Intervention de Jean-Baptiste Favatier

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 6 avril 2021 à 14h30
Précarité alimentaire — Audition de Mm. Yves Mérillon et louis cantuel responsables des relations institutionnelles des restos du coeur yann auger directeur général de l'association nationale des épiceries solidaires nicolas champion membre du bureau national du secours populaire français jean-baptiste favatier président de l'ordre de malte - france et claude baland président de la fédération française des banques alimentaires

Jean-Baptiste Favatier, président de l'Ordre de Malte - France :

Je parlerai de ce que fait l'Ordre de Malte en France, tout en rappelant que nous sommes présents dans 26 pays : nous menons des actions alimentaires notamment en Afrique de l'Ouest et dans l'océan Indien.

Nous avons une tradition sanitaire et sociale, car nous intervenons auprès des plus fragiles dans le domaine de la santé et dans celui de l'accompagnement social, y compris alimentaire. Cette approche a guidé la manière dont nous avons lu la crise et dont nous avons adapté nos dispositifs.

En France, l'Ordre de Malte compte 10 établissements médico-sociaux, 110 délégations et 12 000 bénévoles. Nous avons distribué environ 160 000 repas l'année dernière.

L'Ordre de Malte n'a pas l'ampleur d'autres grandes associations, mais il a une spécificité, qui est d'intervenir dans la rue et à partir de la rue, c'est-à-dire dans le dernier maillon, que ce soit sous forme de petits déjeuners, de maraudes alimentaires, via des dispensaires ou des péniches.

Avant le covid, les actions alimentaires que nous menions, à côté des actions sociales et médicales, étaient relativement résiduelles, puisqu'elles représentaient de 10 à 20 % de nos activités. Avec le covid, nous avons tout basculé, sauf le secourisme, en intégrant la dimension alimentaire. Ainsi, nous avons organisé des maraudes spéciales et créé un dispositif sanitaire, social et d'hygiène global, appelé Soli'Malte. Cela a été notre innovation majeure de l'année dernière. Nous avons basculé environ 60 % de nos activités sur des activités avec distribution alimentaire.

Pour ce qui concerne les publics, je ne peux que confirmer ce qui a été dit. Je veux ajouter deux catégories qui n'ont pas été évoquées.

Premièrement, nous commençons à voir arriver dans nos maraudes alimentaires ou les centres de distribution fixes des seniors précaires, âgés de 65 ou 70 ans. C'est la préfiguration d'un énorme choc de précarité à venir du fait du vieillissement de la population. À titre d'exemple, dans notre établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de Saint-Étienne, un dossier d'admission sur deux concerne aujourd'hui des personnes « hyperprécaires », qui n'ont pas de ressources et ne peuvent pas se faire aider par leur famille. Nous sommes en train de réfléchir, dans le cadre de notre nouvelle stratégie, à l'accueil en établissement de ces personnes qui n'ont les moyens de vieillir ni à domicile ni en établissement.

Deuxièmement, au sein de la population sous le seuil de pauvreté se développe la part des personnes en situation d'extrême précarité. Il s'agit d'une tendance lourde que la crise pourrait accélérer. Ces personnes sont quasiment invisibles. Il faut aller les chercher. Elles sont souvent envoyées par des associations de proximité ou par des voisins. Elles n'ont même plus les ressources pour se tourner vers les aides d'urgence. Le nombre de ces hyperprécaires est assez important, bien qu'il soit difficile à évaluer : on peut penser qu'ils sont 300 000 à 400 000.

L'année dernière, nous avons vu arriver les déclassés du covid - il s'agissait souvent de familles - par les problèmes alimentaires, avec des personnes que l'on a pu voir dans certains cas devoir se nourrir dans les poubelles. Leur sentiment d'effondrement psychologique était très important et leur culture de l'aide d'urgence très faible : ils ne disposaient pas d'informations à ce sujet.

Quel a été l'impact du covid ? L'alimentation révèle de nombreux autres besoins, notamment psychologiques, mais également sanitaires. Notre premier souci a été de trouver des réponses de rue qui offrent une solution globale. Nous avons ainsi lancé, avec Soli'Malte, un nouveau type de maraudes. Les unités mobiles dédiées sont actuellement au nombre de 25, mais nous allons les étendre considérablement. Elles associent un professionnel de santé formé aux premiers secours, une distribution alimentaire, des conseils d'hygiène et un accompagnement social. Ce dernier est aujourd'hui réduit à ce que savent faire nos bénévoles, mais nous cherchons à le développer, en partenariat avec les collectivités locales et les grandes institutions, afin de pouvoir embarquer des travailleurs sociaux pour renseigner les personnes fragiles, très éloignées de toute structure institutionnelle, sur leurs droits. L'idée est d'amener le système aux personnes précaires, puisque ces dernières ne vont plus vers le système.

L'une de nos grandes préoccupations à cinq ans est d'organiser dans la rue un véritable système sanitaire et social, avec des réponses pérennes. C'est le changement que doit induire l'évolution quantitative et qualitative de la précarité.

Nous n'avons bénéficié d'aucune aide de la Commission européenne. Nous avons répondu à un appel d'offres pour une douzaine d'épiceries solidaires dans le cadre de France relance, mais nous nous sommes débrouillés tous seuls, sans toucher un centime. Il faut dire que nous ne sommes pas référencés parmi les grandes associations. Pourtant, nous avons travaillé avec de nombreux interlocuteurs, notamment les collectivités locales. Nous avons même été amenés à intervenir pour le compte d'autres associations spécialisées dans la distribution alimentaire, comme la Banque alimentaire, dont les bénévoles sont plus âgés que les nôtres. Les nôtres sont plus jeunes - en tout état de cause, plus jeunes que les personnes considérées comme étant à risque face au covid. Cette action partenariale a permis que les distributions soient maintenues dans certains départements.

Nous avons bénéficié de dons privés, des dons d'entreprises, voire, de manière très résiduelle, de dons de certaines collectivités locales, mais nous sommes restés en dehors des dispositifs d'aide.

La fermeture de centres de distribution fixes a mis dans la rue beaucoup de personnes précaires, qui avaient l'habitude de trouver des points fixes de distribution institutionnelle. Pour nous, l'enjeu est gigantesque. Il faut parvenir à une coordination et une continuité entre associations pour fournir trois repas par jour à tous et sur tout le territoire, même pour ceux qui vivent dans la rue. J'ai très souvent pu observer, au cours des maraudes auxquelles j'ai participé, de tels problèmes de coordination dans la métropole parisienne.

Nous cherchons à monter des architectures en partenariat avec les autres associations localement pour offrir des solutions très avancées, avec différents niveaux de prise en charge, mais cela nécessite une importante coordination. Les collectivités locales doivent en être la cheville ouvrière, du fait de leur proximité et de leur connaissance du tissu associatif. Les centres communaux d'action sociale (CCAS) devraient être le maillon qui, demain, permettra de monter ces architectures. Un projet est en cours à Toulon, associant la mairie et les associations.

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