Intervention de Yannick Ollivier

Délégation aux entreprises — Réunion du 4 mars 2021 à 9h00
Table ronde sur les : « difficultés des tpe et pme dans la crise : comment franchir le cap du 1er semestre 2021 ? »

Yannick Ollivier, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes :

Merci de nous donner aussi la parole sur ce sujet effectivement très important pour nous. Je m'exprime à double titre, en tant que président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) et en tant que dirigeant d'un cCabinet d'expertise comptable de région couvrant de 25 000 à 30 000 entreprises, notamment des TPE et PME de territoires. Dans cette dynamique, j'ai à la fois le regard des cCommissaires aux comptes et leurs remontées de terrain, et mes propres constats sur les difficultés des entreprises dans les territoires.

J'ai été membre de la Commission présidée par Georges Richelme. J'ai eu, à cette occasion, la possibilité d'exprimer un certain nombre de messages. L'enjeu est très clair. Les entreprises sont aujourd'hui sous perfusion, et tout cessera progressivement. Selon nous, une problématique très concrète du terrain doit être résolue. Nous pensons que le sujet n'est pas de réformer et transformer les dispositifs existants, judiciaires ou non-judiciaires, parce qu'ils fonctionneraient moins bien. Nous avons la chance, dans notre pays, d'avoir ces dispositifs qui ont du sens et accompagnent les entreprises pour sortir de leurs difficultés, même s'ils sont perfectibles. Selon nous, le problème se situe davantage en amont. Nous nous trouvons face à des dirigeants entrepreneurs, pour lesquels il conviendra d'identifier le plus tôt possible la situation dans laquelle ils sortiront de la crise, pour les orienter rapidement vers les bons dispositifs et les amener à prendre les bonnes décisions. Certains entrepreneurs ont totalement pris la mesure du problème, d'autres sont dans le déni. Parfois, ces dirigeants sont tellement choqués par les évènements qu'ils ont subis (arrêts d'activité, situation dégradée au cours des mois...) qu'il n'est pas simple pour eux de se remettre dans une perspective d'avenir. C'est pourquoi nous sommes intimement convaincus de l'enjeu d'accompagner ces entrepreneurs le plus rapidement possible sur les actions à mettre en place.

Un autre effort important devra consister à assainir le système. Toutes les entreprises ne pourront pas être sauvées, de sorte que nous devrons en tirer les conséquences rapidement pour ne pas qu'elles « vivotent » pendant des mois. Il convient en effet d'éviter de provoquer des effets négatifs pour les entreprises qui ont encore de vraies chances de redémarrer, même si elles ont été fortement impactées par la crise de la COVID. Par conséquent, nous devrons flécher les entrepreneurs vers les bonnes décisions pour faciliter la reprise, et dans le même temps donner à voir leur situation réelle à celles qui n'ont plus aucune chance d'accéder à cette reprise. Dans cette optique, les experts-comptables ont un rôle de présence sur le terrain pour sensibiliser et conseiller les entreprises. Notre rôle de cCommissaire aux comptes est quelque peu différent, à la frontière du droit et de l'économie. Il consiste, pour assainir les situations, à créer une sorte de point de passage permettant le bon fléchage des entreprises. A l'occasion des nombreuses auditions que nous avons eues dans le cadre de la Commission Richelme, nous avons compris que les dispositifs autour des « signaux faibles » avaient du sens. Nous disposons les outils pour déceler que telle entreprise est plus ou moins concernée par les difficultés. Néanmoins, il faut déterminer qui sur le terrain, fait le lien, la courroie de transmission entre l'ensemble de ces outils. C'est pourquoi nous avons estimé nécessaire, dans la période d'urgence des mois à venir, avec des enjeux de solidarité, d'enclencher une dynamique de sensibilisation, d'orientation et d'information. Cette dynamique a d'ailleurs été portée par William Nahum, avec la coopération pleine et entière de la CNCC et par les experts-comptables. Nous pensons en outre que l'enjeu de la reprise et l'enjeu de la prévention sont intimement liés. Les entreprises doivent en effet pouvoir rassurer leur environnement. Un fournisseur n'augmentera pas ses encours s'il n'a pas été ré-assuré sur la santé financière de son client. Les entreprises devront par conséquent pouvoir démontrer qu'elles ont mis en place les bons dispositifs pour redémarrer. Ce faisant, elles rassureront leurs financeurs et pourront bénéficier d'accompagnements sur mesure. Nous commençons à l'heure actuelle à négocier avec les banquiers et nos clients les modalités de sortie et d'amortissement du PGE.

