Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 30 mars 2021 à 14h30
Respect des principes de la république — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Gérald Darmanin :

Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le ministre de l’éducation nationale, monsieur le garde des sceaux, madame la ministre déléguée, la République est attaquée depuis de nombreuses années par des tenants, ceux du séparatisme, ceux de la radicalisation qui mène au terrorisme.

Trois gouvernements successifs, singulièrement des gouvernements qui ont agi à la suite d’attentats meurtriers sur le territoire national, ont pris des dispositions très importantes, législatives et réglementaires, en termes de moyens, pour lutter contre la radicalisation et contre le terrorisme.

Malgré tout, jusqu’à présent, nous avons collectivement refusé de voir – en tout cas, la loi ne l’a pas prévu – qu’entre l’islam politique, le communautarisme, la séparation avec les valeurs et les buts de la République, la radicalisation et le terrorisme, il n’y avait pas de différence de nature. Nous constatons, et l’odieux assassinat de Samuel Paty est là pour en témoigner, qu’il n’y avait en fait qu’une différence de degré.

Dans son discours des Mureaux, le Président de la République a eu l’occasion d’évoquer l’ensemble de l’arsenal législatif et réglementaire regroupant les moyens que le gouvernement de la République doit mettre en place, sous son autorité, pour lutter contre ces séparatismes. Si je devais les caricaturer, je dirais que ceux-ci sont de deux ordres, parfois complémentaires, souvent différents.

Il y a, d’une part, un séparatisme – le premier d’entre eux étant le séparatisme islamiste – qui vise à imposer des règles n’ayant rien à voir avec la religion, mais tout à voir avec l’idéologie. Il s’étend dans le champ des services publics, les champs administratif et associatif, sur internet, au sein de l’éducation, qu’elle soit dispensée par les parents ou par l’école, et dans la vie de nos concitoyens – et qui les touche, même si cela devient de moins en moins vrai, dans leurs lieux cultuels.

Il y a, d’autre part, un séparatisme qui n’a pas grand-chose à voir avec le séparatisme islamiste mais qui est constitué par les ingérences étrangères.

Il nous faut distinguer ces séparatismes, les combattre, et rappeler que, depuis Philippe le Bel, sous la monarchie, sous l’Empire, puis sous la République, l’État français a toujours considéré que la liberté religieuse et les affaires religieuses relevaient de l’État et des pouvoirs publics, et non d’États étrangers.

Cette sécularisation, nous l’avons imposée au travers d’un travail de six siècles, ou quasiment, d’abord aux catholiques, aux protestants, puis aux juifs, et de nouveau aux catholiques. Depuis de nombreuses années, plusieurs gouvernements essaient – il est bien normal que cela prenne du temps – de l’imposer au culte musulman ; nous espérons y réussir définitivement.

Il s’agit, avec ce projet de loi, d’une lutte contre le séparatisme islamiste, insidieux, dans tous les champs de la société, d’une lutte pour la sécularisation, et – si j’ose dire – d’une forme de « holà ! » adressée à ceux qui veulent utiliser la religion en tant que moyen de contrôle de leur diaspora et comme soft power sur le territoire national.

Tel est le but de ce texte important déposé, monsieur le président du Sénat, 115 ans, jour pour jour, après que l’Assemblée nationale et Aristide Briand ont réussi à instaurer ce compromis, parfois discuté et conflictuel, avec les grandes forces politiques et philosophiques de notre pays.

Permettez-moi de saluer à cette tribune Gustave Dron, sénateur-maire de Tourcoing, qui fut le rapporteur, pour partie, de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, laquelle a porté de façon définitive le compromis qui nous permet, encore aujourd’hui, de vivre sous l’empire de cette loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la laïcité, il faut d’abord la définir pour pouvoir l’imposer. Elle est la combinaison de trois éléments.

La première composante, que réaffirmera le Gouvernement, à la demande du Président de la République, est la pluralité religieuse.

