit fixé à 18 ans en cas d’inceste – rejeté. Nous avons proposé la prescription dite glissante ; elle a été approuvée par cette assemblée et le garde des sceaux, à l’époque, a manifesté son intérêt et indiqué qu’il souhaitait y retravailler.
Si je souligne ce point, c’est pour montrer que, lorsqu’on est parlementaire, il faut beaucoup d’obstination – nous n’en manquons pas –, mais que, pendant ce temps, les victimes ne sont pas protégées. Nous pouvons voir les choses positivement : il a donc fallu que les semaines passent pour qu’en définitive chacun se rende à la raison et décide de soutenir les propositions qui furent les nôtres.
Soyons donc optimistes, ou plutôt positifs, et notons les progrès accomplis ; ils sont incontestables. Un grand nombre de mesures de ce texte doivent être retenues et saluées.
Plusieurs dispositions, néanmoins, nous posent problème.
La première concerne la question de l’écart d’âge : l’écart d’âge de cinq ans, baptisé « clause de Roméo et Juliette », permet de qualifier d’« amours adolescentes » les relations sexuelles entre un jeune de 19 ans et un jeune de 14 ans. C’est là une brèche insupportable dans la lutte contre les violences sexuelles sur les mineurs que tous nous voulons mener. Nous proposons donc la suppression de cette notion.
La deuxième difficulté que nous constatons tient à la notion d’autorité de droit ou de fait. Je pense qu’il y a une confusion sur ce sujet : l’inceste n’est pas un crime de pouvoir ; l’inceste est un interdit anthropologique. Il n’y a donc pas à prendre en considération la notion de pouvoir de droit ou de fait dès lors que l’inceste doit être sanctionné.
Enfin, monsieur le garde des sceaux, vous avez dit à juste titre que le texte protège désormais davantage la victime mineure en situation de prostitution, mais – vous l’avez précisé – sont concernés les mineurs de 15 ans. Pourquoi 15 ans ? Nous proposons que tout mineur soit protégé dans cette situation. En quoi serait-il moins grave, en effet, que ce soit un mineur âgé de 16 ans qui soit victime de prostitution ?
Nous avions proposé d’autres compléments de protection – je citerai l’obligation de signalement. Ils ont été écartés grâce à ces bonheurs de la procédure parlementaire que vous connaissez bien, mais – vous le savez – nous y tenons.
Se pose le problème de l’application de ce texte par les juridictions. Désormais nous avons, en effet, une législation extraordinairement complexe sur un sujet qui l’était déjà. Et je crains qu’il ne soit possible de s’insérer dans certaines failles ou imprécisions, les parquets et les plaignants se retrouvant en difficulté, concernant certaines infractions, pour obtenir des poursuites. Certains parquets, les parquets spécialisés, bien sûr, seront au fait. Mais tous les parquets de France ne le seront pas. Et, de ce point de vue, je pense que nous ne faisons pas œuvre de justice efficace.
À ce stade, pour l’ensemble de ces raisons, quoique nous saluions évidemment le progrès accompli, et tout en regrettant qu’il ait fallu tant de textes pour arriver à quelque chose qui s’approche d’un résultat positif, mon groupe n’a pas encore déterminé son vote final. À moins que l’écart d’âge ou la notion d’autorité de droit ou de fait, que j’évoquais, soient écartés, nous envisageons de ne pas voter pour ce texte, car nous souhaitons qu’il progresse encore, dans le cadre des échanges au sein de la commission mixte paritaire notamment.