Il y a un vrai débat de fond entre les entreprises et les banques pour gérer la transition, celle-ci n'ayant de sens que si l'entreprise a une chance de s'en sortir. Forts de notre devoir d'alerte de cCommissaire aux comptes, nous avons considéré pouvoir intervenir, peu important la taille de l'entreprise dès lors que celle-ci souhaite s'appuyer sur une mission de cCommissaireriat aux comptes pour démontrer à son environnement sa bonne santé financière ou, à tout le moins, qu'elle a mis en place des dispositifs appropriés. Il est en effet important que cet environnement (banque, bailleur...) ait des repères. En définitive, nous avons couplé cette mission concrète d'une mission de prévention des difficultés, pour faire une information auprès des acteurs compétents et mettre en place le plus vite possible les dispositifs vers les bonnes solutions. L'important est d'aller vite. Cette dimension temporelle doit permettre de se tourner vers les professionnels de terrain proches des entrepreneurs, pour orienter et assainir le système économique. Il s'agit d'un réel enjeu.

Je pense que nous devrons avoir l'honnêteté et la lucidité d'accepter que nous pourrons sauver un certain nombre d'entreprises en agissant tôt. D'autres ne pourront en revanche pas être sauvées, et il nous appartiendra de ne pas les laisser vivoter.

Un autre élément entre dans cette réflexion des mois à venir : l'arrêté des comptes 2020 des entreprises. Nous savons déjà que ces comptes seront mauvais, ce qui représentera une double peine. En effet, nombre d'entreprises ont subi des pertes d'activité et de rentabilité, donc des déficits, de sorte qu'elles présenteront une situation financière dégradée. A cela s'ajoutera le fait que lae COVID a créé de l'incertitude ayant joué sur la présentation bilancielle de certaines entités. Je pense notamment à certaines valorisations de fonds de commerce. Nous ne parlons pas ici des grandes entreprises, mais évoquons l'enjeu des TPE et PME. La double peine serait d'avoir connu une année difficile et de devoir redémarrer, dans un contexte où les financeurs ne les suivraient pas en raison de leurs comptes dégradés. Ici encore, une réflexion doit être menée sur la façon dont les professionnels du chiffre et du droit pourraient aider les entreprises à communiquer au-delà de leurs comptes 2020, sur leur situation actuelle, sur des éléments de carnets de commandes, de ratios financiers et sur des éléments de dispositifs mis en place pour rassurer leurs partenaires. La confiance des acteurs sera en effet l'un des piliers essentiels de cette période de reprise économique.

Selon nous, une solidarité et la mise en place d'une réflexion commune autour de la sensibilisation des entrepreneurs sur leurs enjeux devra se mettre en place. Je donnerai un exemple très concret. En tant qu'expert-comptable, notre cCabinet a envoyé il y a quelques semaines une note d'information à nos clients, leur offrant la possibilité de faire un premier diagnostic gratuit. L'objectif était de les avertir de la prochaine fin de la période de perfusion, et d'échanger avec eux sur leur stratégie de sortie. Les statistiques de retour sur cette démarche sont assez inquiétantes, ce qui démontre que nos clients ne se situent pas encore dans la phase de redémarrage. Ils ont encore dans la phase de gestion de l'urgence et d'inquiétude. L'essentiel de nos interventions actuelles consiste à faire du soutien psychologique et à les rassurer, à les orienter vers les bonnes aides. Nos clients sont très en demande d'informations sur le renouvellement de leur PGE et sur leur avenir. Nous possédons une partie des éléments de réponse, mais pas la totalité. C'est pourquoi nous les accompagnons dans cette phase d'inquiétude, pour les aider à entrer dans une phase où ils pourront se projeter. Cette dynamique de redémarrage constitue un enjeu important, pour donner les moyens aux entrepreneurs d'être dans de bonnes dispositions. Pour ce faire, la coordination la plus pertinente possible doit s'engager entre les acteurs de terrain, experts-comptables, avocats et commissaires aux comptes des entreprises. Il est important que nous jouions ce rôle d'accompagnement, mais aussi de « tamis ». Nous, commissaires aux comptes, avons cette expérience qui n'est pas toujours facile, mais qui correspond à notre mission d'intérêt général. Il nous appartient de faire un diagnostic de la situation des entreprises qui, s'il est positif, leur permettra de s'en prévaloir vis-à-vis des tiers et de redémarrer. Si le diagnostic est négatif, nous avons le devoir de favoriser le bon fonctionnement de notre système de sécurisation et d'assainissement en orientant les entrepreneurs, de manière plus ou moins contraignante, vers les bons dispositifs, notamment judiciaires. C'est très important. Nous avons beaucoup travaillé et mis l'accent sur cette zone des mois à venir. Pour répondre directement à votre question sur ce qui va se passer, c'est précisément l'orientation, l'information des entreprises et l'assainissement de notre système au service d'une reprise économique durable que nous mettrons en oeuvre. Nous éviterons aussi l'accumulation du crédit inter-entreprises, qui nous inquiète beaucoup car il génèrera des impayés. Nous devons absolument éviter de laisser les entreprises vivoter trop longtemps, retardant en cela la bonne dynamique et augmentant les passifs, pour finalement faire intervenir les AGS.

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