Intervention de Laurie Pinel

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 18 mars 2021 : 1ère réunion
Audition de mmes laurie pinel chargée d'études au bureau jeunesse famille de la drees et yaëlle amsellem-mainguy sociologue chargée de recherche à l'injep

Laurie Pinel, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) :

chargée d'études au Bureau Jeunesse Famille de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES). - Bonjour à toutes et à tous. Je vais m'attacher à vous présenter les différents constats que nous avons pu tirer d'une étude sur les conditions de vie des jeunes femmes en zone rurale. Nous souhaitions nous pencher sur les inégalités qu'elles pouvaient subir par rapport aux jeunes urbaines, mais aussi par rapport aux jeunes hommes ruraux, à l'intersection entre un effet de territoire et un effet de genre. Je ne vous présenterai pas les inégalités classiques entre les jeunes hommes et les jeunes femmes, mais les inégalités spécifiques aux territoires ruraux.

La Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) est un service ministériel évoluant dans le champ de la santé et du social. Elle a pour mission prioritaire de répondre aux demandes de ses ministères de tutelle, les ministères sociaux, mais aussi de fournir des informations fiables et des analyses sur la population et les politiques sanitaires et sociales. C'est dans ce cadre que nous avons réalisé notre étude sur les jeunes femmes rurales. Elle est assise sur des données d'une enquête de la DREES et de l'INSEE portant sur les ressources des jeunes. Nous avons utilisé une définition du rural spécifique à la DREES, et non la définition officielle de l'INSEE.

Vous pouvez observer sur la carte projetée plusieurs nuances de vert. Elles représentent les différentes formes de ruralité que nous avons mises en avant. Je ne les ai pas distinguées dans mon étude. Elles sont différenciées par la densité de population du territoire, mais également par la dynamique du territoire environnant, en termes de mobilité possible ou de dynamique d'emploi par exemple. Une ville peu dense, mais proche d'un pôle urbain dynamique, ne sera pas nécessairement considérée comme un territoire rural.

Cette enquête a interrogé des jeunes de 18 à 24 ans. 1,2 million des cinq millions de jeunes de cette tranche d'âge vivaient en milieu rural au moment de l'enquête. Nous avons supposé qu'une grande majorité de ceux dont les parents vivent également en zone rurale y ont passé une grande partie de leur enfance et adolescence. Nous avons constaté que seuls 2 % des jeunes vivant en territoire rural avaient des parents vivant en zone urbaine. Nous avons également observé une sous-représentation des femmes parmi ces jeunes de 18 à 24 ans qui vivent en milieu rural : en effet, 45% sont des filles, alors qu'en zone urbaine on compte autant de filles que de garçons. Cela s'explique par le fait que les filles quittent plus souvent ces territoires (du moins sur cette tranche d'âge), a priori pour poursuivre des études ou trouver un premier emploi : 12% des filles en zone urbaine (environ 8 % des garçons) ont leurs parents qui vivent en zone rurale. Dit autrement, cela représente trois filles de parents en zone rurale sur dix contre deux garçons sur dix. Concernant les spécificités de leur trajectoire scolaire, je n'aborderai pas ici les inégalités avec les jeunes hommes ruraux, puisque nous les retrouvons par ailleurs en zone urbaine. Les filles font toujours plus d'études que les garçons à l'heure actuelle. Nous constatons toutefois qu'elles sont moins souvent en cours d'études que les jeunes filles en zone urbaine, et qu'elles suivent des études plus courtes. Nous l'expliquons par plusieurs hypothèses. D'une part, les formations proposées en zone rurale correspondent plus souvent à des licences professionnelles, des BTS, des instituts de formation en soins infirmiers par exemple et des instituts universitaires technologiques (IUT), c'est-à-dire de manière générale à de l'enseignement technologique et professionnalisant. Ces formations sont mieux réparties sur l'ensemble du territoire, notamment dans les zones rurales, et permettent ainsi aux jeunes femmes de limiter les coûts de mobilité, mais aussi affectifs et financiers. D'autre part, ce type de formations est généralement considéré comme plus professionnalisant et favorisant une meilleure insertion professionnelle, ce qu'elles recherchent.

