Merci beaucoup Madame la sénatrice, merci aux délégations de mener ces travaux qui sont nécessaires car, comme le montrent les résultats de l'étude que je vais vous présenter et qui a été menée sur la base d'un questionnaire que nous a adressé votre délégation, les femmes élues de la ruralité sont effectivement aux prises avec des enjeux particuliers. Avant de présenter cette étude, je voudrais aussi saluer cette recherche d'égalité et cette attention portée aux femmes dans la ruralité. Cette notion d'égalité est pour nous toutes et tous très importante. Cela se traduit d'ailleurs aujourd'hui par le fait qu'en France, nous avons des lois sur la parité qui sont absolument uniques au monde, je tiens à le saluer. Nous nous inscrivons dans une direction que je trouve très positive. Nous avançons de manière très volontaire et ambitieuse sur ces sujets, dont celui de la lutte contre les violences conjugales qui vient d'être évoqué. Je salue le travail parlementaire qui contribue à cette recherche constante d'égalité entre nos concitoyennes et concitoyens.
Elueslocales.fr est un organisme de formation des élues qui anime en parallèle un réseau de femmes élues. Nous formons à peu près 1 000 femmes élues tous les ans et nous avons un réseau d'ambassadrices locales constitué d'environ trente ambassadrices, lesquelles sont bénévoles dans les départements, qui animent des réseaux et qui font vivre cette question de la place des femmes en politique et de l'égalité entre les femmes et les hommes dans leurs territoires. Nous avons aussi bien des réseaux situés dans des zones très urbaines que des réseaux très ruraux, puisque dans la ruralité en particulier, les femmes éprouvent encore plus le besoin de se retrouver, de se regrouper et de partager leurs expériences.
Je vais projeter un document présentant quelques constats et résultats de l'étude. La première question du questionnaire de la délégation, relayé auprès des femmes élues adhérentes de notre réseau, était celle des difficultés qu'elles rencontraient dans leur vie politique et il m'a paru intéressant de vous en citer quelques-unes. « À quelles difficultés particulières avez-vous été confrontée dans votre parcours d'élue ? ». La première difficulté évoquée concerne l'attribution genrée des délégations au niveau local. Un témoignage anonyme nous dit : « Je note un sexisme ambiant. Les postes à enjeux financiers sont laissés aux hommes ; les femmes n'osent prendre ni ces responsabilités, ni même la parole en assemblée ». La maire d'une commune de 200 habitants dans l'Isère nous dit : « Parfois, on me donne moins de crédibilité sur des sujets liés à l'urbanisme ou aux réseaux ». Les femmes témoignent aussi d'un réseau politique manquant. Une adjointe, dans une ville de 800 habitants dans la Haute-Vienne nous dit : « Difficultés à s'intégrer dans un monde d'élus masculins qui tissent plus facilement des relations entre eux », et je crois que cela a été très bien illustré par les témoignages que nous venons d'entendre. Les arbitrages vie privée-vie professionnelle sont plus complexes pour les femmes élues, dans la ruralité comme ailleurs. L'adjointe d'une ville de 5 000 habitants dans la Haute-Vienne nous dit : « Difficulté temporelle sur les heures de réunions, impossibilité de me rendre aussi disponible que les situations l'exigent ». Une vice-présidente d'EPCI dans le Calvados qui est aussi maire d'une commune de 900 habitants nous dit : « Le rythme et les horaires rendent compliquée une vie de famille classique » et là encore, ce témoignage en recoupe d'autres que nous venons d'entendre.
Les femmes élues témoignent également d'un sexisme vécu au quotidien, voire de conflits et de menaces. Dans l'Indre-et-Loire, une élue d'une ville de 2 000 habitants et vice-présidente de sa communauté de communes nous dit : « Ils m'ont envoyé des hommes tenter des intimidations à la limite de la menace, me dire ouvertement que ma présence était due aux quotas. Je suis une femme, donc forcément je ne peux pas comprendre. ». Elle continue sur une tonalité très ironique : « Ne pas comprendre que je souhaite être présente aux réunions de chantier de la crèche pour laquelle j'ai monté tout le dossier, ne pas être conviée aux réunions, être obligée de me maquiller et de me « saper », car sinon on me prenait pour la technicienne », une question que toutes les femmes en politique se sont posée. Dans les Ardennes, une adjointe dans un village de 50 habitants nous dit : « J'ai été insultée, diffamée, on a également tenté de m'intimider ; oui, cela est dû au fait que je sois une femme élue ». Enfin, une conseillère municipale d'opposition, dans une ville plus importante de 15 000 habitants, nous dit : « Comme je suis une femme et relativement jeune, il est indéniable qu'on prend moins de gants avec moi qu'avec mes collègues hommes. Les conseils municipaux sont dignes d'une cour de récréation, on me coupe le micro et la parole, on se moque de moi, on rigole, on m'écarte de toutes les commissions ». Ces problèmes recoupent ceux rencontrés par les femmes dans la vie politique en général, dans la ruralité comme en milieu urbain, et ils sont amplifiés par la moindre présence des femmes dans les EPCI dans les zones rurales, dans lesquels en général seuls les maires sont appelés à siéger.
