Intervention de Thomas Fatome

Commission des affaires sociales — Réunion du 31 mars 2021 à 9h00
Affections de longue durée — Audition de M. Thomas Fatome directeur général de la caisse nationale de l'assurance maladie

Thomas Fatome, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie :

Pour commencer, Madame la sénatrice Imbert, je voudrais vous rassurer sur le fait que le 100 % santé est une vraie marche en avant et pas un début de marche arrière. C'est un vrai plus, qui s'ajoute au dispositif des ALD, et qui répond à une limite de notre couverture collective des frais de santé sur certains soins (dentaire, optique, audio, prothèse). Il n'est nullement dans les intentions de l'assurance maladie et, je pense pouvoir le dire, du Gouvernement d'utiliser ce dispositif pour conduire à un désengagement de l'assurance maladie obligatoire.

Vous m'avez interrogé sur les conséquences tirées du rapport de la Cour des comptes de 2016. Je précise que nous avons engagé, sur cette base, un pilotage plus adapté de la gestion des ALD, en essayant de différencier entre des ALD à déclaration simplifiée, qui bénéficient d'un accord de principe du contrôle du service médical après rédaction de protocole de soin par le médecin, et des ALD à déclaration argumentée, qui reposent sur le maintien d'un contrôle a priori du service médical. Par ce dispositif, qui se déploie depuis 2016, nous avons mieux ciblé notre intervention et mieux régulé l'entrée en ALD, en étant sur une logique simplifiée pour ce qui est « évident » en termes de pathologie, et avec une démarche a priori pour des services du contrôle médical. Nous pensons que ce dispositif, même si nous avons peu de recul depuis son déploiement, est pleinement en place. Je précise par ailleurs que le dispositif à déclaration simplifiée repose sur un mécanisme de contrôle a posteriori pour s'assurer de la présence des critères médicaux d'admission et d'adéquation des prestations accordées en exonération du ticket modérateur. Près de huit ALD font l'objet d'un contrôle six mois après la date de réception du protocole de soin simplifié, qui permet de vérifier que les critères sont réunis. Les résultats de ces contrôles à six mois montrent qu'il n'y a pas de dérive dans le dispositif et que dans 90 % des cas, les critères initialement réunis sont bien présents.

Vous m'avez interrogé sur le forfait médecin traitant. Il participe d'une logique de diversification de la rémunération des médecins, notamment des médecins traitants, et de reconnaissance de leur investissement dans la prise en charge des patients en ALD. De ce point de vue, il me semble que la rémunération est adaptée à ce qui est demandé au médecin traitant, à savoir faire les démarches administratives pour l'ALD et prendre en charge ce patient chronique. Je ne crois pas à des risques de dérives, conduisant à ce que les médecins fassent plus d'entrées en ALD ou moins de sortie. Nous n'observons pas cela. Ce forfait me semble pleinement justifié.

Vous m'avez aussi interrogé sur les projections. Nous les faisons chaque année dans le cadre du rapport « Charges et produits », qui pose un diagnostic sur la photographie des pathologies chroniques et sur les projections. Les dernières portaient sur la période 2018-2023 et montraient la poursuite de la croissance des pathologies chroniques dans notre pays, notamment sous l'effet des maladies cardiovasculaires, du diabète et des maladies psychiatriques, qui constituent les groupes de pathologie les plus importants dans les projections. Ce sont ces ALD qui contribuent à une grande part de la dynamique de dépenses d'assurance maladie actuelle et à venir.

Vous m'avez interrogé sur les sujets de sport-santé. L'assurance maladie considère en effet que l'activité physique est un élément qui participe de l'état de santé des individus et de son amélioration. Nous nous inscrivons pleinement dans la stratégie nationale sport-santé présentée par le ministre des solidarités et de la santé et la ministre des sports pour la période 2019-2024, et notamment pour mettre en oeuvre ce que nous déployons depuis 2019, avec les expérimentations dans le cadre de l'article 51. Celui-ci nous permet de mettre en place différents dispositifs de prise en charge, de rémunération et d'organisation dérogatoires au droit commun. Treize projets intégrant l'activité physique adaptée sont aujourd'hui déployés, et seize autres sont en cours d'instruction. Nous construisons, avec différents partenaires - associatifs, professionnels de santé, offreurs de soins, organismes complémentaires - des programmes d'intégration des activités physiques adaptées et de leur prise en charge par l'assurance maladie dans le cadre d'accompagnement d'assurés. Les programmes liés à l'obésité sont assez nombreux, et nous menons aussi des programmes liés au diabète. Ces dispositifs sont en cours. Ils font l'objet de programmes d'évaluation au fur et à mesure de leur déploiement. Nous pourrons partager leurs résultats. Il nous semble, pour l'assurance maladie, très important d'inscrire cette logique d'activité physique adaptée dans des protocoles de prise en charge et des modèles de soutenabilité convaincants et efficaces.

