La proposition de loi prend appui sur deux constats. Le premier tient à la forte croissance de l'épargne des Français sous l'effet des mesures de restriction. Rien que pour 2020, la Banque de France estime le surcroît d'épargne à 110 milliards d'euros, dont plus de 42 milliards sont venus gonfler l'encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS). Le second constat concerne le besoin de notre pays, par l'État, nos collectivités locales et nos entreprises d'investir massivement pour faire face aux enjeux du monde à venir.
Nous avons eu l'occasion d'en discuter lors de la table ronde organisée par la commission sur ce sujet, le 17 février dernier. À mon sens, nous devons garder en tête deux éléments. D'une part, ce surplus d'épargne n'a pas vocation à être sanctuarisé ; il correspond à une consommation différée, et nous devons souhaiter une forte décollecte de cette épargne en sortie de crise. D'autre part, les ressources collectées sur les livrets d'épargne réglementée ne « dorment » pas, mais sont déjà mobilisées pour soutenir des politiques publiques essentielles - pour le livret A, comme vous le savez, il s'agit notamment du financement du logement social - et accompagner le financement des investissements publics locaux.
À la lecture du titre de la proposition de loi, j'y ai vu une initiative intéressante à deux points de vue. D'abord, l'objectif de permettre aux Français de donner du sens à leur épargne me semble correspondre à une aspiration forte de nos concitoyens, comme en témoigne le développement de nombreux labels d'investissement responsable. Ensuite, le soutien aux fonds propres des entreprises constitue le principal cheval de bataille pour les accompagner dans la sortie de crise. Nous serons d'accord sur ce point : pour les petites et moyennes entreprises (PME) en particulier, un appui au niveau régional peut constituer un élément de réponse utile.
Toutefois, l'analyse du dispositif proposé a sensiblement modifié mon appréciation : le fonds souverain régional envisagé s'apparente à un simple mécanisme d'emprunt bancaire par les régions, tandis que la lisibilité de l'utilisation de l'épargne n'est pas plus évidente que pour l'actuel livret A. Cette épargne serait collectée par le réseau bancaire, puis redistribuée sous forme de prêt, non pas en fonction des montants déposés sur ces livrets dans chacune de nos régions, mais en fonction d'une clé de répartition définie à partir du potentiel financier de chaque région.
Si la proposition de loi comprend six articles, le dispositif s'articule essentiellement autour de deux axes. Le premier, que je vais qualifier de « partie haute », comprend la création d'un nouveau livret d'épargne réglementée. Le second, concernant l'utilisation de la ressource collectée par les régions, correspond à la « partie basse » du dispositif.
Sur la « partie haute », l'article 1er introduit un nouveau produit d'épargne réglementée - le livret de développement des territoires (LDT) -, dont les caractéristiques reprennent en partie celles du livret A : une liquidité permanente, une exonération fiscale et sociale des intérêts perçus et un fléchage de la ressource.
Trois différences significatives doivent être signalées. La première concerne les conditions d'ouverture et de détention : aucun plafonnement de l'encours du livret n'est prévu et la pluri-détention n'est pas interdite.
La deuxième différence porte sur la rémunération proposée. Calée sur celle du livret A pour les cinq premières années, elle est ensuite majorée à hauteur de 1,25 fois à partir de six ans et de 1,5 fois au-delà de dix ans. Dans le contexte actuel, c'est viser une rémunération attractive pour l'épargnant, mais surtout s'exposer à une ressource chère pour l'emprunteur. En effet, l'idée étant d'adosser des prêts à cette épargne, à partir du moment où l'épargne est rémunérée à des taux supérieurs à ceux du marché, les prêts adossés seront nécessairement plus chers.
La troisième différence concerne la garantie des sommes déposées. Contrairement aux autres livrets d'épargne réglementée, aucune garantie de l'État n'est prévue dans le dispositif. Il en résulte deux conséquences : les dépôts sont pris en compte dans l'encours maximal de 100 000 euros garantis par épargnant et, surtout, la banque doit contribuer au Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) au titre des sommes collectées, ce qui va renchérir encore le coût de la ressource.
La proposition de loi dispose ensuite qu'un ratio de 90 % de l'encours ainsi collecté devrait être prêté aux régions volontaires, en fonction d'une clé de répartition fondée sur leur potentiel financier. Ce mécanisme appelle de ma part deux observations relatives à son coût et à son fonctionnement.
Concernant son coût, il est, pour reprendre l'expression de la direction générale du Trésor, prohibitif pour les finances publiques. D'une part, de façon ponctuelle, l'exonération fiscale et sociale intègre des retraits opérés en 2022 sur d'autres produits d'épargne pour abonder le nouveau livret ; toute somme placée en 2022 sur ce LDT sera exonérée. Concrètement, cela signifie qu'un rachat d'assurance-vie en 2022 destiné à alimenter un LDT ne serait soumis à aucun prélèvement dès lors que les sommes correspondantes y sont maintenues cinq ans. D'autre part, de façon structurelle, la rémunération majorée par rapport au livret A viendra renchérir le coût de la dépense fiscale associée. Pour un encours de 80 milliards d'euros, cela représente tout de même une centaine de millions d'euros par an.
La seconde observation concerne le fonctionnement du dispositif. En l'état, il aurait du mal à fonctionner. La promesse faite à l'épargnant en termes de liquidité permanente et de rémunération n'est guère compatible avec l'emploi imposé de la ressource.
Deux problèmes se posent. Premièrement, l'encours du LDT, dont l'emploi est fléché, ne fait l'objet d'aucune centralisation auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), ce qui aurait permis de mutualiser les risques et d'optimiser l'usage de la ressource, comme c'est le cas pour le livret A. Deuxièmement, les banques assureraient seules l'allocation de l'encours, mais, surtout, devraient garantir la liquidité permanente du produit pour l'épargnant, avec toutes les contraintes que cela implique.
