Intervention de Pascale Coton

Délégation aux entreprises — Réunion du 11 mars 2021 à 9h00
Audition plénière — Table ronde avec les syndicats de salariés

Pascale Coton, vice-présidente confédérale de la CFTC :

La crise sanitaire et le recours au télétravail ont des effets délétères sur la santé des travailleurs. Nous espérons que ce régime d'exception ne deviendra pas la norme, à l'heure où de grands groupes sont tentés de recourir massivement et durablement au télétravail. Telle n'était pas la philosophie de l'ANI signé fin 2020.

En revanche, dans le secteur médico-social, la crise a eu au moins un effet positif, en contraignant l'administration à confier dans l'urgence les clés de l'organisation du travail aux soignants, c'est-à-dire à ceux qui connaissent réellement la fonction. C'est au demeurant l'un des déterminants de la qualité de vie au travail (QVT) portée par la CFTC : permettre aux salariés de s'impliquer et de dialoguer sur leurs conditions de travail à travers des espaces d'expression dédiés.

Ces dernières années, nous avons vu apparaître de nouvelles formes d'emplois qui bouleversent notre conception de la protection sociale en général et de la prévention des risques en particulier. Les travailleurs des plateformes sont ainsi particulièrement exposés aux risques professionnels, mais ils sont dépourvus de couverture sociale et de suivi médical.

La CFTC est particulièrement attachée à la notion de QVT au sens de l'ANI de 2013, qui doit permettre de concilier l'amélioration des conditions de travail des salariés et la performance globale des entreprises.

Notre bilan de la négociation sur cette thématique dans les entreprises comme dans les branches est pourtant mitigé.

L'ANI de 2013 proposait une approche systémique et avant-gardiste de la QVT, incitant les entreprises à adopter une démarche transversale et surtout stratégique des questions de santé au travail. La loi Rebsamen du 17 août 2015 a intégré la notion de QVT dans le code du travail, mais selon une approche beaucoup plus restrictive que celle de l'ANI.

Quelques centaines d'entreprises, le plus souvent de grande taille, ont mené des négociations sur la QVT, mais beaucoup se montrent encore trop frileuses. Les employeurs et les représentants du personnel sont souvent démunis face à un sujet protéiforme qui englobe des thématiques aussi diverses que le contenu du travail, l'environnement physique ou la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée. Nous regrettons que la plupart des entreprises se contentent de négociations tiroirs portant sur les risques psychosociaux, le télétravail et les conditions de vie au travail. Nous avons une approche plus ambitieuse de la qualité de vie au travail.

La négociation sur la QVT, source de gains, de performance et d'innovation dans les entreprises, doit être renforcée. Réglementairement, l'accord de 2013 n'était valable que pour trois ans, et il n'a bénéficié d'aucun suivi dans sa mise en oeuvre. Nous regrettons l'introduction a minima de la QVT dans le code du travail et nous avons appelé, en juin 2018, à renégocier l'ANI de 2013, en mettant en place un comité de suivi.

La CFTC a signé l'accord interprofessionnel du 9 décembre 2020 pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et de conditions de travail. Cet accord comporte des avancées sur la traçabilité du risque, notamment grâce à la conservation des versions successives du document unique, la place accordée à la prévention de la désinsertion professionnelle ou encore la mention des risques organisationnels. Pourtant, nous restons sur notre faim, notamment concernant la prévention primaire. La CFTC était beaucoup plus ambitieuse, allant jusqu'à proposer de consacrer l'aptitude du poste de travail à accueillir tous les salariés et à préserver leur santé, plutôt que l'aptitude d'une personne à occuper un poste.

Les troubles psychosociaux se situent à un niveau très élevé depuis de nombreuses années. S'ils sont mieux détectés et déclarés depuis 2010, ils ne sont toujours pas bien prévenus et reconnus. Les troubles psychosociaux peuvent être reconnus au titre des accidents du travail : on compte 20 000 reconnaissances en France chaque année, et ces chiffres ne cessent malheureusement d'augmenter. Toutefois, il n'existe pas à ce jour de tableau des maladies psychiques professionnelles. La prise en charge de ces affections relève du système complémentaire des affections hors tableau, sous réserve d'un niveau de gravité très élevé - décès ou incapacité prévisible d'au moins 25 %. Malgré ces obstacles, le nombre de demandes de reconnaissance de maladies psychiques a été multiplié par cinq en cinq ans. Pour améliorer la reconnaissance de ces troubles, la CFTC milite pour que le tableau des maladies professionnelles soit adapté pour reconnaître les maladies psychosociales. En attendant, nous militons pour un assouplissement des règles de reconnaissance par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) en abaissant le taux d'incapacité prévisible à 10 %.

Les TPE-PME constituent un point aveugle pour la prévention des risques en général. Elles sont pour la plupart dépourvues d'instances de dialogue social et ne se sentent pas concernées par la prévention, d'autant plus que le taux de cotisation des entreprises de moins de 20 salariés à la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) est forfaitaire. Très peu de TPE sont par ailleurs dotées d'un service RH.

Nous militons donc pour la création d'instances de dialogue social dédiées à ces questions au niveau des bassins d'emplois, sur le modèle des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI). Les branches professionnelles devraient également prendre leur part en créant des commissions spécifiques dédiées aux questions de santé au travail.

Par ailleurs, les dirigeants de ces TPE-PME sont souvent exposés aux mêmes risques que leurs salariés. S'ils ne sont pas eux-mêmes salariés, ils ne bénéficient d'aucun suivi médical. La prévention des risques dans ces entreprises n'apparaît pas comme une priorité, alors même qu'elles sont particulièrement exposées.

Les services de santé au travail, premiers interlocuteurs des entreprises, doivent renforcer leur sensibilisation aux risques psychosociaux, en plus de les assister à la création de leur document unique et de leur plan de prévention des risques.

La CFTC souligne aussi le rôle crucial du manager de proximité, véritable chef d'orchestre dont l'activité doit être repositionnée sur la conduite et l'organisation du travail de ses équipes.

Concernant le document unique d'évaluation des risques professionnels (Duerp), beaucoup d'entreprises n'ont pas encore compris son intérêt, alors qu'il est absolument primordial. Il faut vraiment réussir à convaincre les employeurs du bienfait économique de la prévention.

Nous le disons depuis des années, les inspections du travail manquent cruellement de personnels, pénalisant la récolte des informations sur le terrain.

À notre sens, la prévention primaire et la traçabilité du risque chimique n'ont pas été suffisamment investies par la proposition de loi en cours d'examen. La CFTC est attachée à un très haut niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, quels que soient leur secteur d'activité et la taille de leur entreprise. La traçabilité du risque chimique ne nous semble toujours pas satisfaisante et entraîne une sous-déclaration très importante, notamment des cancers professionnels.

Enfin, nous aurions préféré que la présente mission intervienne avant le début de l'examen parlementaire du projet de réforme de la santé au travail.

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