Je veux remercier les nombreux orateurs qui sont intervenus. J’ai entendu des positions parfois contradictoires. J’ai même perçu des différences au sein des groupes, ce qui est bien naturel face à un texte qui ne trace pas des lignes d’opposition traditionnelles. Ce sera le sel de notre débat. Cela montre aussi une envie collective d’aboutir au meilleur texte possible pour l’État, la République et, donc, l’intérêt général.
Je me permettrai de souligner quelques points qui seront sans doute récurrents lors de l’examen des amendements. Je le rappelle, sur les quelque 600 amendements déposés sur ce texte, moins d’une trentaine est d’origine gouvernementale, ce qui témoigne de mon respect pour le travail du Parlement. Je veux évoquer ces points, afin que tout soit clair entre nous s’agissant de ce que le Gouvernement souhaite faire. Nous pourrons ainsi assumer nos éventuelles divergences sur le fond.
D’abord, j’évoquerai l’importante question – tous les groupes politiques en ont parlé – de la maladie qui touche une grande religion, laquelle, selon moi, est parfaitement compatible avec la République, comme le pense certainement d’ailleurs la quasi-intégralité de l’hémicycle.
Ses pratiquants n’ont pas à montrer leur attachement profond à la République ni leur sentiment patriotique. Je pense bien évidemment aux soldats de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, aux harkis et à tous ceux qui se sont engagés comme patriotes dans la police, la gendarmerie, l’armée ou le service public. En tant que Français, ils n’ont pas à rougir de leur religion. On peut prier Allah et être un parfait républicain. Je le rappelle, les territoires d’Algérie ont été français avant certains territoires représentés ici. À l’Assemblée nationale, le Bachagha Boualem, en tenue traditionnelle musulmane, faisait ses prières à l’hôtel de Lassay. Michel Debré était alors Premier ministre. Jadis, cela ne choquait personne.
Cela étant, il est évident que cette question n’est pas uniquement nationale. Elle touche l’intégralité du monde contemporain par sa profondeur. Chacun sait les difficultés des écoles sunnites à se mettre d’accord sur un islam que nous appellerons un islam des familles, celui qui se pratique le plus parmi nos concitoyens. Cet islam est parfois accaparé par une minorité agissante, les islamistes, qui opèrent une véritable OPA, notamment sur internet. La France est considérée comme une lumière, qui pourrait permettre à cet islam de la raison de faire gagner Avicenne et Averroès.
Il s’agit d’un phénomène mondial, que nous subissons comme tous les pays occidentaux et comme tous les pays musulmans. Les premières victimes de l’islamisme sont les musulmans et les pays musulmans. Partout où les islamistes ont été aux responsabilités, cela s’est terminé par la pauvreté, la misère, la guerre et les atrocités.
Je le répète, la situation n’est pas uniquement française. Ainsi, le projet de loi déposé par le Gouvernement n’a pas vocation à résoudre l’intégralité des difficultés rencontrées par une grande religion confrontée à une crise très importante. Nous devons simplement l’aider, à notre échelle.
J’évoquerai maintenant un deuxième point, qui fait l’objet de quelques erreurs ou incompréhension, notamment de la part de MM. Bas et Retailleau.
Monsieur Bas, pour ce qui concerne les mesures proposées, vous avez regretté une sorte d’inventaire à la Prévert, même si vous n’avez pas utilisé cette expression. Si, comme le dit le beau proverbe africain, il faut tout un village pour éduquer un enfant, il faut de nombreuses politiques publiques pour enrayer un islamiste, un séparatisme diffus ayant revêtu un visage très respectable en de nombreux lieux. J’assume donc le patchwork que vous évoquez, si vous me permettez d’utiliser ce mot.
Lorsque vous dites que le texte traite des imams détachés, vous avez tort. Il n’est défini nulle part ce qu’est un ministre du culte. La loi n’a d’ailleurs pas à le définir. Le culte n’est pas non plus défini en droit français, car il ne relève pas de l’autorité de l’État de le faire. Il existe des milliers de cultes. La République n’a pas à les reconnaître en tant que cultes. Elle doit simplement vérifier qu’ils sont en conformité avec les dispositions prévues par le législateur. En effet, pour l’État français, la religion est une opinion.
S’agissant des imams détachés, le Président de la République a pris, bien avant le dépôt de ce projet de loi, une mesure extrêmement forte, en décidant de mettre fin, en 2023, à l’enseignement de la religion dans nos lieux de culte par des fonctionnaires payés par des États étrangers, en l’occurrence des pays du Maghreb ou la Turquie. Cette mesure importante signifie la fin de l’islam des consulats et des ambassades, conformément à l’idée première que nous avons imposée aux protestants, aux catholiques et aux juifs, selon laquelle les affaires religieuses ne concernent que les Français.
Pour nous, il n’y a pas de musulmans d’origine algérienne, tunisienne ou marocaine qui devraient rendre des comptes à je ne sais quel gouvernement gérant je ne sais quelle diaspora, qu’elle soit financière ou électorale. Cette question fait d’ailleurs l’objet de mon courroux vis-à-vis de la mairie de Strasbourg : nous ne devons pas dépendre d’un État étranger pour gérer les affaires religieuses françaises. Si nous affirmions le contraire, nous accepterions que les musulmans ne soient pas pleinement français, puisqu’ils dépendraient d’une autre autorité. Songez à la sécularisation de l’Église de France : si elle reconnaît Rome, elle est détachée de la papauté depuis Philippe le Bel. En France, la religion est une affaire française.
La situation des imams détachés crée une difficulté qui rend ce texte absolument nécessaire. En effet, si nous ne voulons pas instaurer un financement public, si nous ne voulons pas revenir sur le grand principe de non-subventionnement de la loi de 1905, qui n’a pourtant pas été consacré par le Conseil constitutionnel, et si nous ne voulons pas de financements étrangers, il nous faut trouver une source de financement nationale qui ne soit pas publique. C’est ce qui explique les mesures sur les immeubles de rapport et les dispositions extrêmement fortes permettant aux associations de passer du régime de la loi de 1901 à celui de la loi de 1905.
À mon avis, vous vous trompez, monsieur Sueur, en pensant que ces structures n’auront pas intérêt à passer sous le régime de la loi de 1905. En effet, elles bénéficieront ainsi du denier du culte musulman, que ne peuvent percevoir 92 % des associations culturelles musulmanes, et ce en inégalité totale avec ce qui se passe pour nos compatriotes juifs, protestants ou catholiques. Elles pourront également ne pas payer la taxe foncière et bénéficier d’une responsabilité juridique spécifique, grâce à la séparation du cultuel et du culturel.
Monsieur Retailleau, j’ai eu du mal à comprendre votre intervention sur le Conseil national des imams. Selon vous, c’est une drôle d’idée que de demander aux musulmans de s’organiser eux-mêmes.