Intervention de Bénédicte Moutin

Délégation aux entreprises — Réunion du 11 mars 2021 à 9h00
Audition plénière — Table ronde avec les syndicats de salariés

Bénédicte Moutin, secrétaire confédérale de la CFDT :

Le questionnaire que vous nous avez envoyé sera le fil conducteur de mon propos liminaire. Au cours des dernières années, les entreprises ont fait l'objet d'une très forte digitalisation ayant des répercussions majeures sur l'organisation et les conditions du travail. De nouveaux modes de management ou d'organisation du travail, comme le lean management et le lean manufacturing, sont apparus. Face à cette numérisation, les entreprises ont réagi très différemment en fonction de leur maturité : certaines en sont encore aux balbutiements, tandis que d'autres ont engagé des projets d'intelligence artificielle. Nous avons également assisté durant cette période à un fort développement du travail en free-lance des indépendants - qui ne le sont pas toujours... Le travail collaboratif s'est développé - avec parfois une injonction en ce sens -, ainsi que l'aménagement, la diversification du travail, et bien sûr le télétravail. Ces éléments ont trois points communs : la place prépondérante des technologies qui sont toujours en évolution, la multiplication des réorganisations de l'entreprise et du travail, enfin, le fort questionnement autour des pratiques managériales.

L'émergence de nouveaux modes de travail du fait de la digitalisation conduit à des modifications non seulement des conditions ergonomiques du travail ou des relations entre collègues et avec le management, mais aussi du profil de l'activité, avec des conséquences sur la santé des salariés. À cet égard, la mise en place massive du télétravail lors du dernier confinement a été éclairante pour mieux appréhender les avantages et les difficultés rencontrées. On s'est rendu compte qu'une formation aux seuls outils numériques ne suffisait pas pour le télétravail, qui requiert également un lieu adapté. Ces conclusions figurent largement dans le diagnostic paritaire et dans l'ANI du 26 novembre 2020 pour une mise en oeuvre réussie du télétravail.

Le bilan de l'ANI du 19 juin 2013, intitulé Vers une politique d'amélioration de la qualité de vie au travail et de l'égalité professionnelle, est assez contrasté. Il a posé un certain nombre de fondamentaux de la qualité de vie dans le monde du travail, mais il ne leur a pas véritablement permis de dépasser l'approche conceptuelle de cette notion. Plusieurs facteurs expliquent cette situation : la limitation de la durée de l'accord à trois ans ; une frilosité quant au dialogue social ; des approches parfois limitées concernant les obligations de l'employeur, par exemple sur l'égalité professionnelle ou le handicap ; surtout, une situation réelle de l'entreprise très éloignée des objectifs visés pour la qualité de vie au travail. Ces nouveaux enjeux ne sont pas si simples à prendre en considération ; ils nécessitent une volonté commune de l'ensemble des acteurs concernés.

On pourrait penser que les grandes entreprises sont plus vertueuses en la matière. C'est sûrement vrai, mais des entreprises moyennes peuvent tout à fait s'inscrire dans une démarche positive, par pragmatisme ou par besoin de productivité. On le constate pour la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), ou encore pour l'attractivité et la fidélisation des travailleurs.

J'en viens à l'ANI du 9 décembre 2020 pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail. La CFDT a participé activement à sa négociation et l'a signé. Cet accord comprend des principes porteurs de sens autour de la culture de prévention, l'opérationnalité et l'accompagnement des entreprises. Ce sont des notions essentielles pour la santé au travail, qui était auparavant plus souvent abordée sous l'angle non pas de la prévention, mais de la réparation.

L'ANI tend à considérer les risques organisationnels comme des risques professionnels. Il réaffirme l'importance de la qualité de vie et des conditions de travail. Il est aussi question de l'offre des services de santé au travail, notamment l'accompagnement des risques professionnels, et de l'élaboration du document unique d'évaluation des risques.

Reste à préciser et renforcer l'accompagnement des entreprises à l'appui du réseau Anact-Aract, qui est l'opérateur le plus à même de porter ces questions. La proposition de loi, telle qu'elle a été adoptée à l'Assemblée nationale en première lecture, est respectueuse de l'ANI. Il faudrait néanmoins transcrire dans le droit la prévention primaire ou la culture de prévention, et préciser la mesure de l'implication des branches professionnelles, dont le rôle est prépondérant.

J'évoquerai maintenant les risques psychosociaux dans les entreprises. Malgré les nombreuses études sur le sujet, ces troubles représentent toujours une difficulté et sont souvent imputés à la vie privée. Sans intervenir dans le champ personnel, il faut prévenir les risques psychosociaux liés au travail, associer les travailleurs au dialogue professionnel qui doit s'étendre aux aléas de production, aux contraintes et aux ressources disponibles, à la différence entre le travail prescrit et le travail réel. L'autonomie du salarié et la qualité de vie au travail sont essentielles. Or il est aujourd'hui très difficile de poser un diagnostic partagé, qui serait le bon levier pour résoudre ces questions.

Les risques psychosociaux donnent lieu depuis 2002 à une obligation des entreprises. Or nombre d'entre elles ne sont pas dotées du document unique d'évaluation des risques. Et quand celui-ci existe, il n'a pas été mis à jour depuis longtemps ou est considéré comme un document administratif sans lien avec la vie dans l'entreprise. Le respect de cette obligation est pourtant indispensable en vue de la traçabilité des risques et pour progresser en matière de prévention. Pour ce faire, l'accompagnement des entreprises est nécessaire, comme indiqué dans l'ANI du 9 décembre 2020.

Pour conclure, j'apporterai quelques précisions sur l'évolution des modalités de travail en raison de la crise sanitaire. L'équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle a été remis en cause, et le caractère essentiel de certains métiers, jusqu'alors peu reconnus, a été mis en exergue, à l'heure où les indicateurs de référence semblent de moins en moins pertinents. Depuis les années 1970, on assiste à l'effacement du travail, phénomène qui s'est longtemps limité à des problématiques d'attractivité des métiers, des attentes très fortes des salariés concernant leurs conditions de travail et l'aspiration des jeunes générations à privilégier le contenu de leur travail et la possibilité de réalisation qu'il offre.

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