Intervention de Bérangère Abba

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 24 mars 2021 à 18h45
Audition de Mme Bérengère Abba secrétaire d'état auprès de la ministre de la transition écologique chargée de la biodiversité

Bérangère Abba, secrétaire d'État :

Le calendrier législatif est très intense en ce moment sur le sujet de la biodiversité. Nous vivons un moment particulier : nous le savons, la dégradation de la biodiversité se poursuit à un rythme inouï. Les rapports font état de chiffres très alarmants. Les espèces protégées sont touchées, tout comme la biodiversité ordinaire. Nous aimerions que cette crise occasionne une prise de conscience identique à celle qui a eu lieu il y a quelques décennies sur les questions climatiques.

Aucun des objectifs d'Aichi, fixés en 2010, n'a été atteint. La première évaluation de la loi biodiversité de 2016 nous révèle les difficultés à atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, malgré la montée en puissance de la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC), la mise en oeuvre des paiements pour services environnementaux et les obligations réelles environnementales (ORE) qui trouvent aujourd'hui toute leur place. Restent des chantiers beaucoup plus vastes, comme le financement de la biodiversité et la fiscalité environnementale qu'il va sans doute falloir revoir dans sa globalité.

La recréation de mon secrétariat d'État est un signal fort de la volonté du Gouvernement et du Président de la République. La protection des espèces, le partage de connaissances, les politiques de l'eau sont essentiels, tout comme l'éducation à la nature, les questions de justice, de police et de droit de l'environnement, les dossiers structurants comme la chasse ou la pêche, ou le bien-être animal et les grands prédateurs, qui sont entrés dans le débat public.

Ce secteur comporte un volet européen et international, avec l'honneur que me fait la France de m'avoir nommée vice-présidente de l'assemblée des Nations unies pour l'environnement. Cela implique une cohérence entre les objectifs et les moyens aussi bien humains que financiers. Nos opérateurs constituent les bras armés opérationnels du déploiement de nos politiques : l'Office français de la biodiversité (OFB), âgé d'à peine plus d'un an, mais qui s'ancre sur les territoires, développe une culture commune et dont le développement est très observé au niveau international ; les agences de l'eau qui, depuis longtemps, travaillent sur des projets de territoire et portent aujourd'hui un nouveau regard sur la gestion de la ressource en eau.

Ce secteur représente un travail extrêmement intense au niveau interministériel pour décloisonner nos politiques avec les ministères de la mer, de l'agriculture, de l'éducation nationale et de la santé, selon l'approche « One Health ». L'office national des forêts (ONF) est un opérateur en cotutelle entre le ministère de la transition écologique et celui de l'agriculture. Les forêts sont une vitrine de l'impact du réchauffement climatique et illustrent les équilibres à trouver entre impacts environnementaux et filière économique.

Nous devons nouer des partenariats avec les différents niveaux de collectivités territoriales, car l'État ne peut pas agir seul : les régions, chefs de file avec une compétence d'aménagement sur les aires protégées et le réseau de parcs naturels régionaux (PNR) ; les départements, qui peuvent être amenés à financer des projets sur la protection des espèces naturelles sensibles ; le bloc communal, porteur de projets et détenteur des compétences eau et assainissement.

Nous déployons la stratégie nationale pour la biodiversité avec ces différents niveaux de collectivités. Les départements ont ainsi adopté à l'issue des dernières assises de la biodiversité une motion en faveur des aires protégées et proposant des mesures réglementaires et des modalités de relations locales avec l'OFB. Nous avons introduit à l'article 57 du projet de loi « Climat et résilience » la possibilité du droit de transition sur les espaces naturels sensibles - nous sommes heureux de combler cette lacune qui mettait certains départements en difficulté. Les contrats de relance et de transition écologique agrègeront les différents dispositifs et deviennent avec les contrats de plan État-région (CPER) l'ossature de cette contractualisation territoriale qui doit se déployer.

Nous avons présenté en début d'année notre stratégie des aires protégées 2021-2030, avec un objectif réaffirmé de protection de 30 % du territoire terrestre et marin et de 10 % de protection forte - objectif très ambitieux devant nous amener dès 2022 à atteindre des objectifs que nous portons au niveau international, notamment au sein de la COP 15. Nous avons élaboré un plan d'action qui décline cette stratégie de manière opérationnelle, car il nous faut des points de rendez-vous et des actions concrètes, qui prennent la forme de plans d'action triennaux tant sur les aires protégées que sur la stratégie nationale pour la biodiversité. Cette contractualisation prendra la forme de chartes pour associer tous les niveaux de collectivités à la définition de nouveaux périmètres d'aires protégées, création ou extension, mais aussi à leur gestion. Pour l'avoir vécu lors de la création du onzième parc national de forêts, ce sont des espaces de discussions et d'échanges permettant d'apaiser les tensions.

