Un an après le début de la crise, nous nous interrogeons fortement sur la façon dont nous remplissons nos missions. Les Restos du coeur aidaient environ 900 000 personnes avant la crise, grâce à l'aide de 75 000 bénévoles, dans 2 000 centres en France. Nous distribuons, chaque année, 135 millions de repas.
Nous ne sommes pas seulement une association d'aide alimentaire. L'aide alimentaire est la porte d'entrée vers toute une série d'activités, d'actions d'inclusion sociale : soutien à la recherche d'emploi, accès à la culture, microcrédit, conseil budgétaire, accès au droit, lutte contre la fracture numérique... Nous avons aussi des activités d'insertion : nous gérons une centaine d'ateliers et de chantiers d'insertion ainsi que des centres d'hébergement et des résidences sociales.
La crise précédente, en 2008, s'était traduite, pour les Restos du coeur, par l'arrivée de 25 % de personnes supplémentaires en deux ans. Ce constat nous inquiète beaucoup, car il pourrait préfigurer les conséquences de la crise sociale que nous connaissons actuellement.
Le public reçu par les Restos du Coeur présente deux caractéristiques importantes. La première est sa jeunesse : 40 % des bénéficiaires sont des mineurs et 10 % sont âgés de 18 à 25 ans. Une personne inscrite aux Restos du coeur sur deux a donc moins de 26 ans. La seconde est l'isolement. La moitié des familles que nous recevons sont monoparentales. Dans 90 à 95 % des cas, il s'agit de femmes seules avec enfants. Nous accueillons, globalement, 40 % de personnes seules.
Quel a été l'impact de la crise sanitaire sur notre fonctionnement ? Nous avons bien évidemment été extrêmement perturbés au mois de mars 2020. Nous avons pu continuer notre action moyennant un certain nombre d'adaptations, qui sont autant de dégradations du service rendu, mais qui étaient indispensables pour pouvoir continuer à fonctionner alors qu'une partie de nos bénévoles âgés s'étaient mis en retrait et que nous ne disposions pas de matériel de protection.
Nous avons pu continuer la distribution alimentaire en « drive », avec des colis confectionnés a priori. Cependant, les personnes accueillies n'avaient plus de choix, plus la possibilité de discuter et ne recevaient plus d'accueil.
Par ailleurs, nous avons dû arrêter la plupart des activités d'inclusion et d'aide à la personne, comme le soutien à la recherche d'emploi ou les cours de français, que nous ne pouvions plus proposer dans les conditions habituelles. Toute notre énergie est aujourd'hui concentrée sur le redémarrage de ces activités.
On a beaucoup parlé, durant cette crise, de l'arrivée de nouveaux publics. Ces derniers représentent à peu près 15 % des personnes que nous accueillons. Il s'agit de titulaires de petits boulots ou de CDD, d'intérimaires, d'étudiants, qui travaillaient notamment dans la restauration pour financer leurs études, sans parler des familles qui ont dû nourrir leurs enfants à domicile, les écoles et donc les cantines étant fermées.
Nous avons également des activités de rue. Dans certaines villes, comme à Paris et Toulouse, nous avons observé une très forte augmentation de la fréquentation de nos distributions dans la rue.
Dans quelle situation sommes-nous aujourd'hui ? Nous avons été aidés par les pouvoirs publics et par l'Europe, qui nous ont permis de passer le cap aigu de la crise. Aujourd'hui, nous sommes inquiets pour l'avenir : que va-t-il se passer lorsque les aides publiques aux entreprises s'arrêteront, lorsque la réforme de l'assurance chômage entrera en vigueur ? Tous ces éléments ne sont pas de nature à diminuer la fréquentation des publics des Restos du coeur. Ne va-t-on pas connaître une brutale augmentation du chômage, qui se traduira par celle de la fréquentation de nos centres d'activités ?
En arrière-plan, nous craignons une nouvelle augmentation de 25 % de la fréquentation, comme en 2008.