En préambule, je souhaite préciser que je suis sociologue de formation. Les propos que je tiendrai n'ont aucun regard partisan. Je tiens à adopter une analyse distancée de la situation. Vous parliez, Madame la sénatrice, d'échelle et proposiez de descendre au plus près du territoire. Or, je pense qu'une échelle n'a d'intérêt que lorsque les barreaux sont régulièrement espacés et qu'elle permet de monter. La question majeure ne concerne pas, selon moi, l'opposition entre territoire, département, région et nation.
Depuis quelques années, par une forme d'individualisation des pouvoirs, chacun a mis en place une politique à son niveau pour intervenir sur le territoire. La politique publique de l'emploi est d'abord une compétence nationale à laquelle les régions, les départements et les communes sont censés apporter un complément. Souvent, à des niveaux différents, une forme de cacophonie est constatée. Nous nous retrouvons à noter des confrontations et des inversions de tendance, et l'ensemble de la population précarisée en subit la conséquence.
Vous parliez des comités locaux pour l'emploi dans le cadre de Territoires zéro chômeur de longue durée. C'est un bon exemple. Dans la ville de Roubaix où j'interviens, le territoire d'expérimentation est circonscrit à une grande rue. En zone rurale, ce peut être une communauté de communes. Le message passé auprès de la population et la mobilisation des financeurs ne peuvent pas emprunter la même voie dans ces deux situations. Dans les communautés de communes, tous les acteurs sont présents. À Paris 13e ou à l'échelle d'une rue, nous créons davantage d'antagonismes que d'effets positifs, étant donné que celui qui n'habite pas la bonne rue ne peut pas profiter de la démarche.
Comme je l'ai dit le 29 mars à la ministre, il faut une coordination et une organisation des politiques publiques dans une instance non partisane, qui ait la compétence d'émettre des avis entendus par les décideurs. Les moyens sont sur la table. Ils n'ont jamais été aussi nombreux pour accompagner les plus démunis, avec énormément d'argent rendu faute d'être utilisé avec la bonne temporalité. Vous parliez de vitesse et de précipitation. Ce sont les deux bons termes. Il faut aller vite.
En l'occurrence, nous n'avons pas tout essayé. Nous n'avons pas donné aux acteurs, aux réseaux que nous sommes, la possibilité de transformer l'essai. Nous restons sur des politiques publiques quantitatives par effet d'annonce, par exemple la création de 10 000 ou 100 000 postes sans penser à qui va les créer. Il faut changer de paradigme et reprendre ces politiques publiques, nationales, départementales ou régionales, au sens premier. Une politique publique n'a d'intérêt que par le constat des décideurs, la mise en oeuvre de moyens et la mise en place d'une évaluation avant que la démarche ne soit mise en route.
De fait, des actions ont été mises en place, puis nous nous demandons si elles fonctionnent. De même, face à la pandémie de covid-19, le couvre-feu a été fixé à 18 heures, puis déplacé à 19 heures sans que ces décisions semblent cohérentes. J'ai conscience de ne pas répondre à vos questions étant donné qu'il faut changer de paradigme. Mais les responsables politiques doivent être conscients que ce n'est pas tout de mettre des moyens. Il faut préciser pour quelle raison des dispositifs sont mis en place, avec qui, et comment les évaluer. Tous les acteurs se précipitent pour faire partie des 50 nouveaux territoires « zéro chômeur », mais une analyse plus fine permet de comprendre que ce n'est pas cela qui est le plus important.
J'ai soumis la proposition, retenue dans la loi de prolongation de l'expérimentation, de s'assurer dans le cadre du dossier d'évaluation des candidatures que partout où nous voulons créer un territoire « zéro chômeur », tous les acteurs déjà présents, en premier lieu les IAE, seront partie prenante pour que, si nous ne trouvons pas de solution pour une personne dans ce territoire, nous puissions lui proposer un autre emploi. Il faut aller au plus près des personnes. Si nous mettons à leur disposition les bons outils au bon moment, alors les politiques publiques seront beaucoup plus efficaces.
Alexandre Wolff, directeur national de Chantier école. - Nous travaillons sur les savoirs transférables dont ont besoin les entreprises pour les transmettre aux personnes accompagnées par nos structures. Les dispositifs qui ont été présentés par nos collègues sont compatibles et complémentaires avec cette démarche. Nous intervenons beaucoup sur le quantitatif, un peu moins sur le qualitatif. L'ensemble de la collectivité nationale, l'État et les collectivités, doivent s'associer à ce déploiement.
Le Pacte d'ambition pour l'IAE avait identifié le besoin de mobiliser les ministères, les régions, les départements et les collectivités locales, quelle que soit leur organisation. Le simple soutien de l'État n'est pas suffisant pour réussir ce pari. Il est nécessaire que tous les départements s'engagent et que les problématiques soient partagées. On voit encore trop d'inégalités de moyens entre les territoires.