Merci de nous proposer d'intervenir pour présenter nos travaux sur la méthanisation. Je suis directrice de recherche à l'INRAE dans l'UMR (unité mixte de recherche) ÉcoSys. Nous travaillons sur le fonctionnement des agrosystèmes en interaction avec leur environnement, qu'il soit biotique ou abiotique, en utilisant les leviers de l'agroécologie. Ces leviers visent à optimiser le fonctionnement des agrosystèmes, à maximiser leurs services rendus et à minimiser les impacts, tels que les émissions de gaz à effet de serre (GES), la volatilisation d'ammoniac, la contamination des sols, etc.
Nous avons quatre grands thèmes structurants d'étude. L'un est le recyclage des biomasses en agriculture. Le deuxième porte sur l'atténuation et l'adaptation au changement climatique via le stockage de carbone ou la limitation des émissions de GES. Le troisième thème relevant de notre unité porte sur le flux et le devenir des contaminants dans l'environnement, qu'il s'agisse de contaminants gazeux ou chimiques. Nous travaillons ainsi beaucoup sur les pesticides et les résidus pharmaceutiques qui peuvent exister dans les biomasses recyclées. Notre quatrième thème d'étude est constitué par la biodiversité et son intérêt, pour oeuvrer à la résilience des agrosystèmes.
Nous travaillons depuis de très nombreuses années sur le recyclage de biomasse en agriculture, qui fait partie de l'économie circulaire. Cela permet de « boucler » les cycles entre le fonctionnement anthropique et l'agriculture, mais aussi dans l'agriculture elle-même avec le recyclage des effluents d'élevage. Depuis une dizaine d'années, on travaille sur les digestats, qui suscitent un intérêt croissant. On s'intéressait auparavant surtout à la production de biogaz. On se penche désormais de plus en plus sur le digestat, de même que sur la maîtrise de ses effets sur l'environnement.
La méthanisation se développe très fortement dans le milieu agricole, avec des intrants de nature diverse. Un de nos principes, dans les études des effets du recyclage de biomasse en agriculture, consiste à relier tout ce que l'on peut observer au sein des agrosystèmes au contenu et à la qualité de ce que l'on y apporte. Pour cela, il est important de relier les caractéristiques des matières qu'on épand - ici les digestats - aux intrants en amont et à l'origine des produits : d'où viennent ces matières recyclées et quel procédé leur est appliqué avant leur recyclage ?
Avec le soutien de ma collègue Julie Jimenez, nous avons énormément travaillé avec les agriculteurs sur la qualification de leurs digestats. Pour cela, on a cherché, avec eux, à faire le lien entre les intrants dans leurs méthaniseurs et leurs caractéristiques. On a construit une typologie de ces digestats pour relier leur intérêt agronomique avec les intrants. On voit bien le poids que peut avoir la nature de l'effluent d'élevage rentrant dans le méthaniseur sur la qualité du digestat qui en sort. Sont à cet égard importants non seulement les intrants, mais aussi les post-traitements à l'issue de la méthanisation, en particulier la séparation des phases. Celle-ci consiste, lorsqu'il s'agit d'un procédé en voie humide, à séparer la phase liquide de la phase solide. On obtient deux produits issus du méthaniseur.
Au cours de la méthanisation, toute la matière organique est transformée en biogaz : le carbone devient du biogaz, et il reste une partie de ce carbone dans le digestat. En revanche, l'azote est transformé et minéralisé au cours de la méthanisation. Cet azote passe sous forme minérale, et est directement assimilable par les végétaux. La matière organique se transforme donc en un mélange très riche en éléments fertilisants directement assimilables par les végétaux, en particulier l'azote. La matière organique résiduelle se stabilise au cours de la méthanisation. Le second intérêt agronomique des digestats est de contribuer à entretenir les stocks de matière organique dans les sols.
Les digestats présentent donc un double intérêt : un effet fertilisant direct, associé à cet azote minéral présent en grande quantité, et un intérêt amendant, c'est-à-dire lié à l'entretien des stocks de matière organique dans les sols.
Cet azote se présente malheureusement sous forme ammoniacale. C'est un élément très réactif, très mobile, et qui peut se volatiliser. L'enjeu consiste à ne pas perdre cet azote par volatilisation et à le maintenir dans le sol, pour que les cultures puissent effectivement être valorisée de la sorte. Il s'agit de bien recycler ces digestats sur les sols agricoles, pour limiter le plus possible les risques de volatilisation. Des techniques d'enfouissement des digestats dans les sols et d'apport, directement en enfouissement, permettent de garder cet azote et de le valoriser dans les cultures.
S'y ajoute un élément important. En effet, la méthanisation a commencé par se développer chez les agriculteurs éleveurs. Les effluents d'élevage à leur disposition avaient un nouvel intérêt économique : ils permettaient de produire du biogaz par la méthanisation, avant d'être restitués au sol pour la fertilisation.
La méthanisation se développe désormais également chez les agriculteurs qui n'ont pas d'élevage et qui valorisent, dans leur méthaniseur, des cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE). Dans ces méthaniseurs, l'utilisation des cultures principales est interdite, mais celle des cultures intermédiaires, qu'on appelle « multiservices », est autorisée. Le fait qu'elles soient implantées entre deux cultures principales permet d'optimiser leur exploitation, à travers le stockage de l'azote minéral dans le sol sous forme de culture et la valorisation de cet azote minéral résiduel. Cela va permettre d'introduire du carbone dans les sols via ces cultures intermédiaires et de produire de la biomasse pour aller vers les méthaniseurs. L'enjeu ici consiste à bien maîtriser les pratiques des cultures intermédiaires, pour s'assurer de leur intérêt en termes de production de biomasse, tout en limitant les risques qui pourraient être associés à leur intensification et à leur impact sur le rendement des cultures principales.