Sur l'effectivité des droits fondamentaux, certaines voies juridictionnelles mériteraient d'être envisagées, comme je l'ai déjà indiqué. Il faut également s'interroger sur l'attitude de l'État vis-à-vis de l'outre-mer et sur la révision des procédures internes au Gouvernement central, quant à la manière dont les textes sont préparés et celle dont les intérêts des outre-mer sont pris en compte. Sur ce plan, de nombreux progrès restent à accomplir. Le problème est ancien et il est difficile d'empêcher l'administration d'être jacobine, conformiste, voire parfois cartiériste, en l'absence d'un ministère des outre-mer disposant d'une administration puissante et non d'une simple direction unique : ainsi, le ministère des sports, dont je ne minimise pas l'importance, dispose de quatre directions, alors que le ministère des outre-mer n'en dispose que d'une... Les questions à traiter sont pourtant sans commune mesure entre ces deux départements ministériels. Sans souhaiter le rétablissement du ministère de la France d'outre-mer, doté dans les années cinquante de services nombreux et de grande compétence, des efforts devraient être faits pour rendre à la rue Oudinot, sans doute pas sa splendeur d'antan mais au moins l'efficacité qu'elle a perdue en 2008 au nom d'une « RGPP » (révision générale des politiques publiques) qui n'a en réalité profité qu'à la place Beauvau, laquelle a réalisé les économies d'emploi qui lui étaient imparties en sacrifiant les effectifs des services de la nouvelle DGOM.
Tous les ministères n'éprouvent pas le même intérêt pour les questions ultramarines : si le ministre des outre-mer ne dispose pas de moyens suffisants pour mener sa politique, personne ne le fera à sa place. Au-delà des aspects juridiques, nous sommes donc confrontés à des problèmes de pratique administrative et de gouvernance qui ne sont toujours pas résolus depuis la sinistre réforme de 2008.
Sur la question des onze statuts ou d'un statut unique à décliner, il n'est pas forcément souhaitable de constitutionnaliser « la commode à onze tiroirs et à double fond » évoquée par le Professeur Mélin-Soucramanien. Prévoir autant d'articles que de collectivités ne serait pas très efficace. Si nous devions prendre le parti de la révision constitutionnelle, il serait préférable d'adopter un socle commun dans le cadre des articles 73 et 74 ou comme le Sénat l'a proposé en ajoutant des articles 72-5, 72-6, etc., ou encore dans un texte annexe à la Constitution mais qui aurait valeur constitutionnelle. Si elle devait être révisée, il faut que la Constitution soit souple et qu'elle ne constitue pas, comme elle a pu le faire en 2003, un obstacle à certaines évolutions. Il faudrait également que les lois organiques déclinant les statuts des onze collectivités soient elles-mêmes adoptées selon des procédures qui donnent à ces dernières une forme de droit de veto. Ce serait également l'occasion de franchir une étape supplémentaire, en donnant aux collectivités le droit de proposer leur statut ou de s'opposer à ce que celui-ci soit modifié sans leur consentement.
Je précise que des procédures de cette nature existent vigueur en Espagne et au Portugal, voire en Italie. Les communautés espagnoles et les régions autonomes portugaises ne peuvent pas voir leurs statuts modifiés sans leur accord. Il existe un système de codécision entre le Parlement et l'assemblée territoriale concernée ou des référendums.
Aujourd'hui, au sein même de l'article 74, il y a toute une échelle d'autonomie et de spécialité, qui commence avec Saint-Pierre-et-Miquelon, collectivité qui est la plus proche du droit commun, et qui s'en éloigne avec la Polynésie, laquelle a pratiquement les compétences de la Nouvelle-Calédonie, soit presque celles d'un État fédéré.
Je crois qu'il n'est pas nécessaire de charger la Constitution de trop de dispositions « territorialisées ». Le cas de la Nouvelle-Calédonie est très particulier : il fallait qu'elle ait un statut réglé par des articles spécifiques, pour autant ces deux articles renvoient à l'accord de Nouméa. Il s'agit d'un long document, qui a valeur constitutionnelle, et qui d'ailleurs déroge à plusieurs règles et principes de la Constitution. C'est plutôt ce type de rédaction qu'il faudrait envisager : des articles constitutionnels à la rédaction souple, renvoyant éventuellement des annexes à la Constitution, tout en laissant au texte fondamental un certain degré de généralité, et sans figer à l'excès les statuts des uns et des autres. Ce serait d'ailleurs contraire à l'idée même d'évolution dans le sens des populations. Elles peuvent souhaiter acquérir un statut d'autonomie et ensuite changer d'avis. Une constitutionnalisation excessive serait sans doute mal venue sur le plan juridique et bien peu pratique.
Je n'ai pas vraiment d'opinion sur la loi 4D, faute d'avoir lu le projet de loi. Cependant, je pense que la plupart des problèmes qui peuvent se poser aujourd'hui aux outre-mer ne sont pas forcément des problèmes de loi ordinaire. Des législations spécifiques peuvent certes être adaptées, au cas par cas, mais la loi ordinaire n'est que de peu de secours. Le statut particulier des outre-mer nécessite une adaptation constitutionnelle dont je comprends la forte valeur symbolique. Je garde ainsi des souvenirs très précis de la question réunionnaise à l'occasion de la révision de 2003.
Toutefois, il est possible d'écrire une révision constitutionnelle qui n'effraie personne. Il faut prendre des précautions et le temps de l'expliquer. C'est le sens des amendements du Sénat.