Cela signifie que l’État, en République, ne reconnaît aucun culte et qu’il doit garantir la liberté de culte, c’est-à-dire à la fois les lieux, bien sûr, mais aussi l’expression religieuse. L’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose ainsi : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses […] », le mot « même » soulignant sans doute, d’ores et déjà, l’inquiétude qu’inspirait l’opinion religieuse, compte tenu des difficultés et parfois – avouons-le – des crispations que peuvent susciter les religions dans le champ public, notamment entre ceux qui croient et ce qui ne croient pas.

Cette pluralité religieuse fait partie intégrante de la laïcité française.

La deuxième composante de la laïcité est la possibilité qu’a l’État – donc les pouvoirs publics – d’imposer la neutralité, politique et religieuse, de son action et de ses agents.

Cette neutralité, nous la renforçons considérablement dans les premiers articles de ce projet de loi, et notamment à l’article 1er, qui vise à imposer les principes et les règles de la neutralité à tous les services publics : ceux de l’État, qui doivent évidemment en tirer les conséquences, tout comme ceux des collectivités locales. En effet, nous avons tous collectivement à connaître d’un champ de délégation de service public, dans lequel des agents de droit privé concourent au service public sans se voir imposer les principes de neutralité qui s’appliquent aux agents du service public.

Cette neutralité de l’État et des pouvoirs publics doit s’imposer à tous leurs appendices que sont les offices HLM, Pôle emploi, les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), les caisses d’allocations familiales (CAF), et à tous ceux qui concourent au service public. Car, il faut bien l’avouer, on a parfois vu fleurir, au gré des difficultés de la jurisprudence et de la mauvaise interprétation de certains textes, des formes de naïveté, voire de compromission, vis-à-vis de ceux qui voulaient bousculer les valeurs de la République. Nous pensons notamment aux transports en commun, mais c’est vrai aussi de tout ce qui touche au quotidien de nos concitoyens.

La troisième composante que je voudrais évoquer est la question de l’ordre public.

J’ai bien conscience, monsieur le président du Sénat, que, devant la chambre qui représente des collectivités locales et dont les membres sont très attentifs aux libertés publiques, nous ne devons toucher les grandes lois et les grands principes de notre État de droit – la liberté d’association, la liberté d’expression, la liberté de culte – qu’avec une main tremblante, mais tout de même assurée, afin de garder l’ordre public. Tel est l’équilibre que nous devons trouver ensemble, mesdames, messieurs les sénateurs, après le travail riche effectué à l’Assemblée nationale.

C’est dans cet esprit de compromis républicain et de fermeté républicaine que le Gouvernement se présente à vous.

J’aurai l’occasion de porter devant le Sénat le début et la fin de ce texte, qui concernent les services publics, l’action des élus locaux – je pense au référé liberté, en lien direct avec ce qui a été proposé par le Conseil d’État – et les dispositions cultuelles.

Ces dernières dispositions, très importantes et riches, font naître des débats, s’agissant notamment des immeubles de rapport ou de l’obligation faite aux lieux de culte, dans leur intégralité, de passer sous l’emprise de la loi de 1905, et donc à ne plus relever de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Nos compatriotes musulmans doivent faire, comme les protestants et les juifs avant eux, une migration vers la loi de 1905, laquelle a ses compromis, ses avantages mais aussi ses inconvénients.

M. le garde des sceaux défendra plusieurs dispositions également très importantes. Je pense ainsi à celles qui visent à instaurer, pour protéger le service public, un délit pénal – j’imagine qu’il vous en détaillera le contenu –, et à celles qui sont relatives à la haine en ligne, prévues conjointement avec le secrétaire d’État chargé de la transition numérique.

M. le ministre de l’éducation nationale évoquera les questions éducatives, dont je veux souligner, avec lui, qu’elles sont extrêmement importantes. Des dispositions sont ainsi prévues sur l’instruction en famille et les écoles hors contrat. À l’instar de ce que nous faisons depuis plusieurs mois, avec une grande efficacité, nous voulons engager la responsabilité de ceux qui utilisent les enfants pour propager une idéologie. Nous aurons sans doute l’occasion d’évoquer des exemples très concrets, et malheureux, au cours du débat.

Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, présentera, concernant les questions essentielles de la vie associative mais aussi de l’égalité entre les femmes et les hommes, des dispositions, là encore, très importantes. Je citerai, entre autres, le contrat d’engagement républicain, qui vise à assurer la défense de la République.

Nous avons bien conscience, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il s’agit d’un texte difficile. En effet, la passion ne manque pas de se déclencher lorsque le législateur touche à l’intime, aux convictions, à la religion, au fait de croire ou de ne pas croire.

Le Gouvernement a souhaité présenter un texte de fermeté. Celui-ci ne prévoit pas d’ajouter des pouvoirs de police judiciaire dans les domaines du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Nous pensons en effet que cet arsenal est d’ores et déjà suffisant, même si des améliorations peuvent être utiles ; nous aurons l’occasion d’en reparler au Sénat, sans doute en juillet, à propos de la prolongation, en matière de renseignement notamment, de mesures issues de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT). Nous n’avons donc pas prévu, en l’espèce, de dispositions relatives à la radicalisation menant directement au terrorisme.

Le Gouvernement n’a pas souhaité non plus, et je remercie la commission et Mmes les rapporteures de l’avoir suivi sur ce point, inscrire dans le projet de loi des dispositions relatives au droit du travail dans le secteur privé. En effet, de telles règles existent d’ores et déjà. Au travers notamment de la discussion syndicale, elles permettent aux chefs d’entreprise de prévoir des décisions en la matière dans le règlement intérieur. Ces dispositions nous ont semblé, après consultations, suffisantes.

Enfin, le Gouvernement n’a pas souhaité légiférer sur les vêtements religieux. Il s’agit d’un débat important, loin d’être médiocre, et je peux comprendre les convictions des uns et des autres à ce sujet. Mais il nous a semblé plus efficace pour la République, après des années de polémique sur ces questions, d’en rester à une position de conformité par rapport à la définition de la laïcité. Même si les expressions religieuses peuvent parfois nous gêner ou nous choquer, nous retenons l’idée selon laquelle l’espace public n’est pas un lieu de réglementation desdites expressions. Je pense que le Sénat en débattra, comme l’Assemblée nationale l’a fait longuement.

Pour conclure, je tiens à m’adresser aux associations cultuelles et aux représentants des cultes, que nous respectons profondément et qui se posent sans doute de légitimes questions, comme c’est le cas chaque fois que l’on évoque les dispositions qui les concernent. Je veux leur dire que nous serons sensibles aux arguments qu’ils ont invoqués, mais que nous ne lâcherons pas sur ce qui nous paraît essentiel.

Bien sûr, aujourd’hui, tout le monde nous rappelle la loi de 1905, à commencer par les associations cultuelles. Nous saluons évidemment cet attachement quasi unanime de la République à ce texte. Il ne nous a cependant pas semblé qu’en 1905 tous les cultes étaient très favorables à la loi portée par Aristide Briand… Depuis lors, un équilibre a été trouvé.

En 1906, le Parlement s’était réuni quelques semaines seulement après l’adoption de la loi concernant la séparation des Églises et de l’État, afin de légiférer, ce qui aboutit à la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes. Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale, l’Église catholique refusant d’appliquer la loi de 1905, qu’un compromis fut trouvé.

Je tiens à dire ici que les accords internationaux et les courriers échangés entre le gouvernement de la République et le nonce apostolique ne remettent pas en cause la loi de 1905 : en aucun cas l’équilibre établi avec l’Église catholique n’est remis en cause.

Ce que nous voulons dire, mesdames, messieurs les parlementaires, c’est que l’on ne peut pas établir de reçus fiscaux sans qu’il y ait de contrôle des comptes ! Il ne saurait y avoir de financements étrangers sur le sol de la République sans que celle-ci les connaisse.

1 commentaire :

Le 04/04/2021 à 12:02, aristide a dit :

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"Enfin, le Gouvernement n’a pas souhaité légiférer sur les vêtements religieux."

Vous en savez quoi que ce sont des vêtements religieux, puisque vous ne reconnaissez pas les cultes ? Les clichés populistes ça va un moment.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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