Ces actes abjects sont autant de traumatismes pour les jeunes victimes : la vie d’un nombre important de personnes – des centaines de milliers, peut-être même davantage, dans notre seul pays –, a été abîmée, gâchée ou ruinée par des personnes qui se devaient au contraire de protéger et de faire grandir.
Rappelons que, selon un sondage, près de la moitié des victimes de viol dans l’enfance auraient fait par la suite une tentative de suicide. Nous ne le dirons jamais assez : les viols sont une honte pour notre pays et, plus largement, pour toutes les nations de ce monde qui les acceptent sans les punir.
En France, environ deux enfants par classe sont victimes d’inceste ou de pédocriminalité ; 81 % des violences sexuelles commencent avant 18 ans, la première agression survenant en moyenne à 9 ans, au moment du CM1 ! Dans 94 % des cas, elles sont commises par des proches.
Depuis des années, une prise de conscience collective s’est opérée grâce aux professionnels de la prévention, de la santé et de la répression, grâce, aussi, à une évolution des mentalités – il n’est plus interdit de tout interdire, au contraire : il est même parfois recommandé d’interdire ce qui doit l’être.
Je veux notamment saluer le travail des associations et remercier les professionnels de leur engagement – je pense à Ernestine Ronai et au juge Édouard Durand, membres du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, à Françoise Laborde, à Muriel Salmona, à tant d’autres qui ont réveillé les consciences. Les récents mouvements de mobilisation, via le hashtag #MeTooInceste notamment, ont provoqué un nombre considérable de témoignages dénonçant de tels drames. Désormais, les violences sexuelles ne sont plus tues et conservées dans le secret d’une famille ou d’une entreprise. Désormais, elles ne sont plus minimisées, et nous avons tous pris en compte leur impact traumatique. La parole des victimes s’est libérée et rien ne doit arrêter ce mouvement.
Selon le juge Édouard Durand, le passage à l’acte de l’adulte est une perversion du besoin affectif de l’enfant. En aucun cas un enfant ne peut être consentant à une relation sexuelle, et il est bien que ce texte le dise. C’est pourquoi il était important que le Parlement soit au rendez-vous ; nous le devons aux plus de 165 000 enfants violés chaque année – un abus sexuel toutes les trois minutes, et des années de graves conséquences dans la vie d’un enfant.
J’ai aussi la conviction, depuis plusieurs années, que la lutte contre les violences physiques et sexuelles dépasse nos ego et nos clivages. Je suis fière que cette proposition de loi puisse constituer, en la matière, un remarquable pas en avant, et je pense que nous pouvons être collectivement fiers d’y avoir contribué, sur toutes les travées de cette assemblée. La preuve est ainsi faite que le bicamérisme est important, et je veux saluer le travail d’Annick Billon, qui a pris l’initiative de ce texte que nous nous apprêtons à voter – je l’espère – unanimement. Merci beaucoup, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes !
Au Sénat comme à l’Assemblée nationale, grâce à nos débats, le texte a évolué et s’est profondément enrichi.
Pour autant, à titre personnel, je reste réservée sur l’infraction autonome. Je crois toujours que nous devons insister sur l’absence de contrainte et non sur l’absence de consentement, car seul l’auteur est responsable de tels actes ; jamais un enfant ne peut consentir. Une seconde voie était constitutionnelle, consistant à respecter tant le principe de la présomption d’innocence que le principe d’égalité devant la loi.
Je m’interroge aussi sur l’institution d’un écart d’âge de cinq ans permettant de ne pas criminaliser les amours adolescentes. Cette clause telle qu’elle est aujourd’hui proposée crée en effet une entorse au principe que nous tentons de défendre.
Malgré ces réserves, je suis convaincue que le texte que nous devons voter va dans le bon sens. Il répond aux préoccupations exprimées tant par le Sénat que par l’Assemblée nationale. Nos travaux ont permis de dégager un consensus sur un certain nombre de principes ; je me réjouis par exemple de l’adoption de l’amendement visant à élargir la liste des infractions entraînant une inscription dans le fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles et violentes, que Michel Savin et moi-même avions déposé, ainsi que de l’adoption de l’amendement du groupe écologiste sur les actes bucco-génitaux et de celui du groupe socialiste sur la définition du viol. Je salue également, bien sûr, nos avancées sur la prescription et celles qui ont été votées à l’Assemblée nationale, l’instauration d’un seuil d’âge de 15 ans notamment – je l’ai moi-même toujours défendu.
Il était important que la justice se focalise sur l’agresseur et non plus sur le comportement de la victime. Il est possible que l’agresseur ait utilisé la violence, la menace ou la surprise, mais il est au moins une certitude : l’enfant a toujours été contraint et l’enfant ne peut jamais consentir.
Je salue également l’institution d’un seuil d’âge à 18 ans en cas d’inceste.
Aussi, mes chers collègues, je vous invite à soutenir unanimement ce texte – je sais que tous ici l’approuveront. Albert Einstein disait : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. » En l’espèce, nous avons tous, collectivement, essayé d’agir.
Je vous le dis avec force, avec détermination, avec conviction – être engagé dans la vie publique, c’est avant tout défendre des convictions – et, si vous me le permettez, monsieur le garde des sceaux, avec aussi la passion et l’émotion qui nous animent :…