Je vous remercie de votre invitation. Mon expérience en tant qu'ancien président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) m'a conduit à tirer des enseignements sur l'évolution de la pauvreté durant les dix dernières années.
Je constate qu'avant la crise sanitaire, nous étions déjà engagés dans un processus d'augmentation de la pauvreté avec des publics nouveaux. Vous avez eu raison de citer la crise de 2008-2009 qui a vu augmenter le taux de pauvreté de 1 à 1,5 point, lequel n'a jamais été repris. Nous avons également constaté au cours des trois, quatre dernières années une évolution préoccupante du pouvoir d'achat des 8 % les plus pauvres, c'est-à-dire ceux qui ont échappé à la revalorisation de la prime d'activité qui a soutenu le pouvoir d'achat d'une partie des personnes en situation de pauvreté. Ces 8 % ont en revanche été touchés par la baisse des aides personnalisées au logement (APL) et par la désindexation d'un certain nombre d'allocations, notamment familiales. C'est la seule catégorie de la population qui a vu son pouvoir d'achat régresser en 2018 et 2019. Toutes les autres catégories ont vu leur pouvoir d'achat légèrement augmenter, notamment sous l'effet du plan « Gilets jaunes ». Je vous renvoie au baromètre du Secours catholique en 2019, qui est tout à fait éclairant sur la baisse des revenus des ménages accompagnés par l'association. Celle-ci est chiffrée à 5 euros par mois en 2019 par rapport à 2018. Cela représente, pour les plus pauvres, 1 % de perte de pouvoir d'achat ! C'est une somme quand on est à l'euro près. Le reste à vivre est inférieur à 9 euros pour la moitié des ménages accueillis par le Secours catholique.
Des populations nouvelles sont apparues dans les structures d'accueil. Il y a tout d'abord les étrangers. Ils représentent une large partie des plus pauvres. On a vu aussi de plus en plus arriver les travailleurs pauvres, des gens qui n'ont souvent pas un emploi à plein temps et qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts. Le nombre de jeunes dépourvus de revenus, de formation et de qualification est considérable. 25 % des personnes accueillies en centre d'hébergement ont moins de 25 ans. Nous ne connaissions pas ce phénomène il y a quinze ans. Il y a les familles monoparentales avec enfants qui recoupent aussi partiellement la population étrangère. Nous avons enfin découvert la pauvreté rurale, que nous appréhendons encore difficilement.
Telle est la situation que l'on constatait à la fin de l'année 2019. Nous avions déjà perçu une certaine dégradation. Pour autant, il ne faut pas dramatiser : avec 14 % de personnes en-dessous du seuil de pauvreté, la France est bien classée en Europe, la moyenne européenne se trouvant autour de 16 %, comme les taux enregistrés en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Cela est largement dû à notre système redistributif. Avant redistribution, le taux de pauvreté serait de 24 %. Après redistribution, ce taux passe à 14 %. La redistribution permet donc de gagner dix points de taux de pauvreté.
La crise sanitaire est profondément injuste. Elle frappe le plus fort les personnes les plus fragiles. Nous avons constaté un phénomène que nous n'avions pas anticipé pendant le confinement, la disparition de la manche. Les « petits boulots » ont également disparu, le travail au noir qui permettait un revenu d'appoint s'est réduit et le travail saisonnier a diminué. Les conditions de logement précaires ont impacté la capacité à garder les enfants à la maison ainsi que le suivi éducatif. Les effets sont déjà visibles. En 2020, le nombre de bénéficiaires du RSA a augmenté de 7 %. Et je pense que ce n'est pas fini ! On a beaucoup parlé de la distribution alimentaire, du volume et de l'apparition de nouveaux publics, les personnes qui travaillent, les étudiants et les jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation ou NEET1(*). Selon le Secours catholique, les pauvres ont tendance à devenir plus pauvres. À l'intérieur de ceux qui sont en dessous de 60 % du revenu médian, que l'on définit comme pauvres, la proportion de ceux qui sont en dessous de 40 % du revenu médian, s'accroît.
Voilà le constat. Il faudra ensuite regarder comment y faire face.