Votre question contient deux parties. D'abord : la précarité et le halo du chômage. Je voulais dire, dans mon propos introductif que, quand on parle de précarité et de situation précaire sur le marché du travail, il ne faut pas se limiter à un indicateur mais avoir un ensemble d'indicateurs. Le premier est le chômage, qui est une situation indéniablement précaire pour beaucoup de gens. Il faut avoir une carte globale : le chômage, le halo autour du chômage, et, parmi les personnes en emploi, la sécurité plus ou moins forte de leur situation d'emploi, et même, lorsque leur emploi est sûr, les conditions de leur rémunération et de travail. Caractériser la précarité des situations d'emploi uniquement par l'indicateur « taux de précarité » - c'est-à-dire CDD, intérim et quelques fragments comme l'apprentissage - donne une vision très partielle de cette précarité.
Je vais être maintenant un peu provocateur. Vous dites qu'on pourrait réunir les partenaires sociaux sur le régime d'assurance chômage. Le paritarisme de gestion comporte des échecs et des réussites, qu'il faut reconnaître ou saluer, selon le cas. Le domaine des retraites complémentaires est une réussite. Les partenaires sociaux avaient comme contrat de ne pas faire de déficit ni de dette, et ils l'ont rempli, parfois de façon très courageuse avec des réformes difficiles à faire passer. Les retraites complémentaires représentent deux fois le budget de l'Unédic : c'est donc substantiel. En revanche, en ce qui concerne l'assurance chômage, le paritarisme est un mirage. Quand un régime fait plusieurs milliards d'euros de déficit en année normale (hors 2020), quand la dette du régime d'assurance chômage atteint 36 milliards d'euros, quand elle dépend, pour être soutenable sur les marchés, de la garantie de l'État, qu'appelle-t-on paritarisme ? Cela ne veut rien dire. L'État a toutes les cartes en main et les partenaires sociaux ne sont pas en situation de lui imposer une quelconque décision. Il ne participe pas à cette soi-disant gestion paritaire, mais peut menacer, si on ne va pas dans une certaine direction, d'une « bombe atomique ». J'entends par là le fait de ne pas autoriser de déficit et d'enlever la garantie de l'État sur la dette. Il faut être clair et net : s'il existe dans d'autres compartiments - comme les retraites complémentaires -, le paritarisme dans l'assurance chômage est une illusion.
Ce que je viens de vous dire a plusieurs conséquences : si vous réunissez les partenaires sociaux sur l'assurance chômage, vous aurez l'exact opposé du comportement qui existe dans le domaine des retraites complémentaires. Dans un jeu de rôles, ils caricatureront, par leurs positions, l'image qu'ils veulent donner à leurs mandants. En dernier ressort, ce sont les pouvoirs publics qui décideront. La gestion de l'assurance chômage est faite, sur le plan des décisions, par les pouvoirs publics. Et, dans ce domaine, il ne sera pas possible d'arriver à des décisions responsables et partagées par les partenaires sociaux, parce qu'on les a mis dans une situation d'irresponsabilité, en acceptant déficits et accumulation d'une dette élevée - 36 milliards d'euros représentent un an de budget de l'assurance chômage. On ne pas attendre d'acteurs qu'on a mis dans une telle situation un comportement responsable face à un sujet aussi sensible. Vous pourrez toujours les mettre autour d'une table, mais avant qu'ils ne le fassent, je peux d'avance vous dire et même vous écrire quelles seront les positions des uns et des autres. Cela n'a pas de sens pour moi, on n'est pas dans un vrai paritarisme de gestion.