L'année 2021 sera celle de la réécriture de cette stratégie décennale déclinée en plans d'action triennaux qui partent des territoires - ce qui a beaucoup dérouté, d'autant que le calendrier est très resserré. Je fais actuellement une tournée des régions de France, en participant aux comités régionaux de la biodiversité avec tous les acteurs pour établir un bilan de l'existant afin que chaque région puisse apporter sa contribution à la stratégie nationale pour la biodiversité, ces contributions constituant le matériau qui sera soumis aux instances nationales.

Dans le même temps, nous menons une consultation citoyenne et réunissons un comité interministériel qui doit accompagner les choix qui seront faits. Nous nous sommes dotés d'un outil, un site internet dont je vous annonce la mise en ligne dans les heures qui viennent, biodiversité.gouv.fr, rassemblant toutes les ressources concernant la biodiversité, sur lequel vous pourrez, soit en tant qu'individu, soit en tant que collectif, déposer des contributions.

Cela nous amènera à présenter une première version du texte de la stratégie nationale à l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), que nous amenderons à l'issue de la COP 15 à la toute fin 2021 ou au début 2022.

Autre stratégie importante : la stratégie nationale pour lutter contre la déforestation importée. Nous disposons de leviers d'action considérables : l'achat public peut en effet contribuer à 10 % du PIB et a une influence sur la déforestation à l'autre bout du monde. Nous avons aussi mis en place une plateforme permettant aux acheteurs de vérifier leur approvisionnement. Pour cela, nous avions besoin de données douanières. Une disposition du projet de loi « Climat résilience »nous permettra de les croiser avec les données satellitaires. Cela suppose aussi un accompagnement des pays producteurs vers des filières plus durables.

Nous avons édité un guide de l'achat public « zéro déforestation » dont je fais la promotion dans ma tournée des régions et que je vous incite également à promouvoir. Cette stratégie nationale « Déforestation importée » trouvera un écho au niveau européen - ce sera un des gros dossiers portés lors de la présidence française début 2022.

L'Office français de la biodiversité, créé en janvier 2020, constitue avec ses 2 600 agents et son budget de 516 millions d'euros un outil performant, au plus près du terrain et des territoires. Cet organisme a bénéficié d'un budget supplémentaire de 85 millions d'euros au titre du plan de relance, qui lui permettra de lancer des appels à projets y compris en Outre-mer, avec un volet sur l'eau potable et l'assainissement. Nous travaillons actuellement sur son contrat d'objectifs et de performance, qui doit aboutir courant 2021. Un arbitrage devrait nous permettre de calmer l'inquiétude sur les effectifs, avec vingt équivalents temps plein (ETP) pour les parcs naturels marins et vingt autres pour les parcs nationaux.

Les agences de l'eau travaillent sur la base d'une feuille de route des Assises de l'eau de 2019 qui décline les projets territoriaux de gestion de l'eau, qui doivent nous permettre de réconcilier les besoins concernant une ressource qui tend à s'amenuiser et doit donc être gérée de la manière la plus harmonieuse et raisonnée possible. Elles accompagnent techniquement et financièrement les territoires avec une mission d'appui qui vient d'être constituée d'inspecteurs généraux, un cadre réglementaire national qui doit sécuriser les décisions prises par les préfets en la matière, notamment en matière de gestion quantitative, matérialisé par un décret très attendu, envoyé cette semaine au Conseil d'État.

La politique de l'eau agit aussi pour la qualité de nos rivières et de nos ressources souterraines à laquelle le plan de relance consacre 250 millions d'euros - ces moyens sans précédent devant nous permettre d'intervenir notamment sur une meilleure connaissance de nos réseaux, avec une enveloppe de 47 millions d'euros sur le plan Outre-mer qui s'ajoutent aux 2,1 milliards d'euros de redevance affectée annuellement aux agences de l'eau.

