Je remercie nos deux présidents d'avoir pris l'initiative de cette réunion conjointe. Je salue chaleureusement le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien et Stéphane Diémert. Je n'oublie pas que les ai rencontrés quand j'étais jeune député et que nous avions évoqué le deuxième aliéna du préambule de la Constitution. Plus tard, j'ai vu apparaître un amendement porté par un député de La Réunion et qui a donné lieu à l'intégration des populations et à leur reconnaissance au sein du peuple français. Il y eu aussi une jurisprudence du Conseil constitutionnel sur Mayotte et sur la Corse qui créait deux peuples français et qui posait problème.
Je félicite les deux délégations, aidées pour leurs travaux par des universitaires et des hauts fonctionnaires, tous excellents légistes. J'aimerais associer à ces remerciements Véronique Bertile, qui nous a fourni des pistes et Pierre-Yves Chicot qui, en Guadeloupe, nous accompagne pour l'organisation des congrès des élus locaux.
L'évolution institutionnelle est une question qui suscite des débats passionnés. Vous connaissez ma trajectoire personnelle. Je me suis opposé à la révision constitutionnelle de 2003 parce que j'estimais que les garanties démocratiques offertes par la création d'une assemblée unique ou d'une assemblée délibérante commune n'étaient pas suffisantes. J'étais seul, lâché par tous. Je ne m'étais jamais opposé à une assemblée et dix-sept ans après, je pense qu'il faut évoluer. Nous aurons sans doute des réactions différentes. Après dix ans de départementalisation, Mayotte ne réagira pas comme la Guyane, la Martinique ou la Guadeloupe. Le sujet est d'autant plus sensible que nous sommes à trois mois des élections départementales et régionales. Les partis politiques ont peur d'évoquer la question. En 2015 elle a été éludée et aujourd'hui on nous promet pour 2027 une réforme administrative et organisationnelle, dans le cadre du droit comme en Guyane ou en Martinique.
Je suis convaincu que le sujet ne sera pas évoqué pendant la campagne mais j'ai décidé de le faire avec courage. En 2003 - je rends hommage à l'Université, à Stéphane Diémert et à Didier Maus - nous avions un problème de réflexion préalable. La proposition de Stéphane Diémert présente un texte souple, qui peut être adapté et qui permet une très large autonomie pour les collectivités qui le veulent ou un régime strict de droit commun.
Aujourd'hui, nous avons une offre juridique et une offre légistique. Nous n'allons pas forcer Mayotte ou La Réunion à faire ce qu'elles ne veulent pas faire, nous n'allons pas forcer la Guadeloupe à changer de régime ou d'organisation administrative, le texte est souple. Il donne des garanties en termes de respect des décisions par les assemblées ou par les électeurs, en fonction des thèmes abordés. Ces textes peuvent s'adapter à des opinions publiques qui ont peur mais qui évoluent, comme en Guadeloupe.
Si nous devions convaincre l'électorat, nous perdrions beaucoup de temps. À l'époque, des groupes de travail réfléchissaient sur la manière de donner un vrai pouvoir au Parlement, sans forcément consulter la population sur tous les sujets, pour éviter des refus motivés par la peur. J'ai été l'objet de campagnes de presse en Guadeloupe m'accusant de vouloir dessaisir les populations.
Un rapport a été publié par la délégation sénatoriale aux outre-mer en septembre 2020 et nous devons en faire la promotion. La création de pays d'outre-mer peut être interprétée comme un pas vers l'indépendance, celle des peuples comme des intérêts propres. Il nous reste à faire beaucoup de pédagogie.
Le Gouvernement va-t-il reprendre la réforme constitutionnelle ? L'Assemblée nationale semble voir rester au premier article pour répondre aux demandes de la Convention citoyenne et intégrer la transition climatique, le principe de précaution et passer de la charte de l'environnement au texte même de la Constitution. Je suis gêné par ces perspectives. Pour les outre-mer, ce ne sont pas seulement les articles 73 et 74 qu'il faut modifier. Le deuxième alinéa du préambule doit être revu, comme le dernier alinéa de l'article 53, archaïque, ou encore l'article 75-1 sur les langues régionales, sur la coopération avec les peuples... Je suis convaincu que la modification de la Constitution est un préalable indispensable au changement. Si le Président de la République ne saisit pas le Congrès, il sera difficile pour les collectivités de passer de l'article 73 à l'article 74, de l'identité législative à la spécialité, qui serait interprété par les électeurs comme le passage de la « richesse des DOM » à la « misère des COM ».
En revanche, si une réforme constitutionnelle donne cette plasticité, cette liberté de régime, je vous assure qu'il sera plus facile d'expliquer aux populations qu'elles restent dans le cadre de la République tout en disposant de plus de pouvoirs locaux.
Quand je relis le texte, j'ai l'impression qu'il est fléché vers des assemblées uniques. Or, il faudrait que les collectivités puissent conserver le département et la région dans la déclinaison en loi organique des nouvelles dispositions constitutionnelles. Cette disposition permettrait de rassurer les populations.
Je souhaite que le travail commun de nos deux délégations aboutisse. Le président de la commission des lois François-Noël Buffet et Mathieu Darnaud avaient promis, lors de l'examen de la proposition de loi sur le plein exercice des libertés locales, qu'un groupe de travail serait créé pour réfléchir à la révision constitutionnelle et faire des propositions au Gouvernement. Or, jusqu'à maintenant, rien ne s'est passé. Il est nécessaire de reprendre ce travail et de rassurer les territoires, qui doivent pouvoir conserver leur statut actuel ou évoluer dans le cadre de la République.