Intervention de Isabelle de Silva

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 7 avril 2021 à 9h10
Audition de Mme Isabelle de Silva présidente de l'autorité de la concurrence

Isabelle de Silva, présidente de l'Autorité de la concurrence :

Les droits voisins constituent un dossier assez emblématique des sujets que soulèvent aujourd'hui les plateformes numériques, tout d'abord parce que nous étions face à une directive et une loi qui avaient pris l'initiative de traiter d'une évolution très forte, celle de la diffusion de multiples contenus sur les plateformes internet, qui ont acquis une position économique considérable, notamment par la monétisation via les ressources publicitaires. D'une certaine façon, ceci révèle un certain nombre de contenus, tout particulièrement les contenus de presse.

Lorsque, courant 2019, cette loi qui avait transcrit la directive relative aux droits voisins est devenue applicable, un certain nombre d'annonces ont été faites par Google, et nous avons été saisis par les éditeurs quelques mois après.

Je tiens à souligner que nous avons traité cette affaire avec la plus grande diligence, car il nous semblait extrêmement important de pouvoir entendre les acteurs très vite, dans des délais appropriés à l'urgence économique de l'affaire. Après quelques mois d'instruction, la décision que nous avons rendue l'année dernière sur ce sujet tirait un certain nombre de constats et ordonnait à Google d'entrer en négociation de bonne foi sur ce sujet afin de définir les rémunérations appropriées des éditeurs de presse.

Je précise aussi - cette décision de mesures conservatoires ayant été contestée par Google - que la cour d'appel a statué rapidement et, dans une décision d'octobre 2020, a confirmé la décision de l'Autorité de la concurrence, ce qui était un point très important pour l'ensemble des acteurs. Ceci a confirmé le cadre d'analyse de l'Autorité de la concurrence et l'injonction prononcée.

Nous avions fixé un délai de trois mois à ces négociations. Il s'agissait d'un délai relativement bref. Il se trouve que la crise sanitaire est passée par là. L'Autorité de la concurrence a néanmoins été saisie par un certain nombre d'éditeurs, qui estimaient que la négociation ne se déroulait pas de la façon la plus satisfaisante concernant des informations et propositions de Google.

Un rapport des services d'instruction estime que Google n'a pas respecté les mesures conservatoires que nous avions ordonnées l'année dernière. Une audience est prévue début mai. Elle va nous permettre de nous prononcer sur l'ensemble de cette contestation. Il devra être déterminé si Google a respecté notre décision relative aux mesures conservatoires et l'a correctement appliquée.

On est dans un contexte où il existe un certain nombre de contentieux. Nous avançons cependant de façon déterminée pour essayer d'éclaircir la situation sur le plan du droit de la concurrence. Google s'est-il placé en situation d'abus de position dominante ? C'est l'instruction au fond qui devra le dire. Elle devrait aboutir cette année. Avant cela, il s'agit de savoir si Google a bien respecté la mesure conservatoire. Nous nous prononcerons en formation collégiale dans les prochains jours sur ce point. Je pense que la décision sera prise peu de temps après la séance, de la façon la plus rapide possible, comme toujours.

Plus généralement, c'est une affaire intéressante puisqu'elle montre que les lois nouvelles créent des débats. Tout le monde ne les entend pas de la même manière, certains acteurs luttant vigoureusement pour que ces règles nouvelles ne soient pas appliquées. Les plateformes avaient eu l'occasion de contester vigoureusement le dispositif des droits voisins, bien que le législateur européen l'ait considéré comme pertinent.

Des questions juridiques nouvelles se présentent par ailleurs. Les autorités de régulation ont donc tout leur rôle à jouer pour appliquer ces dispositifs et les intégrer dans l'univers concurrentiel, ainsi que les juridictions. J'ai bon espoir que nous puissions avancer sur ce sujet d'ici la fin de l'année 2021. Cela permettra aux droits voisins de connaître une réelle avancée en France.

Ceci est suivi de très près par les autres États européens, eux-mêmes en train de transposer la directive, mais aussi aux États-Unis et en Australie. Comme vous le savez, le gouvernement australien envisage d'approuver un code des médias qui s'inspire de ce qui a été fait en Europe. Des discussions sont menées de façon très ferme aux États-Unis, avec des réflexions sur des dispositifs qui pourraient être similaires aux dispositifs européens. Toutes les réflexions conduites en France seront donc utiles dans le concert européen et vis-à-vis des autres États qui envisagent de mettre en place des dispositifs similaires.

Quant à l'opération Hachette-Editis, elle n'en est pas encore, à ma connaissance, au stade de la notification. Lorsqu'une telle affaire se présente devant nous, nous regardons sur quel marché l'entreprise est présente. Dans le cas d'espèce, il s'agit principalement de l'édition mais, au-delà, des limitations plus fines doivent être apportées. Nous étudions toujours ces affaires sans aucun a priori, en nous fondant sur la pratique décisionnelle, c'est-à-dire la jurisprudence qui a pu se développer en France et en Europe.

De plus en plus, dans les affaires sensibles, nous échangeons beaucoup entre autorités de concurrence européennes, voire au-delà, notamment avec nos collègues américains. Nous estimons qu'il est important d'avoir une vision aussi convergente que possible.

Au cours des dernières années, la coopération s'est beaucoup raffermie, notamment avec les autorités américaines sur un certain nombre de sujets, en lien avec les plateformes. L'Autorité de la concurrence française a mené un projet qui a trouvé un débouché positif avec, pour la première fois, un accord entre les autorités de la concurrence du G7, dont les États-Unis.

Il s'en dégage une conception commune sur l'importance que le développement des plateformes a pour tous les secteurs de l'économie et sur la nécessité d'une vision aussi proche que possible. Je crois donc que ceci sera pris en compte si cette opération nous était soumise.

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