C'est aussi la politique de continuité écologique, portée par les collectivités et les fédérations de pêche dont je souhaite saluer le travail, car elles sont nos yeux sur le terrain. Dès que nous rétablissons ces continuités, nous avons la satisfaction de voir revenir des espèces telles que les saumons et les anguilles : la nature reprend ses droits.

Nos forêts sont gravement fragilisées par le changement climatique ; le parc national de forêts sera l'une des vitrines d'expérimentation de cette politique relative aux forêts. La production durable de bois est soutenue à nouveau dans le cadre du plan de relance à hauteur de 200 millions d'euros pour le renouvellement forestier et la diversification des sylvicultures et des essences.

Nous devons inventer des solutions pérennes pour stabiliser le financement de l'ONF, qui doit se consacrer en priorité à la gestion durable et adaptative de nos forêts publiques. Nous signerons un contrat d'objectifs robuste avant l'été 2021 et, sans attendre, le ministère de la transition écologique a augmenté son financement de 9,2 millions d'euros dès 2021.

Un gros dossier de ce secrétariat d'État est celui de la chasse, patrimoine qui s'exprime dans les territoires. Les dégâts de gibier occasionnés par les sangliers et cervidés font l'objet d'un groupe de travail rassemblant agriculteurs et chasseurs pour formuler des propositions sur lesquelles il nous incombe aujourd'hui de statuer, que ce soit au niveau réglementaire, mais aussi législatif. Sur la question de la sécurité à la chasse, que l'actualité rappelle trop souvent à notre attention, nous devons encore travailler pour atteindre l'objectif de zéro accident, notamment via l'information des riverains et des autres usagers de la nature. Nous devons apaiser ces questions sur lesquelles une forme de violence se développe, ce qui m'inquiète. Il faut que ce débat ait lieu pour que chacun retrouve sa place dans ces espaces de nature sans agressivité. Les outils récents que constituent les comités d'experts de la gestion adaptative (CEGA) des espèces doivent être améliorés, mais ils contribuent à l'objectivation scientifique des populations animales.

Notre politique se déploie aussi sur la mer, la France possédant la seconde zone économique exclusive mondiale, avec une action aussi bien nationale qu'internationale. Nous devons travailler aux questions de police, de justice et de droit de l'environnement. Vous avez voté - et je vous en remercie - la création de pôles régionaux spécialisés près de chaque cour d'appel, qui prendront mieux en compte ces dossiers. Une convention judiciaire économique permettra aussi la résolution de certains contentieux pour pouvoir intervenir le plus rapidement possible. Les nouvelles prérogatives de police judiciaire pour les officiers judiciaires de l'environnement leur permettront de mener des enquêtes de bout en bout de la constatation jusqu'à l'audition ou d'éventuelles perquisitions. Je tiens à cet égard à remercier le général Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN).

Sont encore à l'étude une échelle des peines et la création des délits d'écocide et de mise en danger de l'environnement, et vous aurez tout loisir d'aborder ces sujets dans le cadre de l'examen du projet de loi « Climat résilience ».

- Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président -

Dans le projet de loi de finances pour 2021, vous avez bien voulu voter une augmentation sans précédent des moyens du ministère de la transition écologique, en particulier pour la biodiversité, avec une enveloppe considérablement augmentée de 28,5 millions d'euros, une hausse de la dotation de 10 millions d'euros pour l'OFB, un renforcement d'un million d'euros des mesures de cohabitation entre les grands prédateurs et le pastoralisme. Le plan de relance prévoit aussi des budgets sans précédent : 300 millions d'euros pour l'eau et 250 millions pour la biodiversité, nous permettant d'accélérer les restaurations écologiques, la mise en place d'aires protégées, la protection du littoral ou encore le renforcement des barrages, tout en donnant du travail aux entreprises françaises. Côté moyens humains, l'augmentation de 40 ETP soulagera les parcs naturels marins et soutiendra la montée en puissance du parc national de forêts.

Le congrès mondial pour la nature de l'UICN se tiendra du 3 au 11 septembre à Marseille ; la COP 15 Biodiversité se tiendra à Kunming, en Chine, du 11 au 24 octobre suivants ; la perspective de la présidence française de l'Union européenne au premier semestre 2022 nous oblige à être irréprochables - un certain nombre de contentieux devront ainsi être réglés d'ici là - mais nous invite aussi à repenser nos partenariats, car seule l'action commune nous garantira d'atteindre nos objectifs.

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