Intervention de Marc Dufumier

Mission d'information Méthanisation — Réunion du 6 avril 2021 à 16h30
Table ronde avec les professionnels de la recherche agronomique

Marc Dufumier, agronome, professeur émérite à AgroParisTech :

Je suis agronome et retraité depuis dix ans. J'étais auparavant professeur à AgroParisTech et je continue d'enseigner un peu aujourd'hui. Ma chaire s'intitulait « Agriculture comparée » : on y étudie les systèmes de production davantage que la valorisation de leurs produits.

Sur la question du méthane et des digestats, je m'intéresse à certaines publications depuis les dix dernières années, y compris celles des collègues de l'INRAE, qui recouvrent des analyses de cycle de vie, ainsi que des évaluations faites suivant différents critères. Ces critères sont, tout d'abord, monétaires - le biogaz peut induire une baisse du gaz naturel importé et contribuer au revenu national net -, énergétiques, ensuite - combien d'énergie notamment fossile cela consomme et économise en joules ou en calories - et, enfin, en termes de contribution au réchauffement climatique équivalent carbone - c'est-à-dire en quoi la méthanisation et l'utilisation des digestats contribuent à atténuer, ou au contraire éventuellement, à renforcer le réchauffement climatique.

J'observe dans mes lectures que les évaluations sont souvent des analyses de cycle de vie par filière : on regarde depuis très loin en amont combien ça a coûté en valeur monétaire, en énergie fossile, ou en contribution au réchauffement climatique, jusqu'au produit fini en aval - ici le méthane et le digestat - et on en fait l'addition tout au long de la filière.

Toutefois, selon moi, on oublie souvent les effets collatéraux en agriculture. Imaginez une CIVE de type légumineuse. Elle peut rendre des services écosystémiques : c'est le côté positif qu'on peut évaluer. Mais l'autre question consiste à se demander à quoi auraient pu être utilisés ces « engrais verts ». N'y a-t-il pas au fond un coût à les employer à faire du méthane et non pas à les enfouir comme un engrais vert ? On me dit que le digestat contribue à la formation de matière organique. C'est très juste : des éléments de lignine restent dans la partie solide du digestat et peuvent contribuer à accroître la matière organique. Mais n'y aurait-il pas eu plus de matière organique qui aurait contribué davantage aux taux d'humus dans les sols avec les produits en question ? Cela peut être les cultures à haute valeur énergétique. La réponse serait plutôt non. Quand on utilise l'épaille d'un effluent d'élevage, il apparaît que le carbone d'épaille contribue considérablement à entretenir le taux de matière organique.

Je réfléchis donc sur les coûts d'opportunité. D'abord le coût d'opportunité de terrain : ne risque-t-on pas d'avoir un jour du méthane et des digestats produits avec de l'agriculture principale, ou même des cultures alimentaires ? Ne serait-ce pas un manque ? Il y a aussi un coût d'opportunité du carbone, CO2 et CH4, du biogaz. De même pour l'azote : une légumineuse d'un méteil peut contribuer à fertiliser le sol en azote, y compris dans un premier temps par la voie organique avec une redistribution par la pente un peu plus lente que le digestat. Mais il s'agit d'un coût. Je lis peut-être mal les revues scientifiques, mais je regrette, dans l'analyse, cette absence de la prise en compte du coût d'opportunité des terrains, du carbone et de l'azote.

Ce dont on parle, depuis l'agriculture jusqu'aux processus de valorisation des produits et des co-produits, c'est de la gestion d'un rapport « carbone sur azote » (C/N). Quand on mélange du carbone et de l'azote sous différentes formes, comment l'un et l'autre vont-ils se décomposer, et cela entraînera-t-il pas une augmentation du taux d'humus des sols ? Cette dernière question est très préoccupante en Bretagne. Autrefois, avec les prairies permanentes, le taux d'humus était considérable, car le mélange du ray-grass, plutôt carboné, et du trèfle blanc, plutôt azoté, contribuait à l'accroître. Aujourd'hui, entre les modalités d'élevage avec des tourteaux de soja importé et du maïs ensilage, et la valorisation du coût des effluents sous d'autres formes que réintégrés directement dans le sol, je ne m'y retrouve pas : il y a beaucoup d'oublis.

J'ai parlé des effets collatéraux. Je souhaite maintenant élargir le sujet. En effet, quand on parle de biogaz, on parle d'énergie. Tout nous vient de l'énergie solaire. La nation française doit se poser la question de son meilleur usage. On peut faire du bois, de l'énergie alimentaire, des agrocarburants, de l'éthanol, de l'agrodiesel, ou encore du méthane. Imaginez une prairie temporaire riche en plantes légumineuses, composée de microbes qui aident à intercepter l'azote de l'air et à fabriquer des protéines, avant que cela se décompose. Imaginez qu'on remette de l'élevage dans le bassin parisien. Cette prairie temporaire va fixer du carbone dans les sols, servir à l'élevage, peut-être qu'une partie de cet azote sera l'urine des vaches qui servira ultérieurement à du digestat. Mais cet azote n'aurait-il pas été plus utile à fertiliser la betterave qui viendra ensuite dans la rotation ? On doit apprécier les rotations de culture, les assolements dans l'espace, la répartition territoriale des différentes cultures. C'est à cette échelle-là qu'on peut savoir quel est le meilleur usage qu'on peut faire de l'énergie solaire en France.

Je ne sais pas si l'INRAE va répondre, mais ma thèse, inaudible il y a dix ans, est la suivante : je pense que retrouver notre souveraineté protéinique - fabriquer en France des protéines françaises, avec des légumineuses françaises, sur le territoire français, pour nourrir des animaux français qui ne le soient plus avec du tourteau de soja importé - passe par l'utilisation d'une betterave fertilisée avec de l'azote dans la rotation et non avec des engrais de synthèse azotés très coûteux en énergie fossile. Je pense que c'est le premier usage, le plus urgent, en termes de souveraineté énergétique de la France, avant le méthane, l'agrodiesel et l'éthanol. Il faudrait ainsi réintégrer les légumineuses dans nos rotations à échelle de 1,8 million d'hectares. C'est indispensable pour être moins dépendants des énergies fossiles importées de l'étranger.

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