Je suis accompagné de Barbara Mauvilain, qui est la directrice des relations institutionnelles de la Fédération des banques alimentaires et qui a rédigé une note de treize pages sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui.
Voici les quelques idées que je vais développer : le réseau des 79 banques alimentaires est un outil de redistribution à bon compte pour l'État ; le confinement a accru le besoin d'aide alimentaire ; l'aide alimentaire a été bien soutenue et bien coordonnée par les pouvoirs publics au sens large. Je terminerai par évoquer quelques pistes.
Notre réseau comporte 79 banques alimentaires. Avec les annexes et les antennes, nous disposons de 108 établissements physiques, qui couvrent toute la France. Ce réseau assure 39 % de l'aide alimentaire en France.
Jusqu'au premier confinement, les banques alimentaires distribuaient non pas aux bénéficiaires finaux, mais à 6 011 associations, composées de CCAS, d'épiceries sociales et d'autres associations. En 2020, nous avons redistribué 103 681 tonnes à 2,1 millions de bénéficiaires, soit 224 millions de repas. Concrètement, cela fait 40,3 kilos par bénéficiaire final, soit l'équivalent d'une aide de 96 euros par mois.
Autrement dit, il s'agit d'une délégation de service public qui redistribue beaucoup et à moindre coût. En effet, le réseau coûte 35 millions d'euros par an - rémunération des 567 salariés, frais de location de certains entrepôts et établissements, camions, réparations, etc. Cependant, il redistribue une valeur alimentaire de 442 millions d'euros, principalement grâce à l'action des bénévoles et surtout aux produits qui nous sont donnés. Toutefois, le covid a fait évoluer ces grands principes fondateurs des banques alimentaires.
La crise sanitaire et le premier confinement ont évidemment accru la demande d'aide alimentaire. De mars à fin juin 2020, le volume distribué a augmenté de 20 %, les stocks diminuant de 22 %. Le nombre d'associations partenaires auxquelles nous remettons cette aide alimentaire a augmenté assez fortement, puisqu'il est passé de 5 400 à 6 011 : 48,5 % d'entre elles sont des associations indépendantes, 26,3 % des grands réseaux caritatifs et 25,2 % des centres communaux d'action sociale (CCAS).
Au cours de l'année, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 6 %, tandis que le volume distribué a baissé de 1 %. Les nouveaux publics sont constitués de travailleurs précaires, d'autoentrepreneurs, de sans-abri, d'immigrés, etc. 35 % des personnes aidées ont déclaré avoir recours à l'aide alimentaire depuis moins de 6 mois. On a noté aussi un afflux de familles lorsque les cantines scolaires sont fermées. Nous avons également, à la demande des régions d'Occitanie et de Nouvelle-Aquitaine, distribué directement des colis aux étudiants, contrairement à notre tradition qui veut que l'on ne serve pas directement les destinataires finaux. La moitié des banques alimentaires continuent à servir des associations étudiantes et vingt-trois d'entre elles ont créé des épiceries solidaires à destination des étudiants, en partenariat avec d'autres associations ou avec des collectivités.
Les bénéficiaires de nos aides ont 48 ans en moyenne ; 70 % sont des femmes ; 30 % vivent dans des familles monoparentales ; 85% ont un logement ; plus d'un quart sont des chômeurs, tandis que 70 % de ceux qui ont un emploi travaillent à temps partiel. Leurs ressources financières sont limitées : 71 % disposent de moins de 1 000 euros par mois. Les bénéficiaires déclarent économiser en moyenne 92 euros par mois grâce à nos distributions, ce qui est significatif par rapport à leur revenu moyen de 839 euros.
Les banques alimentaires ont été plutôt bien soutenues par les pouvoirs publics : fonds européens, plan de relance, crédits exceptionnels, etc. Au total, le financement public a augmenté de 48 %. L'État français nous a versé trois subventions « covid » exceptionnelles, pour un montant de 4,948 millions d'euros. Les collectivités locales, aussi bien les régions que les départements et les communes, nous ont aussi aidés. La région Nouvelle-Aquitaine nous a ainsi subventionnés pour distribuer une aide aux étudiants. La région Auvergne-Rhône-Alpes nous a accordé 300 000 euros pour financer des projets innovants visant à distribuer de l'aide alimentaire dans les territoires reculés. La région Hauts-de-France nous a fourni une aide de 224 832 euros, etc. Les départements, les mairies nous ont aussi soutenus. Les aides peuvent être financières ou consister en la mise à disposition d'entrepôts, de locaux, voire d'agents municipaux, comme à Poitiers ou Strasbourg, pour pallier l'effondrement du nombre de nos bénévoles : comme ceux-ci ont, pour deux tiers d'entre eux, plus de 65 ans, on a préféré leur demander d'être prudents et de rester chez eux. On a aussi bénéficié d'aides de l'industrie agroalimentaire et des coopératives agricoles, dont les dons ont augmenté de 32 % entre mars et juin 2020.
