Intervention de Fabrice Angei

Délégation aux entreprises — Réunion du 11 mars 2021 à 9h00
Audition plénière — Table ronde avec les syndicats de salariés

Fabrice Angei, secrétaire confédéral de la CGT :

Lors d'un colloque sur la digitalisation organisé par le syndicat des avocats de France, l'évolution des conditions de travail d'une équipe chargée de la rédaction des pages cuisine d'un magazine féminin a été retracée. Les rédactrices, qui écrivaient autrefois l'essentiel des textes, ont été promues cheffes de rubrique, mais leur rôle se limite désormais à commander des textes à des pigistes au statut précaire. Les secrétaires de rédaction se limitent à de la correction orthographique, leur logiciel interdisant tout retour en arrière. Les iconographes, limités par la baisse du budget acquisitions, doivent le plus souvent se contenter d'images gratuites. Les maquettistes utilisent pour leur part des gabarits semi-automatiques et montent les pages à la chaîne, leur rôle se limitant à quelques clics de souris.

Cette nouvelle organisation du travail, qui s'appuie sur la numérisation, concourt finalement à une attrition des métiers et à une altération du fonctionnement collectif, les échanges entre salariés se réduisant. Parallèlement, les gains de productivité ont été considérables, avec une division par six des effectifs en trente ans.

Cette tendance est générale. Que l'on parle d'e-management, de new management ou d'« entreprise libérée », il s'agit toujours de faire primer une gestion financière de court terme au détriment du professionnalisme. L'entreprise est exclusivement orientée vers le profit, le travail est affadi et la santé des personnels se dégrade.

Le travail « ubérisé » au service des plateformes constitue le point extrême de cette évolution : chacun est affecté à une micro tâche sans percevoir réellement le sens de son action, le statut de salarié est remis en cause. En fait de modernisation, c'est un retour en arrière vers un travail à la tâche.

Moderniser, rationaliser, évaluer la qualité du service rendu et la performance des agents ou des salariés : ce modèle n'a toutefois pas tenu le choc face à la crise sanitaire, car il ne peut se substituer à la performance globale et durable des entreprises.

Face à l'accroissement des exigences en termes de qualité, de délais, de flexibilité, de coût et d'innovation, les équipes demandent plus de soutien et de coordination de leur activité. Le rôle de l'encadrement de proximité est fondamental.

Un travail de coconstruction doit être entrepris entre tous les acteurs pour envisager des solutions plus riches, plus innovantes et plus écologiques. Il est heureux que l'accord européen sur le numérique de 2020 promeuve une telle méthode pour bâtir les futures organisations du travail et mettre en place des garde-fous en termes de sécurisation de l'emploi, de droit à la déconnexion, de formation et de dignité humaine.

Sur la santé, les négociations obligatoires sur la QVT n'ont pas tenu leurs promesses, car elles oublient trop souvent de s'attaquer à la charge de travail, à son contenu et son organisation.

En termes de santé au travail, on tend aussi à passer d'une obligation de résultat à une obligation de moyens de l'employeur. C'est manifeste dans l'accord sur le télétravail, et c'est aussi pourquoi la CGT ne l'a pas signé, outre son absence de caractère normatif.

On voit aussi que l'activité professionnelle empiète progressivement sur tous les temps de vie. L'intensification du travail, couplée aux transformations numériques, rend difficile la préservation de l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle.

Il faut rendre effectif le droit à la déconnexion et faire en sorte que chaque salarié soit couvert par une instance dédiée à la santé au travail, quelle que soit la taille de l'entreprise.

L'évolution de l'organisation du travail interroge la finalité même de l'entreprise. Pour nous, la loi Pacte ne va pas assez loin. Nous avions présenté un projet, « L'entreprise autrement », qui ne se limitait pas à augmenter le nombre de représentants des salariés au sein des conseils d'administration, mais à les reconnaître comme partie prenante du processus de création de richesses. On voit par exemple que dans les entreprises de production automobile, les méthodes de management et la recherche effrénée du profit conduisent à un taux de rebut très important, ce qui ne constitue finalement pas un système très performant.

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