Je vous remercie pour cette invitation. Je suis agronome, cofondateur de l'association Solagro depuis 1981. Cela fait quarante ans que je m'intéresse aux énergies renouvelables, et notamment au méthane. J'ai été également pendant dix-sept ans administrateur à France Nature Environnement (FNE) : c'est vous dire l'intérêt que je porte aux questions environnementales. D'ailleurs, je suis intervenu au Sénat il y a déjà trente-cinq ans, sur les questions de forêt, dont j'avais la charge à FNE.
Au préalable, je vous présenterai, en quelques mots, ma perception de la question de la méthanisation. Elle est liée, d'une part, à ce que j'ai pu en voir en Chine, d'autre part, à un agriculteur qui s'appelait Maurice François et qui habitait en face de la centrale de Creys-Malville, ce fameux surgénérateur très coûteux qui n'a jamais fonctionné. Pour montrer qu'on pouvait faire autre chose que du nucléaire, il avait installé une installation de biogaz. À Solagro, nous situons clairement la méthanisation dans une stratégie à long terme de sortie des énergies fossiles et du nucléaire d'ici 2050. La méthanisation n'est pas, pour nous, la « ferme des mille vaches », bien au contraire.
Nous avons une vision globale de la transition agroécologique. Elle suppose de sortir le plus rapidement possible des pesticides, et d'aller vers une agriculture biologique à bas niveau d'intrants qui s'adapte au changement climatique et restaure la biodiversité. C'est notre scénario « After 2050 », couplé au scénario Négawatt, qui propose une transition alimentaire vers un régime plus végétal et plus biologique, une réduction des cheptels de 30 à 50 % pour atteindre l'objectif de réduction par deux des GES en agriculture, ainsi qu'une diminution des élevages les plus intensifs.
Nous recherchons donc une approche globale et systémique. Nous ne sommes pas intéressés par le biogaz pour lui-même, mais en tant que composante insérée dans une stratégie globale de transition énergétique, nutritionnelle et agroécologique. Nous recherchons des solutions à bénéfices multiples, et on pense que le biogaz y a totalement sa place.
Notre modèle est la méthanisation collective, ce qui n'empêche pas la méthanisation individuelle. Sur la base d'un méthaniseur pour 3 ou 4 communes en France, on prévoit environ 9 000 méthaniseurs, qui permettraient de mieux gérer tous les co-produits de l'agriculture, donc toutes les déjections d'élevage. Je note d'ailleurs ici que notre scénario prévoit une diminution de l'élevage, dont on souhaite qu'il utilise, pour les ruminants, beaucoup plus de pâturages, ce qui générerait une baisse des déjections dans les étables.
Le but consiste aussi à diversifier les rotations et à couvrir les sols. En cela, la méthanisation est intéressante dans l'appui qu'elle peut apporter à la généralisation des cultures intermédiaires à vocation énergétique CIVE et des couverts. Selon les dispositions de la directive « nitrates » (91/676/CEE) du 12 décembre 1991, ceux-ci devraient être obligatoires dans toutes les zones vulnérables depuis longtemps. Or des dérogations sont malheureusement fort nombreuses. Alors que le septième plan de mise en oeuvre de la directive nitrates va intervenir, on est donc toujours incapables de bien gérer l'azote.
Nous proposons une meilleure gestion de la matière organique, voire le recyclage d'une partie de la matière organique dans l'agriculture, avec les déchets organiques. Le but recherché ici consiste également à mieux gérer collectivement l'épandage des digestats. Cette gestion collective permet d'organiser une compensation entre des fermes qui auraient plus besoin d'azote et d'autres qui en auraient trop. Nous travaillons sur cette solution avec des syndicats d'eau potable, notamment celui de Charente-Maritime. Aujourd'hui, dans plusieurs projets, la méthanisation apparaît comme l'une des réponses possibles au problème de pollution par les nitrates et les pesticides. Je citerai, à ce titre, un gros projet qui fonctionne à Évian, et un autre en construction sur Cholet visant à améliorer la qualité des eaux.
Un projet collectif permet d'intégrer les petites exploitations, de sorte que la méthanisation ne soit pas réservée exclusivement aux grosses installations. Cela doit permettre de gérer la sur-fertilisation. Dans le programme de recherche MéthaLAE, financé dans le cadre du compte d'affectation spécial au développement agricole et rural, les résultats d'un suivi d'une quarantaine d'exploitations témoignent ainsi d'une économie de 20 % d'azote et une diminution des surplus azotés.
La méthanisation collective permet enfin de partager les compétences techniques nécessaires à la gestion de la fermentation et de certaines machines.
Au total, les atouts sont nombreux. Les couverts protègent les sols, évitent la perte de phosphore et permettent de mieux gérer l'azote. Cela signifie qu'il faut bien épandre les digestats, c'est-à-dire les enfouir pour éviter toute perte d'azote. Comme l'a dit Marc Dufumier, l'objectif pour nous est de largement développer les légumineuses. Mais la méthanisation ne détruit pas l'azote : au contraire, elle le stocke et permet de le réutiliser comme fertilisant. Cela peut aussi être une source de diversification des exploitations agricoles et de création de revenus. La perte d'environ 9 000 exploitations par an n'est pas tenable. Le développement des énergies renouvelables dans l'agriculture, comme d'autres formes de valorisation - comme la transformation, ou les produits de qualité - est susceptible de créer beaucoup d'emplois. L'estimation est de 50 000 pour la filière biogaz.
Je finis mon propos par la question des cultures dédiées. Leur utilisation est autorisée à hauteur de 15 % du tonnage du digesteur. L'objectif dans notre scénario n'est pas de les utiliser pour la méthanisation, mais de se servir de tous les co-produits ou sous-produits de l'agriculture, comme les déjections et les couverts. Les cultures dédiées pourraient participer à hauteur d'un pourcentage minime, pour éventuellement former des stocks. Avec l'impact du réchauffement climatique, on imagine que l'on pourrait utiliser de l'herbe pour la méthanisation, les années où sa production est forte, afin d'assurer, dans les exploitations d'élevages, des stocks importants pour des années de sécheresse.
Voilà pourquoi nous travaillons depuis une quarantaine d'années sur ce sujet, qui progresse désormais rapidement. L'objectif consiste à « tenir » l'objectif de l'Accord de Paris sur le climat adopté le 12 décembre 2015, à savoir de sortir rapidement des énergies fossiles et de rester sous la barre des 1,5°C en termes de réchauffement climatique. L'enjeu apparaît considérable, si l'on considère les niveaux actuels des émissions et de la consommation d'énergie fossile. Nous visons aussi la sortie du nucléaire, qui est un désastre dans certains pays comme le Japon ou l'Ukraine, et où on ne voit pas vraiment de solution à long terme. En revanche, avec la méthanisation, on peut avoir une énergie parfaitement renouvelable, qui, couplée aux autres énergies comme le photovoltaïque ou l'éolien, pourrait nous mener vers un scénario totalement renouvelable. Pour nous, l'utilisation du biogaz serait tournée avant tout vers les carburants : cela consisterait notamment à utiliser le biogaz carburant (bioGNV) pour les bus et les camions. Et l'atout du biométhane réside dans la possibilité d'assurer le stockage sous-terrain d'une année de production.
Voilà en résumé l'intérêt que nous portons au biogaz et à la méthanisation en France, dans une perspective agroécologique.