Sur la « partie basse », qui concerne la création de fonds souverains régionaux, l'article 4 de la proposition de loi introduit une nouvelle section au sein du code général des collectivités territoriales (CGCT), afin de créer, dans chaque région et collectivité à statut particulier, un fonds souverain régional.
Il convient de lever une confusion pour assurer la clarté des débats : la proposition de loi ne conduit pas à créer, dans les régions, des fonds souverains au sens où on l'entend généralement, c'est-à-dire des structures ad hoc ayant pour objet d'investir dans des actifs. En premier lieu, ces fonds souverains régionaux ne seraient pas dotés d'une personnalité morale, ce qui les rendrait indistincts des régions au plan juridique et comptable. En second lieu, plutôt que d'investir dans des actifs, ils auraient pour fonction de financer les dépenses d'équipements des régions lorsque celles-ci sont compatibles avec les objectifs des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet).
Afin d'alimenter ces fonds, qui ne sont en réalité qu'une nouvelle ligne à leur budget, les régions pourraient mobiliser deux types de financement : d'abord, les ressources versées par les autres collectivités locales qui cofinancent les projets sur lesquels la région intervient ; ensuite, et principalement, une fraction de l'encours du LDT qui serait prêtée par les banques à un taux ne pouvant excéder le double de celui du livret A.
Dans la situation actuelle, le livret A servant un intérêt à 0,5 %, la banque ne pourrait prêter aux régions qu'à un taux de 1 %. Sachant le taux de rémunération de l'épargne, et en tenant compte des frais de gestion du système, le taux de sortie du prêt ne peut guère être inférieur à 1 %. Structurellement, cela ne peut pas fonctionner.
En résumé, ce ne sont pas des fonds souverains qui sont ici créés, mais bien un nouveau mécanisme d'emprunt bancaire au profit des régions, afin de financer leurs dépenses d'équipement.
Cela étant posé, le dispositif proposé me semble présenter des difficultés. Premièrement, il introduit un nouveau produit d'emprunt bancaire pour les régions, alors que ces dernières ne connaissent et ne témoignent d'aucune carence dans leur accès au crédit.
Deuxièmement, compte tenu des conditions de rémunération du LDT proposées à l'article 1er, le taux d'emprunt servi aux régions serait proche de 1 %, alors même qu'elles s'endettent actuellement à 0,58 % en moyenne. En conséquence, l'utilisation de ce dispositif coûterait cher aux régions, et il y a donc un risque évident qu'elles n'aient pas recours à cette ressource. Pour les banques qui collecteraient cette ressource, le risque serait de devoir rémunérer ces LDT sans trouver preneur et sans centralisation d'une partie des fonds, comme c'est le cas pour le livret A.
Troisièmement, la nomenclature comptable ne serait actuellement pas en mesure de rendre compte des ressources et des emplois de ces fonds. Or, l'un des intérêts du LDT pour l'épargnant devrait être, notamment, de pouvoir constater concrètement l'impact de son placement sur le développement régional ; ce ne serait pas possible en l'état.
Quatrièmement, enfin, les modalités d'engagement des dépenses d'équipement de droit commun semblent peu adaptées, tandis que celles prévues à titre dérogatoire sont excessivement lourdes. En effet, les dépenses compatibles avec les objectifs inscrits aux Sraddet pourraient, de droit, être financées par le fonds. Toutefois, ces schémas n'existent pas dans toutes les régions ou collectivités à statut particulier et, en tout état de cause, ne présentent pas un niveau de détail suffisant pour servir de base de référence à l'engagement d'une dépense d'investissement.
Lorsqu'il n'y a pas de Sraddet ou que les dépenses ne sont pas compatibles avec l'un de ses objectifs, la région pourrait prendre une délibération après concertation de l'ensemble des collectivités locales et association du préfet, afin d'autoriser leur financement par le fonds. On rentrerait là dans une démarche très lourde pour simplement demander un prêt et financer un investissement.
Si je n'ai pas été convaincu par le dispositif proposé, j'ai toutefois cherché des pistes d'amélioration. L'une d'elles aurait été, à mon sens, de constituer de véritables fonds souverains régionaux chargés de mobiliser l'encours du LDT localement, en octroyant des prêts ou en prenant des participations au capital des entreprises.
Outre le fait que les règles de recevabilité financière ne le permettaient pas, la faisabilité et l'opportunité d'un tel dispositif faisaient également défaut. Concernant la faisabilité, il aurait fallu doter ces fonds souverains de capitaux propres leur permettant d'assumer leurs missions. D'après la direction générale du Trésor, les régions auraient dû mobiliser 3 milliards d'euros rien que pour doter ces fonds propres au moment de leur création.
Concernant l'opportunité, le droit permet déjà aux régions, en partenariat avec le secteur privé et dans le respect du droit de l'Union européenne, de constituer et de doter des fonds d'investissement ; des dispositifs existent. De même, les régions peuvent déjà prendre des participations au sein des sociétés commerciales et accorder des prêts ou des avances remboursables.
J'ai pu échanger avec les principaux acteurs concernés. À chaque fois, le même constat s'est imposé : le dispositif, tel qu'il est imaginé, ne fonctionne malheureusement pas et, surtout, l'objectif poursuivi ne semble répondre à aucune carence identifiée ni même à aucune demande particulière des régions. C'est pourquoi, comme j'ai eu l'occasion d'en discuter avec l'auteure de la proposition de loi à différentes reprises, il ne me semble pas opportun d'adopter cette proposition de loi.