Je ne pourrai répondre que sur les sujets sur lesquels j'ai travaillé. Une prochaine enquête à l'INJEP pourrait s'intéresser aux filles qui ont quitté leur territoire. Il peut être intéressant de se pencher sur ces femmes qui partent pour leurs études ou pour le travail, qu'elles reviennent ou non. J'en ai rencontré certaines, qui se retrouvent et se reconnaissent dans leurs parcours universitaires. Elles font corps ensemble et partagent leur éloignement par rapport aux filles de la ville qui possèdent leurs propres codes et leur propre socialisation. Mon enquête ne permet pas de disposer d'éléments sur ces questions.
La plupart des données sur les parents nouvellement installés concernent des personnes elles-mêmes issues du milieu rural. Je n'ai pas assisté à l'installation de ce qu'on peut appeler rapidement des néo-ruraux sur un territoire. Je ne peux donc pas la documenter. J'ai en revanche constaté l'implantation et la façon de gagner en notoriété et en notabilité locale pour ceux qui ne sont pas originaires d'un territoire donné et la manière d'accéder au réseau et à l'interconnaissance, en passant par l'implication dans une association, le bénévolat, le fait d'avoir un père pompier volontaire ou autre par exemple.
Dans cette enquête, nous voyons que la question de l'espace public est peu problématisée. Lorsque j'ai exposé mon projet dans les collectivités auprès des élus, ils m'ont demandé pourquoi je souhaitais mener une étude sur les filles. Je leur ai expliqué que lorsque les jeunes sont interrogés, ce sont le plus souvent les garçons qui le sont, puisqu'ils sont occupés, participent aux clubs, associations sportives, ou qu'ils font du bruit et prennent de la place dans l'espace visible de la ville ou du village. Les filles, quant à elles, ne dérangent pas ou peu. Elles n'ont pas autant de motos ou de scooters que les garçons. Elles seraient moins concernées par les problématiques d'alcool dans l'espace public. Elles demandent moins de city stades et occupent donc moins l'espace public par leurs activités physiques ou sportives. Elles s'y retrouvent donc moins. Pour autant, nous observons que les garçons utilisent ces espaces et que les filles y sont bien souvent aussi. Même en tant que spectatrices, elles n'ont pas de place, alors même que cette position d'observatrices pourrait les inviter à pratiquer tel ou tel sport.
Comme je le disais, les questions portant sur les jeunes dans les territoires s'orientent toujours vers les garçons. Mais où sont les filles ? Que font-elles ? Lorsque j'en parle aux élus locaux, ils prennent conscience de la situation. Les filles occupent les espaces intérieurs. Elles investissent un peu plus le scolaire et jouent davantage le jeu de l'école, ce qui inquiète moins les adultes. Elles posent moins de problèmes de gestion du bruit et inspirent moins de crainte. Elles sont donc moins visibles dans les discours publics et sociaux.
Enfin, le sujet de la faible invitation au départ est souvent revenu lorsque les filles interrogées évoquaient la possibilité ou le devoir de s'en aller, y compris à La Réunion. Cette question se retrouve du côté des parents et des enfants. Pour laisser sa fille partir, il faut déjà avoir fait cette expérimentation à l'occasion d'un séjour avec l'école ou d'une colonie de vacances. Ce processus de départ pourrait être enclenché en amont pour qu'il se déroule au mieux.
Cette situation est à son paroxysme dans cet exemple où une jeune fille a priori heureuse d'entrer en internat en septembre, malgré ses appréhensions, raconte sa première semaine qui s'est bien déroulée. Elle m'a indiqué que sa mère l'appelait chaque soir en pleurs, car elle ne s'en sortait plus sans elle. Je suis revenue dans ce même établissement trois semaines plus tard et y ai retrouvé cette jeune fille, qui m'a alors expliqué avoir quitté l'internat et ne pas savoir si elle pourrait mener sa formation à son terme, car sa mère ne pouvait pas faire face seule à cette situation. Elles ne s'étaient jamais quittées. Par cet exemple, un peu extrême, on constate l'importance de construire avec les parents et en particulier les mères, le départ progressif. Elle ne peut pas être portée uniquement par les jeunes si les adultes ne sont pas prêts et ne peuvent pas accompagner ces départs.
Je n'ai pas d'éléments mobilisables dans mon enquête concernant les maternités précoces. Je n'ai pas particulièrement rencontré de jeunes filles dans ces situations.
Concernant le contrôle social sur les fréquentations des filles, leurs tenues, leurs relations, il existe en milieu rural comme ailleurs. Il est des groupes qu'il est possible de fréquenter, et d'autres non. Les fréquentations des filles et leur réseau de sociabilité seront importants dans leur réputation locale, mais résonneront également avec la réputation de leur famille. Il peut être reproché aux parents de ne pas avoir réussi à tenir leur fille, comme il sera reproché à ces dernières de ne pas savoir tenir leur copain en cas de bagarre ou de problèmes d'alcool par exemple.
J'ai pu constater l'importance de la pérennité des équipes professionnelles de travailleurs sociaux et de jeunesse sur les territoires au regard de la rotation permanente dans certains lieux d'écoute car s'il n'est pas évident d'exposer sa vie une fois, il est encore plus compliqué de le faire régulièrement. J'ai vu des animatrices devenir plus importantes que certaines conseillères d'orientation dans la trajectoire des jeunes femmes, car elles les avaient suivies depuis leur enfance et à travers leur adolescence, jusqu'à leur entrée dans l'âge adulte. Les filles reviennent alors devant le centre de loisirs ou le centre social pour présenter leurs enfants ou leur conjoint, raconter leurs déboires professionnels... Elles connaissent une adulte à qui elles peuvent décrire le territoire sans avoir besoin de tout raconter.