Le deuxième axe qui croise ces difficultés a trait à la question de la ruralité. La question suivante a été posée : « Compte-tenu de votre connaissance de terrain, quelle politique locale jugez-vous plus nécessaire pour améliorer la vie des femmes et des familles dans votre territoire? ». Les premières réponses qui ressortent sont liées à l'accès à l'emploi et, de manière générale, à la mobilité, à la possibilité de faire garder ses enfants et à la lutte contre les violences faites aux femmes. Les femmes déclarent en très grande majorité cette difficulté de l'accès à l'emploi, celle de l'accueil des jeunes enfants qui constitue un frein pour le retour à l'emploi, de la mobilité, de l'accès au permis de conduire et de l'offre de transport, et de la lutte contre les violences faites aux femmes. Ces problèmes recoupent évidemment celui de la ruralité en général mais sont accentués par le fait que les femmes sont confrontées, en raison de la maternité, à des difficultés particulières et qu'elles occupent plus souvent les emplois les plus précaires. La question des bonnes pratiques locales a également été posée lors de cette étude, à laquelle ont répondu soixante-dix-sept élues : « Quelles sont les bonnes pratiques que vous avez mises en place dans votre territoire en faveur des femmes de manière générale ? ». Les bonnes pratiques recoupent toutes les problématiques que nous venons d'évoquer. Parlons d'abord des bonnes pratiques s'agissant de la mobilité. Les exemples évoqués sont le co-voiturage, des navettes-bus itinérantes à horaires réservables, des chèques-déplacements ou encore des navettes gratuites. La maire d'une commune du Rhône de 3 000 habitants nous dit : « Co-voiturage privé pour rejoindre la gare, accueil gratuit des enfants pour les plus précaires, groupes de parents pour assurer l'aller et le retour de l'école ». Dans une ville de 3 000 habitants, une adjointe dans le Vaucluse nous dit : « Accueil et service public itinérant ». D'autres témoignages soulignent les réseaux d'entraide, le co-voiturage, l'accès aux services publics pour effectuer les démarches en faveur de l'emploi. La garde des enfants reste un problème universel qui se pose de façon particulièrement forte dans la ruralité. Dans l'Indre-et-Loire, il nous est dit : « Monter une crèche et surtout informer de ce mode de garde dont le coût est indexé sur leurs moyens, ce qui permet aux femmes de retourner à l'emploi ». Une conseillère départementale des Côtes-d'Armor nous dit : « La garde d'enfants pour les familles monoparentales pour pouvoir retourner à l'emploi avec les acteurs de l'insertion du département, la mise en place du schéma départemental des services aux familles avec des thèmes dédiés sur ce sujet sur tout le territoire ». Une élue anonyme en début de mandat nous dit : « Dans mon village en ce qui concerne le programme de garde des enfants, je pense à une recherche de solutions avec trois villages voisins pour une éventuelle mutualisation des services à créer ». Enfin, le sujet des violences conjugales revient comme nous l'avons dit de manière assez prégnante. Les élus nous disent : « Soutenir le festival «Femmes en campagne» qui a pour objectif de mettre en lumière les femmes du territoire, monter des cafés de femmes pour libérer la parole ». Une autre élue, maire d'un village de 3 000 habitants en Gironde, nous dit : « Formation des agents municipaux à l'accueil des femmes maltraitées, réflexion autour de la construction d'habitats transitoires pour les familles monoparentales ». En Guyane, une élue témoigne de la mise en place d'un hébergement d'urgence dans chaque commune en passant des partenariats avec des structures d'hébergement existantes, le temps de construire des budgets et des structures propres aux collectivités. Enfin, dans les Yvelines, sont évoquées des « réunions de cercles de femmes dans le cadre d'une association locale, des rendez-vous autour d'un verre uniquement pour les femmes qui peuvent plus librement parler d'elles, des groupes Facebook pour échanger nos expériences, se rendre service, être solidaires ».
Nous sommes confrontés ici à une double problématique et il faut mener une double action en parallèle si nous souhaitons faire avancer la cause des femmes dans la ruralité. La première a trait au fait que la représentation des femmes en politique et l'accès à l'emploi, la mobilité et à une bonne qualité de vie dans la ruralité vont de pair. Les femmes dans la vie politique défendent les droits des femmes et ont des expériences de vie qui leur permettent peut-être de prioriser certains sujets par rapport à d'autres. Il y a donc une double action à mener. La promotion des femmes dans la vie politique locale passe par plusieurs des actions qui ont été évoquées ce matin et avec lesquelles nous sommes tout à fait en accord : la question d'un scrutin de liste à promouvoir dans les villes de moins de 1 000 habitants. Il faudrait un scrutin de liste qui permette de laisser des listes incomplètes dans les petites communes. Il faut par ailleurs mener une réflexion très complexe sur les EPCI, dont les équilibres sont complexes et dont le fonctionnement démocratique est encore récent. Je ne peux qu'appeler Mesdames et Messieurs les sénatrices et les sénateurs ici présents à porter attention au fait que le projet de loi dit « 4D », prenne en considération cette question de l'amélioration de la parité dans les EPCI.
Le deuxième axe d'action consiste à porter, dans toutes les réformes envisagées dans la ruralité, une attention particulière aux femmes, d'encourager et accompagner le développement des services publics ; développer les modes de garde, des mobilités, l'accès à l'emploi et à l'autonomie financière, émotionnelle et psychologique ; et enfin favoriser au maximum et soutenir les associations qui s'engagent pour que la parole des femmes se libère.