Merci monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs et sénatrices, d'avoir invité l'AGS pour éclairer les débats et les préconisations que vous serez amenés à faire à l'issue de vos travaux.
Je me livrerai tout d'abord à une petite introduction sur l'AGS et la situation actuelle. Vous connaissez les chiffres, monsieur le président vous les avez rappelés. Nous, acteurs de ce secteur, les confirmons. 60 000 défaillances d'entreprises avaient été constatées en 2008, pour 30 000 en 2020. C'est donc un nombre moindre que pendant la crise de 2008. Si l'on compare 2020 par rapport à 2019, il y a eu également moins de défaillances d'entreprises. L'intervention de l'AGS est en baisse de 34 % sur les dossiers traités et de 20 % sur les sommes que nous avons versées, entre 2019 et 2020. Par conséquent clairement, l'économie est clairement sous perfusion du fait du dispositif de soutien à l'économie qu'il fallait mettre en place pendant cette période compliquée de la crise de la COVID 19. Tels sont les chiffres.
Le soutien de l'AGS s'est élevé à 1,2 milliard d'euros en 2020, le paiement des salaires concernant environ 140 000 personnes. Par conséquent, l'AGS joue un rôle extrêmement important d'amortisseur social au cours de la période, et d'aide aux salariés, au bénéfice desquels elle intervient exclusivement. Il est intéressant de préciser que 86 % des dossiers concernent des entreprises de moins de dix personnes, dont 50 % d'entreprises d'un à deux salariés. C'est important pour vos travaux, au regard des mesures à mettre en place pour atténuer la sortie de crise.
Un autre point important tient au fait que 68 % des dossiers entrent directement en liquidation judiciaire sans passer par le redressement judiciaire, la prévention ou l'amiable. Cela en dit long sur la confiance que peuvent avoir les patrons de PME et TPE dans la façon dont fonctionne le système actuellement. Nous pourrons en reparler.
En définitive, les chiffres vont clairement dans le sens d'une diminution. Nous partageons donc vos prévisions pour 2021, monsieur le président. En 2021 en revanche, nous anticipons une augmentation des défaillances d'entreprises, mais probablement pas au premier trimestre. Nos chiffres de janvier confirment la tendance de 2020, c'est-à-dire une baisse du nombre de défaillances d'entreprises en janvier 2021 par rapport à janvier 2019, c'est-à-dire toujours la même tendance à la baisse de 30 %. Je ne dispose pas des chiffres de fin février, mais vraisemblablement la tendance sera similaire. Par conséquent, l'augmentation du nombre de défaillances d'entreprises sera liée à la sortie du Prêt Garanti par l'Etat (PGE) et du chômage partiel, ainsi qu'à la fin du décalage de paiement des différentes taxes.
Selon les prévisions effectuées par quatre acteurs - l'AGS, l'Unedic, Rexecode et Advolis - les paiements effectués par l'AGS devraient s'élever à 2,5 milliards d'euros après les échéances précitées (à mettre au regard du montant d'1,2 milliard d'euros payé en 2020) c'est-à-dire une très forte augmentation. Comme cela l'a été indiqué dans la presse, ces anticipations ont conduit l'AGS, à souscrire un emprunt d'1 à 2 milliards d'euros de droit à tirage, en fonction des besoins. Par conséquent, l'AGS s'est mise en position d'absorber l'augmentation des défaillances d'entreprises, que nous prévoyons à partir du deuxième trimestre 2021 et peut-être jusqu'au premier trimestre 2022.
Le régime AGS a été conçu en 1973 à la suite de l'affaire Lipp. Les salariés ne pouvaient plus être payés en raison de l'absence de trésorerie dans l'entreprise. Ce fut un drame, car les salariés n'étant pas payés tout en appartenant à l'entreprise, ils ne pouvaient pas toucher le chômage puisqu'ils n'étaient pas licenciés. Par conséquent, le législateur a décidé de mettre en place un outil très simple permettant de payer l'AGS. Cet outil est à destination des salariés, et uniquement de ceux-ci. Nous répondrons tout à l'heure à votre question 6 sur les ordonnances actuelles. L'AGS ne paie pas les frais de justice. L'équilibre du régime est basé sur deux éléments : les cotisations des entreprises et les récupérations effectuées sur les avances consenties aux salariés. Ce point est très important à comprendre. Ce régime ne coûte absolument rien à l'Etat. Il est équilibré grâce aux cotisations et récupérations, et ne pèse pas non plus sur les salariés puisqu'il est basé sur les cotisations patronales.
En définitive, ce régime extrêmement efficace et généreux est unique en Europe. Cette efficacité provient notamment du fait que nous payons les salaires dès que l'administrateur le sollicite, entre J+1 et J+5 alors que la loi nous y oblige entre J+5 et J+8. Notre indicateur de réactivité est donc très élevé, dans l'intérêt même des salariés. De plus, l'AGS verse jusqu'à 80 000 euros par salarié alors que les systèmes européens, quand ils existent, n'excèdent pas des versements de 30 000 euros. Enfin, le système de l'AGS est très vertueux puisqu'il n'entraîne aucune charge pour l'Etat. Il est nécessaire de le protéger car il rend service et joue un rôle essentiel d'amortisseur social. Il faudra compter sur l'AGS en 2021 et 2022, au moment où la sortie de crise risque d'occasionner des difficultés.
Le fonctionnement du système est simple. A l'occasion d'une procédure collective, lorsque les salariés ne peuvent être payés du fait de l'absence de trésorerie disponible, l'AGS intervient immédiatement. Ce faisant, elle se substitue à l'entreprise et prend la créance du salarié. En France, les salariés disposent d'un superprivilège, ce qui signifie qu'ils sont payés avant tous les autres créanciers de l'entreprise. En d'autres termes, l'AGS prend le rang des salariés dans l'ordre des créances et récupère les avances qui ont été faites. En moyenne, nous récupérons 47 % des avances sur 1,5 milliard d'euros, l'équilibre étant constitué de 700 à 800 millions d'euros de cotisations. Tel est l'équilibre du système dont nous pouvons collectivement être fiers, et qu'il convient de conserver.
Je dirai à présent quelques mots sur les ordonnances, au sujet desquelles vous m'avez interrogé, et qui changent la donne par rapport au système actuel. Ces textes entendent faire passer les frais de justice avant l'AGS, ce qui financièrement peut nous amener à une perte de l'ordre de 200 à 300 millions d'euros. Au regard de l'équilibre du régime et de l'emprunt que nous avons contracté, cette somme est très importante. Sur trois ans, elle représente 900 millions d'euros, soit le montant de la tranche de l'emprunt que nous rembourserons en 2023. La vraie question est de savoir si l'on veut faire passer les frais de justice, non contrôlés et en augmentation croissante, avant l'AGS donc avant les salariés. Il faut donc revenir aux fondamentaux. Politiquement, que veut-on faire avec le régime ? A-t-il vocation ou non à payer les frais de justice ? Bien sûr, la réponse est négative aujourd'hui. Pour changer, il sera nécessaire de modifier la façon dont est équilibré le régime.
Mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai pris un peu plus de dix minutes. Je répondrai à vos questions.