Pour la gauche, la République doit être la République « jusqu’au bout », pour reprendre la formule de Jaurès, avec l’ordre républicain d’un côté et la promesse républicaine de l’autre. Notre groupe est fondamentalement attaché au respect des principes de la République et à leur protection. Nous saluons les femmes et les hommes qui la servent : fonctionnaires, militaires, enseignants, personnels soignants… Nous saluons tous ceux qui ont choisi de servir l’intérêt général.
Nous sommes attachés à la laïcité. Oui, nous sommes fidèles à l’héritage de Jaurès, de Briand ou de Ferdinand Buisson, à cette liberté de croire ou de ne pas croire. Et nous sommes attachés à la dignité humaine, contre toutes les pratiques indignes, en particulier contre les femmes.
Certains l’ont rappelé : séparer le combat laïque du combat social revient à se fourvoyer, avec le risque de perdre les deux, car, selon la fameuse formule de Jaurès, la République restera laïque parce qu’elle aura su être sociale.
D’ailleurs, lors de son discours des Mureaux, Emmanuel Macron a rappelé que la République était à la fois un ordre et une promesse, mais il a évoqué un « devoir d’espoir » et le besoin de « faire aimer la République » pour que chacun « puisse trouver sa place. » Or cette seconde partie du discours du Président de la République a disparu : dans ce projet de loi, on ne trouve pas un mot sur la mixité sociale, sur la discrimination en matière d’emploi ou de logement, sur l’accès aux services publics ou encore sur l’égalité des chances.
Or la République est une promesse : la promesse d’être intégré, de participer. C’est la promesse républicaine d’égalité et d’émancipation. Les élus locaux que nous sommes le savent bien. Nous savons que, si nous n’abordons pas ces sujets, le texte est totalement déséquilibré.
Or, dans ce texte, notre République est réduite à des règles, à des interdictions, à des motifs d’ordre public. Nous n’y retrouvons pas le pendant que constituent les droits, l’égalité, la solidarité et les principes de la République.
De toute évidence, on y trouve l’ordre, que le Président de la République a appelé de ses vœux. Pour les associations, les cultes, l’éducation, les fédérations sportives, le service public, ce texte prévoit obligations, contrôles, sanctions, comme cela a déjà été rappelé plusieurs fois. Étrange pour un projet de loi présenté comme un texte de libertés !
Celui-ci peut aussi s’avérer dangereux pour nos libertés, notamment au regard de son article 18, faux jumeau de l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale, qui, monsieur le ministre de l’intérieur, créera une concurrence juridique qui rendra très complexe la poursuite des infractions. Je pense que le Gouvernement devrait y veiller.
Ce texte est aussi un texte de défiance, envers les croyants, les membres d’associations, l’école et, au final, tous les citoyens. Comme si chacun devenait suspect et allait se radicaliser…
Sur quelques points, nous partageons les dispositions de ce projet de loi.
Par exemple, nous souscrivons aux mesures permettant une meilleure protection des agents du service public ou à celles qui visent à améliorer l’égalité entre les femmes et les hommes. L’interdiction des certificats de virginité, la lutte contre les mariages forcés ou la polygamie sont des combats que nous partageons évidemment et sur lesquels mes collègues Jacques-Bernard Magner et Jean-Pierre Sueur reviendront tout à l’heure.
Mais, comme vous l’aurez compris, nous ne nous satisfaisons pas de l’ensemble de ce projet.
En quoi pourra-t-il enrayer la fuite hors de la société de certains, le repli sur soi, l’entre-soi ? Pourrons-nous mieux vivre ensemble quand il sera voté ? Les Français seront-ils mieux protégés ? Allons-nous restaurer cette République, qui permet et promet tant ? Ces sujets auraient dû être abordés d’une main tremblante, comme le disait Montesquieu, car on ne peut sans conséquence modifier des textes fondateurs comme la loi de 1905 ni légiférer sur des questions aussi fondamentales.
Il est incontestable que, lors de la rédaction de ce texte, la main du Gouvernement n’a pas tremblé suffisamment. Aujourd’hui, au Sénat, nous devons appréhender ce texte comme il aurait dû être rédigé : comme un texte d’ordre, sans doute, mais aussi comme un texte de promesses, ce qu’il n’est pas.
Vous l’avez compris, nous n’approuvons pas ce texte.