Parmi les pistes d'amélioration que nous proposons, la première consiste à remédier à la baisse tendancielle de la ramasse quotidienne dans les supermarchés. La baisse, qui avait été amorcée dès avant la crise, s'est accélérée : entre mars 2019 et mars 2020, la ramasse a diminué de 32 % ; entre les mois d'avril 2019 et avril 2020, elle a diminué de 47 %. Cela est dû à une meilleure gestion des stocks, à la concurrence d'autres structures, à l'ouverture de solderies, etc. Cette évolution accentue l'institutionnalisation des dons. Alors que traditionnellement nous redistribuions 100 % de produits que l'on nous avait donnés, cette proportion a chuté à 77 %, le reste provenant de subventions des pouvoirs publics. Nos sources d'approvisionnement sont donc modifiées.
Nous plaidons aussi pour un assouplissement de la procédure retenue par FranceAgriMer pour utiliser les fonds européens : cinq appels d'offres lancés par FranceAgriMer en 2020 se sont avérés infructueux - notamment pour l'huile ou le lait, et plusieurs banques ont manqué de ces denrées. Autre conséquence, les livraisons ont eu lieu avec retard : 70 % des aliments achetés avec les fonds européens de 2020 ont ainsi été livrés en 2021. De même, la diversité des produits que l'on peut acheter avec ces fonds a été réduite. Alors que nous pouvions acheter 45 produits différents, on ne peut plus en acheter que 30.
Beaucoup de banques alimentaires espéraient bénéficier du plan de soutien aux associations de lutte contre la pauvreté, mais l'enveloppe de 100 millions d'euros sera attribuée totalement lors du premier tour, et il n'y aura pas de nouvel appel d'offres. Or de nombreuses banques alimentaires voulaient déposer des dossiers pour créer des ateliers de transformation des aliments, des épiceries sociales, créer des réseaux de distribution en milieu rural, etc.
Il faut aussi coupler la distribution de l'aide et l'accompagnement social : 66 % des bénéficiaires disent en effet avoir besoin d'un accompagnement social - ce taux monte à 84 % parmi les personnes de plus de 70 ans. Le chèque alimentaire, tel qu'il est envisagé, risque de court-circuiter cet accompagnement social. Nous souhaitons reprendre, dès que la crise sera finie, nos ateliers consacrés à la lutte anti-gaspillage, la santé, la cuisine : en Gironde par exemple, nous avons des bus itinérants qui sillonnent le département pour apprendre aux gens à tirer parti des produits qu'on leur donne. Nous souhaitons continuer à délivrer directement les produits aux bénéficiaires finaux, car c'est un bon moyen de lutter contre la solitude ; beaucoup d'étudiants qui ont reçu des colis ont d'ailleurs renvoyé l'ascenseur en participant à nos opérations de collecte.
Nous voulons aussi développer l'aide alimentaire en milieu rural, ce qui est facile à dire, mais beaucoup plus dur à faire ! Dans le Morbihan, la banque alimentaire a acheté un car et a noué un partenariat avec la Croix-Rouge pour distribuer de la nourriture dans les cantons. Dans la Nièvre, nous cherchons à détecter les zones blanches en vue d'une distribution itinérante de l'aide alimentaire.
Il convient aussi d'améliorer la qualité nutritionnelle des aliments distribués dans les structures d'aide alimentaire : ceux-ci contiennent trop de féculents, de sucre, de produits cuisinés, mais pas assez de fruits, de viande ou de légumes. Les banques alimentaires sont candidates pour participer au nouveau dispositif du chèque alimentaire : elles pourraient les recevoir directement pour les distribuer en même temps que des produits secs afin que les bénéficiaires puissent acheter des produits frais. On pourrait aussi imposer d'utiliser ces chèques pour acheter auprès des agriculteurs locaux, comme cela se fait déjà en Nouvelle-Aquitaine où les aides de la région sont conditionnées à des achats aux agriculteurs locaux. La région Occitanie a acheté directement les aliments auprès des producteurs locaux avant de nous les distribuer. D'autres initiatives semblables se multiplient.
Enfin, nous proposons de renforcer les articulations entre les réseaux distributeurs d'aide alimentaire, qui existent déjà, mais de manière inégale selon les lieux, tout en respectant l'histoire et les spécificités de chacun.