Intervention de Olivier Renaudie

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 11 mars 2021 à 9h30
Table ronde relative aux « initiatives des territoires en matière de santé » avec la participation de m. frédéric valletoux président de la fédération hospitalière de france maire de fontainebleau ; mme véronique besse et m. frédéric chéreau co-présidents de la commission santé de l'association des maires de france ; m. olivier renaudie professeur de droit public à l'université paris 1

Olivier Renaudie, professeur de droit public à l'Université Paris 1 :

Merci de votre invitation à participer à cette table ronde consacrée à ce sujet d'actualité sur lequel il y a beaucoup à dire. Les relations entre les collectivités territoriales et la santé me semblent marquées par une double ambiguïté. La politique de santé publique est aujourd'hui territorialisée, c'est le mot utilisé par le Code de la santé publique. Il y a été introduit par la loi Touraine de 2016. « Territorialisée » signifie au fond qu'elle est adaptée aux besoins de santé d'un territoire donné. Pourquoi cette territorialisation ? Deux motifs peuvent être avancés. L'inégalité dans l'accès au soin, tout d'abord, est apparue de manière criante lors de la crise sanitaire. De multiples facteurs démographiques topographiques et économiques sont à l'origine de situations contrastées. Certaines zones sont particulièrement bien dotées en personnel et en moyens sanitaires, tandis que d'autres sont qualifiées de déserts médicaux. Il est important de corriger ces inégalités par des outils locaux. S'y ajoutent les différences épidémiologiques susceptibles d'exister selon les territoires. Comme le montrent régulièrement les études menées sur le sujet, des différences peuvent porter sur le taux de mortalité ou la prévalence de certaines maladies. Elles conduisent à considérer que le lieu de résidence constitue un déterminant social de la santé, et qu'il justifie une approche sanitaire différenciée. C'est vrai en période normale. Ça l'est également en période de crise sanitaire. Dès lors qu'une territorialisation de la santé est mise en oeuvre, on pourrait penser que les collectivités territoriales en constituent les principaux acteurs. Il n'en est rien. Les territoires concernés par ce mouvement ne sont pas ceux des collectivités du même nom. Ce sont les lieux ayant été choisis par les organes centraux de l'État pour concevoir et appliquer la politique sanitaire. Autrement dit, la territorialisation de la santé est opérée non pas dans le cadre de la décentralisation, mais dans celui de la déconcentration.

Au-delà de cette ambiguïté, il en est une seconde qui mérite d'être relevé. Elle tient à ce qu'en apparence, les choses sont simples. Le Code de la santé publique affirme la politique de santé relève de la responsabilité de l'État. Deux motifs justifient cette compétence exclusive. Le premier est historique. L'évolution du secteur sanitaire est marquée par une appropriation progressive par l'État des questions sanitaires, notamment à la suite d'épisodes épidémiques. Le second, d'ordre juridique, n'est pas moins important. Selon l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946, la nation garantit à tous la protection de la Santé. C'est sur ce fondement constitutionnel qu'il revient à l'État d'assurer sur l'ensemble du territoire national l'égal accès au soin et l'égalité dans la distribution des soins.

Pour autant, la situation est plus complexe en pratique. En nous donnant la peine de voir derrière les apparences, nous ne pouvons que constater que les collectivités territoriales ne sont pas totalement exclues du champ sanitaire. La crise du coronavirus l'a confirmé. Les communes sont certainement les collectivités dont le rôle est le plus important en matière de santé. Rappelons que durant la période révolutionnaire, les questions sanitaires leur avaient été confiées. Bien sûr, leur statut d'échelon de proximité les conduit à exercer des pouvoirs en la matière. Je citerai deux compétences liées à la santé :

- au titre de ses pouvoirs de police administrative générale, le maire peut prendre toute mesure pour assurer la salubrité publique. Il lui appartient de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser par la distribution des secours nécessaires les accidents, fléaux calamiteux, maladies épidémiques ou contagieuses. C'est ce qui figure à l'article L.2212-2 du Code général des collectivités. Cependant, cette compétence est limitée par un certain nombre de polices administratives spéciales détenues par les autorités étatiques ;

- le service communal d'hygiène et de santé est placé sous l'autorité du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI), qui exerce des attributions en matière d'hygiène de l'alimentation ou de l'habitat.

S'agissant des départements, ils constituent l'échelon essentiel du dispositif relatif à l'action sociale et médico-sociale. C'est à ce titre qu'ils exercent des compétences susceptibles d'intéresser la santé. Je citerai là aussi deux exemples :

- le service de protection maternelle et infantile, dont le conseil départemental est responsable et assure le financement ;

- la compétence du Président du conseil départemental à autoriser la création de certains établissements sociaux et médico-sociaux et à gérer certains établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Les régions constituent quant à elles une ambiguïté dans l'ambiguïté. Alors même que l'échelon régional a été promu comme le cadre principal de l'action sanitaire de l'État avec les ARS, le conseil régional dispose de compétences relativement modestes en la matière. Elles s'articulent autour de deux pôles :

- la prévention sanitaire : le conseil régional peut définir des objectifs particuliers en matière de santé, élaborer des programmes de prévention et d'information de certaines maladies ;

- la formation des professionnels de santé. Il est remarquable que le conseil régional soit en charge du fonctionnement et de l'équipement d'un certain nombre d'écoles et d'instituts, dont ceux qui forment les sages-femmes ou les préparateurs en pharmacie hospitalière.

Au-delà des compétences propres de chacun de ces trois échelons, le code général des collectivités leur laisse à tous la possibilité d'attribuer des aides destinées à favoriser l'installation ou le maintien de professionnels de santé dans certaines zones.

Après avoir rappelé cette double ambiguïté, je crois nécessaire d'en sortir. Comment ? Sur la forme, il convient de réfléchir en même temps aux dimensions décentralisées et déconcentrées de la politique de santé publique. Ce serait une première. Jusqu'alors, nous avons toujours réfléchi d'un côté ou de l'autre, jamais ensemble. Sur le fond, je souhaite souligner trois éléments pour conclure.

D'abord, il convient à mon sens que le législateur stipule que la santé n'est pas une compétence exclusive de l'État, et qu'il précise le rôle de chacun. Il doit insister sur le fait qu'il existe en la matière une gouvernance, une coproduction, et que ces actions doivent être complémentaires pour être efficientes.

Il convient ensuite, organiquement ou fonctionnellement, de mieux associer les collectivités territoriales à l'action conduite par les ARS.

Enfin, je souhaite évoquer les métropoles, trop souvent oubliées. Dans le domaine sanitaire, la crise a démontré qu'elles pouvaient constituer un échelon pertinent, s'agissant de mesures telles que le confinement ou les vaccinations. J'ajoute à cela qu'en période normale, des initiatives tenant à la lutte contre les nuisances sonores ou à la qualité de l'air montrent le lien très important entre la santé et l'environnement. Voilà un duo qui mériterait d'être travaillé.

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