Intervention de Christian Nibourel

Délégation aux entreprises — Réunion du 4 mars 2021 à 9h00
Table ronde sur les : « difficultés des tpe et pme dans la crise : comment franchir le cap du 1er semestre 2021 ? »

Christian Nibourel, président de l'AGS (régime de Garantie des Salaires) :

L'intervention du sénateur est extrêmement claire, et nous ne pouvons qu'y souscrire. Nous n'y allons pas avec des pincettes. Vous avez raison de souligner que l'ensemble des acteurs sociaux sont opposés à l'ordonnance. C'est pourquoi je demande vraiment aux sénateurs de nous soutenir dans notre démarche. Cette ordonnance ne saurait passer. Si malgré tout elle était promulguée, vous avez raison sur le fait qu'à terme, le régime pourrait être mis en danger. De toute façon, une augmentation structurelle (et non conjoncturelle) des cotisations des entreprises s'avèrera nécessaire. La conjoncture nous amènera à verser 2,3 milliards d'euros à 2,5 milliards d'euros dans les prochaines années. Ce n'est pas l'argent de l'Etat, puisque cela ne lui coûte rien. Pourquoi dans une période de crise économique, remettre en cause un système très généreux et fonctionnant parfaitement ? C'est inadmissible. Aujourd'hui, on n'adresse pas les bons problèmes. Je suis d'accord avec vous, Monsieur le sénateur, sur le fait que nous soyons à fleuret moucheté sur certains sujets, faute de poser les bonnes questions. La vraie question est de savoir si nous voulons payer les salariés après les frais de justice. Pour nous, la réponse est négative car ce n'est pas l'origine du système : l'AGS représente les salariés, et non les frais de justice.

Le deuxième point est de savoir si les frais de justice, tant décriés en raison de leur absence de contrôle et de leur constante augmentation - de l'avis même de la Cour des Comptes et des diverses commissions d'enquête parlementaires - doivent primer. Il ne sert à rien de prétendre que la réforme ne changera rien, et que les salariés seront nécessairement payés. Ici, nous parlons d'une somme de 2,5 milliards d'euros en provenance des AGS, et qui ne coûtent rien à personne. J'ai été dans le monde patronal pendant longtemps, mais je ne connaissais pas le détail de ce mécanisme. C'est pourquoi il est vrai que nous devrons faire front violemment contre l'ordonnance.

Les patrons ont-ils confiance dans la justice commerciale ? La réponse est négative, même si tout le monde joue parfaitement son rôle. Les patrons craignent littéralement de voir leur entreprise « pillée » dès lors qu'ils confieront son avenir à cette justice commerciale. Bien sûr, il ne faut pas être caricatural. Pour retrouver la confiance des patrons, il convient de faire preuve de transparence sur les honoraires et sur l'ensemble des frais, y compris dans les procédures amiables.

Par ailleurs, je milite pour revoir le système actuel dans son ensemble, dans l'optique de retrouver la confiance des chefs d'entreprise. 68 % des entreprises entrent directement en liquidation judiciaire, ce qui est loin d'être satisfaisant. De plus, une quantité infinitésimale d'entreprises entrées en redressement, retournent à une situation saine. Ce n'est pas acceptable. Je suis prêt à mener immédiatement cette réflexion de fond, sans passer ces petits raccords initiés par Bruxelles. Un médiateur est en passe d'être nommé, mais j'imagine mal son domaine d'intervention.

En conclusion, il faut refuser l'ordonnance et enclencher sans tarder une réflexion de fond et ce dans l'intérêt de chacune des parties prenantes, administrateurs, mandataires, salariés et patrons. Il n'est pas normal qu'un patron se trouve spolié de son entreprise lorsqu'il est en difficulté. J'insiste sur l'aberration consistant, en période de crise, à réformer un système qui a fait ses preuves. Nous devons en outre être transparents sur le mode de calcul des frais de justice et sur leur contrôle. En tout état de cause, quels sont les moyens des tribunaux de commerce pour éviter la liquidation directe des entreprises et les amener au redressement ? Le tribunal de commerce de Lyon dispose d'un budget de fonctionnement de 24 000 euros. Que peut-il faire avec ce budget ? Je connais les taux horaires et journaliers. A 800 euros de l'heure, il n'y a plus de budget en trente jours.

Je récuse l'idée selon laquelle les honoraires seraient contrôlés. Ils le sont jusqu'à 100 000 euros dans des cas bien précis, mais lorsque parfois ces honoraires dépassent 900 000 euros, comment est justifiée cette différence de 800 000 euros ? Ce sont des honoraires à l'acte. Qui les contrôle ? Ce sont les magistrats en théorie, alors qu'ils n'ont pas les moyens de ce contrôle. Je ne prétends pas que le travail ne mérite pas 900 000 euros d'honoraires. Je suggère simplement la plus grande transparence afin de pouvoir mesurer si ce travail a été effectif, s'il a rendu service à l'entreprise et s'il n'a pas été surestimé. La fausse valeur ajoutée doit être condamnée. Plus les frais de justice sont élevés et plus la créance de l'AGS est dégradée, alors qu'elle devrait intervenir en premier rang. Les autres créances voient également leur rang baisser, et finalement le patron qui a perdu l'intégralité de son capital souffre. L'absence de transparence est inadmissible.

J'espère que le Sénat prendra à coeur ce sujet et fera en sorte de faire cesser cette ineptie. Quelle que soit la position de Bruxelles, nous ne devons pas porter atteinte au seul système qui fonctionne en Europe.

Enfin en écoutant Patrice Duceau, je pense que l'AGS pourrait également intervenir conventionnellement, y compris pour procéder à un abandon de créance. Je rappelle que nous ne récupérons en effet que 47 à 50 % des sommes. L'AGS va d'ailleurs au-delà de ses prérogatives. Cette année, le cConseil d'administration a décidé de payer les salariés au chômage partiel lorsque leur entreprise était en redressement judiciaire. Nous n'étions pas tenus de le faire, mais nous avons eu à coeur l'intérêt des salariés. Notre seul objectif est d'aider les entreprises à améliorer leur situation et peut-être, d'intervenir en prévention. Ce sujet reste à discuter.

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