Une autre question m'a été posée sur l'information des employeurs sur l'endométriose. Je crois que c'était Mme Jasmin. Nous considérons que les entreprises sont aussi des lieux de prévention et d'accompagnement sur les thèmes liés à la santé au travail. Nous menons des travaux avec les entreprises sur les sujets de prévention des arrêts de travail, des campagnes sur la lombalgie notamment, sur laquelle nous avons beaucoup travaillé avec les employeurs, et diffusé avec eux beaucoup d'informations. Pourquoi, en effet, ne pas le faire sur d'autres pathologies, comme l'endométriose, dès lors que cela répond à un besoin et que nous trouvons les moyens de diffuser cette information de façon efficace ?

Madame la sénatrice Guidez, vous m'avez interrogé sur le traité mondial sur la pandémie. Si je peux me permettre, avec beaucoup d'intérêt, de modestie, pour cette démarche très prometteuse, l'assurance maladie pourra en être un acteur si son intervention est justifiée. S'agissant des problématiques de santé mentale, je me permets de souligner à nouveau à quel point les travaux du rapport annuel « Charges et produits » sont une source de données très intéressante et importante sur ces sujets-là. Aujourd'hui, nous pouvons enregistrer dans nos bases plus de 2 millions de personnes derrière la pathologie chronique « Maladie psychiatrique », plus de 4,9 millions qui ont des traitements psychotropes, et une dépense autour de la santé mentale qui dépasse 30 milliards d'euros. Ce sont des enjeux majeurs qui vont aller en grandissant. Ils nous ont amenés à développer depuis 2018 une expérimentation permettant la prise en charge de soins de psychologues par l'intermédiaire des médecins traitants généralistes dans quatre départements. Elle a des résultats qualitatifs très intéressants en termes de retours des professionnels de santé. Nous avons engagé cette année à son sujet une évaluation plus scientifique pour envisager sa généralisation. Nous travaillons également beaucoup avec les universités, les associations étudiantes, le monde de la santé et de la jeunesse, pour accompagner, notamment dans cette période difficile, tous les acteurs qui agissent auprès des jeunes. Nous avons fait la promotion, vis-à-vis des professionnels de santé, du chèque psy mis en place par la ministre Frédérique Vidal, nous soutenons les plateformes d'écoute téléphonique qui existent auprès des étudiants et des jeunes pour prévenir les risques en termes de santé mentale, voire de suicide. Nous sommes un acteur sur ces sujets-là, même si nous mesurons bien l'ampleur du défi lié au Covid et à ses conséquences.

Vous m'avez interrogé, Madame la sénatrice Jacquemet, sur la prise en charge de certaines aides techniques. Je serai à votre disposition pour un échange bilatéral pour mieux mesurer le sujet. Nous travaillons avec le ministère de la santé, avec les équipes de Sophie Cluzel, sur la simplification et l'amélioration du dispositif de prise en charge des aides techniques, sur la base d'un rapport remis l'année dernière au Gouvernement par Philippe Denormandie. Il y a sans doute des voies de simplification et de meilleure coordination entre ce qui est pris en charge dans le cadre de la prestation de compensation du handicap (PCH) et de ce qui relève de la nomenclature des dispositifs médicaux remboursés par l'assurance maladie.

J'ai oublié de répondre à la question sur le mi-temps thérapeutique. Cela rejoint totalement ce que j'évoquais sur la prévention de la désinsertion professionnelle. Cela fait partie des outils qui doivent être mobilisés par le médecin traitant, en lien avec le médecin conseil. Nous essayons d'être dans une posture d'accompagnement du développement de cette pratique qui permet un retour au travail, parfois anticipé, et qui permet d'éviter des risques de « décrochage ».

Je termine sur la question que vous me posiez, Madame la présidente, sur l'expérimentation du tracing. Deux mots pour préciser les choses. Il est bien évident que l'Assurance maladie et les ARS n'ont pas attendu cette expérimentation pour mettre en place le tracing des clusters. Lorsque nous interrogeons une personne, nous mesurons si, depuis qu'il a été contagieux, il a participé éventuellement à un événement : une fête familiale, un repas professionnel sans masque, bref une situation dans laquelle il peut y avoir un risque de cluster. Depuis de longs mois, nous menons cette enquête sanitaire et le tracing. En Côte-d'Or et en Loire-Atlantique, nous allons plus loin et nous remontons dans le temps. Nous regardons non pas ce qui s'est passé depuis que la personne est contagieuse, mais nous essayons de regarder en amont et identifier là où la personne a été contaminée. Admettons qu'elle est contagieuse depuis le mardi, on regarde déjà ce qu'elle a fait depuis le mardi et s'il y a eu des clusters. Avec cette expérimentation, on regarde la semaine précédente, si elle a été à un endroit où elle estime pouvoir avoir été contaminée. C'est ce qu'on appelle le « retro-tracing », qui est un tracing en amont. On pourra partager les résultats, mais c'est un dispositif qui complète le tracing que nous faisons depuis un peu moins d'un an.

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