Intervention de Gérard Mardiné

Délégation aux entreprises — Réunion du 11 mars 2021 à 9h00
Audition plénière — Table ronde avec les syndicats de salariés

Gérard Mardiné, secrétaire général de la CFE-CGC :

Nous vous remettrons des réponses écrites au questionnaire que vous nous avez remis. À titre liminaire, je prendrai un peu de hauteur sur ce sujet passionnant et très important pour le monde du travail et la société française dans son ensemble : nous devons construire une activité économique plus responsable et durable, privilégier l'intérêt général, consolider la cohésion sociale et contribuer à la construction d'un avenir enviable pour notre jeunesse.

Je situerai le contexte général de l'activité économique qui a conduit aux évolutions récentes des conditions d'exercice et de la rémunération du travail. L'économie et les aspects sociaux du travail sont les deux faces d'une même pièce, cohérentes et interconnectées.

Parmi les différents paramètres que vous exposez, je retiendrai surtout la numérisation, l'externalisation, les plateformes et l'impératif de RSE. Vous soulignez que les entreprises sont confrontées à une forte évolution des modes de travail, ce qui sous-entend que les organisations, y compris les administrations, ne peuvent s'adapter que de manière contrainte à ces différentes évolutions. Certains nouveaux modes de travail et de management ne seraient-ils pas plutôt de nouvelles modes insufflées par des cabinets de conseil en vue d'une meilleure productivité ?

Par ailleurs, de nombreuses études réalisées avant la crise sanitaire ont révélé une désaffection croissante pour le management et la prise de responsabilité au sein des entreprises. À cet égard, nous considérons que le management par la confiance au plus haut niveau de l'entreprise devrait être la règle : cela réduirait les risques psychosociaux et favoriserait la qualité et l'efficacité.

La psychologie humaine varie très lentement - contrairement à certains virus qui mutent très rapidement... Mon but n'est pas de redéfinir la pyramide de Maslow, mais il vaut mieux maîtriser les évolutions liées à la technologie, si elles sont bénéfiques, plutôt que de les subir. La contribution du plus grand nombre à l'activité économique doit répondre au besoin de sécurité, permettre de s'accomplir et de se projeter dans l'avenir. C'est indispensable pour garantir la cohésion sociale et l'efficacité collective. C'est pourquoi la précarisation d'un nombre croissant d'emplois est une impasse - je pense aux travailleurs des plateformes.

L'activité économique doit se trouver au point d'équilibre entre la nécessaire satisfaction des aspirations individuelles et la cohésion sociale au service de l'efficacité collective, tout en minimisant les externalités négatives. Grâce à cet objectif, nous pourrions remédier aux causes de nombreux problèmes au sein du monde du travail. Or actuellement, nous posons des rustines en traitant les conséquences des difficultés au lieu de leurs causes. Et la recherche d'une flexibilité toujours accrue conforte notre déni. Je pense à la loi Travail de 2016, assortie des ordonnances de 2017, qui visait un modèle de « flexisécurité ». Ce fut un échec : beaucoup de jeunes ont du mal à se projeter dans l'avenir, ce qui témoigne des difficultés qui affectent toute la société française.

S'agissant de questions importantes telles que l'implantation en France ou à l'étranger, les options stratégiques ou encore le partage de la valeur créée, le dialogue social n'est pas franchement loyal. La loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, dont nous attendions qu'elle introduise beaucoup plus d'exigences à l'égard de la gouvernance d'entreprise, a été une occasion manquée. C'est pourquoi nous appelons de nos voeux d'autres mesures, y compris une meilleure représentation des salariés.

L'exemple des travailleurs des plateformes est éloquent : à la suite du rapport Frouin, on a essayé de définir des rustines pour les doter d'une protection sociale minimale. Ces mesures vont dans le bon sens, mais elles ne traitent pas le problème à la base pour donner satisfaction à long terme.

Le modèle de l'entreprise agile, censé répondre aux besoins d'une vie qui s'accélère, est aujourd'hui assez largement rejeté. Il faut dire qu'il relève plus souvent du funambulisme que d'une réelle recherche d'efficacité collective. La « réactique » est une force quand elle sert à pallier les vrais imprévus, une faiblesse quand elle ne fait que compenser un manque d'organisation.

La CFE-CGC est très attachée au progrès technologique, à condition qu'il bénéficie au plus grand nombre et que son intégration soit maîtrisée. Les pionniers des plateformes d'intermédiation de type Uber ont profité du manque d'acculturation des autorités régulatrices pour se livrer à certains abus.

Sur le télétravail, un équilibre doit être trouvé entre le confort qu'il peut parfois apporter, l'efficacité collective et la vie sociale. Nous avons signé l'accord national interprofessionnel (ANI) de fin 2020, mais il faut à présent réussir à le déployer dans les entreprises.

L'intelligence artificielle pourrait jouer un rôle majeur dans le monde du travail à l'avenir. Elle doit selon nous être conçue comme un outil d'aide à la décision, et non comme un système décisionnel à part entière, sauf peut-être dans un nombre limité de cas.

Un autre ANI signé en 2020 matérialise le besoin d'un cadre spécifique pour un exercice efficace et durable des fonctions de management. L'encadrement intermédiaire est indispensable à une bonne organisation de l'activité économique, les décisions devant être prises au niveau adapté.

La proposition de loi sur la santé au travail qui sera débattue au Sénat au printemps nous semble transcrire de façon incomplète l'ANI de janvier 2021. Le texte issu de l'Assemblée nationale ne met pas suffisamment l'accent sur la prévention primaire, et il ne semble plus faire de la téléconsultation pour les visites de médecine du travail une exception. Il renvoie par ailleurs à des ordonnances certains sujets qui mériteraient selon nous un vrai débat parlementaire, comme la fusion entre l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail et les associations régionales (Anact-Aract).

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