Je remercie la mission d'information du Sénat de m'avoir invité à participer à cette table ronde. J'ai un profil distinct par rapport à celui de mes collègues. Je ne suis pas agronome : je ne vous apporterai donc que peu de choses sur les aspects sols et digestats. Je suis ingénieur chimiste et maître ès sciences physiques et titulaire d'une thèse d'État en biologie.
J'ai fait ma carrière de chercheur à l'INRA de 1968 à 2008, date à laquelle je suis parti à la retraite. Je souhaite également préciser que je n'ai aucun conflit d'intérêts avec le sujet de la méthanisation. Pourquoi m'y suis-je intéressé une fois à la retraite ? L'essentiel de mon activité à l'INRA portait sur l'étude des fermentations digestives chez les ruminants. Les vaches polluent, car elles émettent du méthane. J'ai beaucoup travaillé sur la production de méthane chez les ruminants et l'objectif qui m'était assigné à l'époque consistait à en réduire le niveau, car elle était considérée comme une perte pour le rendement énergétique des animaux. Au cours de ces années de travail, j'ai réalisé des mini fermenteurs qui simulaient le fonctionnement du rumen des vaches, à l'aide desquels on pouvait faire des bilans précis des quantités de carbone, d'azote et autres, qui rentraient dans le système et en sortaient. On a ainsi établi des équations de fermentation, des équations quantitatives, avec telle quantité de matière organique qui rentrait dans le système rumen, et telle quantité qui en sortait sous forme de gaz, d'acides gras volatils et de protéine microbienne.
Une fois à la retraite, la méthanisation m'a tout de suite intéressé. Je travaille à titre personnel et seul sur ce sujet. J'ai ensuite rencontré d'autres collègues dans une situation similaire à la mienne, avec qui nous avons formé un groupe informel.
Avec le recul dont je dispose, je me pose de nombreuses questions sur les allégations avancées par les promoteurs de la méthanisation. Je vais sans doute être le « vilain petit canard » de votre table ronde : en effet, au regard de certains propos que j'ai entendus, je vais vraisemblablement contrarier certains collègues !
Moi qui suis chimiste et physicien, je considère que produire de l'énergie à partir de déchets est une gageure. On peut difficilement produire de l'énergie à partir des produits dont l'énergie interne est très faible. C'est le cas d'un déchet, qui n'a, par définition, pas d'utilisation. Or pour produire du méthane, deux conditions essentielles doivent être réunies : il faut qu'il y ait beaucoup de carbone - qui est la « charpente » du méthane - et qu'il soit facilement accessible et utilisable par les micro-organismes qui l'utilisent. Mais dans le lisier d'animaux, l'essentiel du carbone utilisable a été digéré dans le tractus digestif des animaux : ce qui en ressort n'est pas du carbone réellement disponible pour les micro-organismes. Le pouvoir méthanogène du lisier de porc est de 4 m3 par tonne de matière, alors que le chiffre pour l'ensilage de maïs atteint au moins 200 m3 par tonne. On voit bien une différence entre un intrant riche en carbone et en énergie et un déchet.
Je m'intéresse aussi aux émissions de gaz à effet de serre (GES). J'observe souvent que leur réduction figure parmi les avantages attribués à la méthanisation. Nous avons fait des calculs relativement précis sur le sujet : je ne veux pas vous « abreuver » de chiffres, mais c'est une allégation fortement discutable. Si on compare uniquement l'étape de la combustion du biogaz avec celle du gaz naturel, étant donné que le biogaz, en plus du méthane, comprend, à la différence du gaz naturel, 40 % de CO2, le bilan est plus défavorable pour le premier que pour le second. Si vous y ajoutez à ce bilan toutes les étapes de culture, de culture dédiée, de collecte, de transport, de stockage, d'introduction dans les digesteurs, le coût énergétique du fonctionnement des digesteurs, la collecte des gaz, leur traitement, leur odorisation, leur compression et la cogénération, alors vous atteignez un coût énergétique très important. Au total, il est plus intéressant d'utiliser du gaz naturel que du biogaz.
Par ailleurs, le terme de « renouvelable » signifie pour moi : « inépuisable à l'échelle humaine ». Soutenir que le biogaz ou la méthanisation est une source d'énergie renouvelable ne correspond donc pas tout à fait à la réalité, à cause de la compétition qui existe pour l'utilisation des terres entre, d'une part, la production d'aliments pour l'homme et l'animal, et, d'autre part, la production de cultures pour la méthanisation. J'espère que la sagesse conduira à privilégier la mission première de l'agriculture, qui est de nourrir la population. Cela devrait donc se faire aux dépens des cultures dédiées à la méthanisation. Le jour où une concurrence vraiment très sévère aura lieu entre les deux, c'est normalement la production d'alimentation pour l'homme qui l'emportera sur la production d'énergie. Ce n'est donc pas vraiment durable.
Je suis également intéressé par la neutralité carbone du biométhane. Je voudrais citer ici une publication, faite en 2019, par le professeur Pierre Friedlingstein, à laquelle se sont associés quatre-vingts auteurs internationaux. Cette publication souligne que, lorsqu'on émet 100 unités de CO2 dans l'atmosphère - imaginons qu'il provienne de la combustion du biométhane et du CO2 qui se trouve dans le biogaz -, 45 unités restent définitivement dans l'atmosphère, 30 reviennent sur la Terre, et sur ces 30, un cinquième est fixé par la biomasse. Par conséquent, seulement 6 % du CO2 envoyé dans l'atmosphère est recyclé via la croissance végétale par la photosynthèse. Ce n'est donc pas vraiment neutre sur le plan du carbone. La neutralité signifierait qu'il y ait autant de CO2 fixé par la biomasse végétale que de CO2 envoyé dans le ciel par le processus de méthanisation.
On peut aussi discuter du taux de retour énergétique. Je n'ai pas trouvé de valeur, et je n'ai pu la calculer, car c'est trop complexe. Je me suis appuyé sur celui qui existe pour les biocarburants. La comparaison a été faite par M. Pointereau : le biogaz et les biocarburants sont fortement similaires. Le taux de retour énergétique, pour les biocarburants, est de l'ordre de 0,8 à 1,8. Cela signifie que pour produire 100 d'énergie, il faut dépenser presque 100 d'énergie. Le bilan énergétique est donc quasiment nul. Or l'énergie qu'on dépense pour produire cette énergie est fossile. Des questions très importantes doivent vraiment se poser à cet égard.
Un dernier point me préoccupe beaucoup. Quel est l'intérêt des agriculteurs dans cette affaire ? On est confronté à une forte technicité des installations, liée à la complexité biologique d'une aérobiose - les archées sont des micro-organismes relativement fragiles - et à la biotechnologie mise en place avec des systèmes de capteur. Je ne pense pas que ce soit facilement utilisable par les agriculteurs. Malheureusement, dans ces gros méthaniseurs destinés à produire de l'énergie, ce seront les énergéticiens et les biotechnologues qui « auront la main », et les agriculteurs seront des fournisseurs de matières premières pour alimenter ces méthaniseurs. Je vois même ces énergéticiens et biotechnologues essayer d'acquérir les terres pour maîtriser toute la chaîne, qui ira du champ jusqu'au méthane livré au consommateur. Je ne vois pas l'intérêt de l'agriculteur dans cette affaire, et je crains même qu'ils n'y perdent beaucoup.