Sur le marché de l'emploi, nous constatons que les opportunités offertes en territoire rural relèvent souvent d'un travail peu qualifié pour lequel l'investissement dans un diplôme ne serait pas particulièrement rentable, ce qui peut également expliquer le fait que ces jeunes femmes fassent moins d'études que les jeunes femmes urbaines.

S'agissant des jeunes femmes déjà sorties des études, nous constatons que les jeunes femmes rurales occupent aussi fréquemment un emploi que les jeunes urbaines, à caractéristiques égales : même origine sociale, même diplôme, même âge... Le fait qu'elles occupent des emplois plus précaires en termes d'horaires, de chômage ou de contrats n'est pas directement lié au territoire, mais plutôt à leurs trajectoires scolaires.

D'un autre côté, les jeunes femmes rurales s'insèrent moins bien sur le marché du travail que leurs homologues masculins alors que ces inégalités ne sont pas directement visibles chez les urbains. Les jeunes femmes rurales sont plus souvent au chômage que leurs homologues masculins. Elles déclarent également moins souvent que les jeunes hommes ruraux avoir été aidées, par leurs parents notamment, dans leurs recherches d'un premier emploi. Il est intéressant de le souligner, puisque nous parlons souvent de l'importance du réseau et de la sociabilité à ce niveau. On observe ainsi ici une inégalité de genre visible, qui n'est pas présente dans les zones urbaines où ce type de démarches est moins fréquent (de l'ordre de 20 %) et où la différence est relativement peu marquée entre hommes et femmes. S'agissant de la vie sociale des jeunes femmes rurales, sans que ce facteur n'influe directement sur leur trajectoire scolaire ou professionnelle, un peu moins ambitieuse et peut-être plus contrainte, nous avons remarqué que les jeunes rurales étaient plus souvent en couple que les jeunes urbaines, et qu'elles cohabitaient plus souvent avec leur partenaire. Nous ne l'avons pas constaté chez les jeunes hommes ruraux, ce qui s'explique par le fait que ces jeunes femmes sont souvent en couple avec des hommes plus âgés qu'elles d'environ deux ans et demi.

Elles déclarent dépenser sensiblement autant pour leurs sorties que les urbaines, mais davantage pour les activités sportives (autant que leurs homologues masculins), deux fois moins pour effectuer des voyages à l'étranger que les jeunes femmes urbaines, moins que les jeunes hommes ruraux. Lorsque nous leur demandons si elles ont l'impression de se priver de ce type de loisirs, elles ne manifestent pas une plus grande frustration. Elles peuvent avoir intériorisé le manque d'offre en la matière, ou avoir des attentes différentes. Les enquêtes de terrain permettent de répondre à ce genre d'hypothèses.

En résumé, nous avons constaté qu'en milieu rural, les jeunes femmes présentaient des différences marquées par rapport aux jeunes urbaines s'agissant de leur trajectoire solaire, mais pas de différences spécifiques au seul territoire par rapport à leurs homologues masculins. Nous avons en revanche observé que les divergences en termes d'insertion sur le marché du travail entre les femmes des différentes zones n'étaient pas dues au territoire, mais plutôt à leurs caractéristiques propres, tandis que celles que nous observons avec les jeunes hommes ruraux semblent être liées à la fois à une inégalité de genre et à un effet de territoire. Nous avons noté que ces jeunes filles étaient plutôt avancées dans leur vie sociale et qu'elles ne présentaient pas de frustration particulière.

En conclusion, je souhaite évoquer devant vous « celles qui partent », qui quittent leur territoire rural. Nous avons constaté une proportion plus importante de jeunes femmes de 20 à 24 ans parmi celles qui partent. Elles sont aussi plus souvent en cours d'études que les jeunes restées en zone rurale. Elles peuvent avoir démarré leur cursus sur leur territoire avant de déménager pour le poursuivre ou pour rejoindre un premier emploi. Nous avons été surpris de réaliser qu'elles n'étaient pas issues d'un milieu plus favorisé que celles qui ne quittaient pas le milieu rural. Elles viennent souvent d'un milieu populaire, comme la majorité des jeunes vivant en zones rurales. Elles semblent plus avancées dans leur processus d'autonomie et sont encore plus souvent en couple que les jeunes rurales. Elles sont aussi plus souvent totalement décohabitantes de leurs parents, en ne rentrant pas chez eux le week-end.

Merci pour votre attention. Je me tiens à votre disposition si vous avez des questions.

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