Madame la Ministre, il y a quelques semaines, vous nous avez proposé de venir nous présenter l'actualisation de la Revue stratégique. Nous vous en sommes reconnaissants, la Revue stratégique étant le fondement théorique de l'actuelle loi de programmation militaire (LPM).
Nous avons quelques regrets néanmoins : le Parlement n'a pas été associé à cet exercice, contrairement à ce qui s'est fait dans le passé. On est passé d'un Livre blanc en 2008 et en 2013 à une Revue stratégique en 2017, et, enfin, on nous soumet un exercice interne à la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) en 2020. Cela pose un problème de méthode.
La Revue stratégique présente les menaces dirigées contre notre sécurité, mais il convient d'aller plus loin sur un certain nombre de points. Il est très utile que vous soyez avec nous pour en parler.
Parmi les points de préoccupation figure la Turquie. Le positionnement de ce pays devrait être analysé plus directement, notamment les conséquences de ses agissements pour la cohésion de l'OTAN et ce à quoi il faut se préparer. Nous sommes un certain nombre de collègues à siéger à l'AP-OTAN et on voit bien les tiraillements, les difficultés qu'il peut y avoir avec nos collègues turcs sur certains sujets. Même s'il y a, semble-t-il, un apaisement provisoire et des contacts de haut niveau depuis la semaine passée, rien n'est réglé sur le fond. Que pensez-vous de l'évolution de la relation franco-turque ?
La Russie est présentée comme une menace, mais on ne perçoit pas le projet de tenter de maintenir un dialogue, que le Sénat s'efforce pour sa part de préserver, notamment à travers les deux rapports de notre commission. Nous ne sommes pas dupes, mais nous considérons qu'aucune crise à l'heure actuelle ne peut être réglée sans ce pays. C'est pourquoi il nous apparaît nécessaire, conformément aux engagements du Président de la République au lendemain des entretiens de Brégançon, qu'un dialogue soit maintenu avec lui. Nous vous remercions de faire le point sur l'actualité de cette relation, dont nous mesurons la difficulté, notamment du fait de la situation de l'opposant dont le monde entier a parlé.
L'optimisme européen, qui était déjà un point central de la LPM en 2018, nous apparaît de plus en plus en décalage avec la réalité.
Au cours de trois auditions que nous avons récemment effectuées, nous avons discuté de la coopération franco-allemande dans le domaine capacitaire. Nous avons reçu la semaine dernière le Président-Directeur général de Dassault, nous nous sommes entretenus ce matin avec le directeur de la stratégie, des fusions-acquisitions et des affaires publiques d'Airbus et le président exécutif (CEO) d'Airbus Defence and Space. Nous entendrons prochainement le Délégué général pour l'armement. Nombre de difficultés méritent encore d'être étudiées, d'autant plus que l'on ignore comment la situation va se stabiliser en Allemagne à l'issue des prochaines élections. Les résultats des élections de dimanche dernier laissent planer l'incertitude sur les résultats des élections générales prochaines.
S'agissant de notre coopération dans le domaine capacitaire, la situation nous interpelle. Quelle explication donnez-vous à l'accumulation des difficultés : sur le SCAF, bien sûr, mais encore sur le MGCS, le Tigre Mark III ; l'Eurodrone MALE, le programme MAWS... On en vient à se demander si le pari allemand du Président de la République, que nous avons soutenu, n'est pas en passe d'être perdu et si, comme cela est suggéré dans une tribune parue aujourd'hui dans Le Figaro, les Allemands sont véritablement demandeurs de cette coopération européenne. Ne préfèreraient-ils pas plutôt une assurance américaine ?
Ces exemples montrent précisément que la situation stratégique a considérablement évolué en quatre ans.
Cela étant, là n'est pas le fond du sujet. L'essentiel, c'est la loi de programmation militaire.
Lorsque nous avons débattu de la LPM, je vous avais dit, Madame la Ministre : « aidez-nous à vous aider ». Or le Gouvernement a refusé la loi d'actualisation qui était inscrite dans le texte que nous avons voté - à 95 % je le rappelle - en 2018. Ce n'est pas vous qui êtes en cause, car je crois savoir que, à titre personnel, vous aviez plaidé pour une loi. Dans la situation actuelle, Bercy pourrait être tenté de revoir des engagements sur lesquels le Président de la République s'est pourtant constamment prononcé.
Le Parlement se sent mis à l'écart, alors que nous aimerions pouvoir vous aider. Je tiens d'ailleurs à vous rendre hommage, car les engagements budgétaires ont été tenus à l'euro près au cours des trois derniers exercices budgétaires. Nous savons toutefois que les dernières marches seront plus hautes et l'escalier plus raide. Au-delà de 2022, c'est une augmentation de près de 3 milliards par an qui est prévue !
Nous avons donc considéré qu'il était indispensable de lancer une mission d'information sur l'actualisation de la LPM. À cette fin, nous vous avons adressé un questionnaire détaillé. Vous venez de nous remettre des réponses ; nous espérons qu'elles seront davantage à la hauteur de nos attentes que les premières qui nous avaient été adressées. Nos rapporteurs reviendront sur ce sujet.
Madame la Ministre, alors que vous travaillez sur les arbitrages de la programmation militaire, dans le cadre de l'ajustement annuel de la programmation militaire (A2PM), nous attendons de la clarté et de la transparence. La commission n'a nullement la volonté de mettre le Gouvernement en difficulté. L'actualisation de la LMP nous semble nécessaire compte tenu de l'évolution des menaces, de l'apparition de nouvelles priorités et des conséquences de la pandémie sur les finances publiques, mais nous souhaitons disposer d'éléments à cet égard afin que le Parlement puisse remplir sa mission d'évaluation et de contrôle.
Je vous propose donc de faire le point sur l'actualisation de la Revue stratégique et d'engager le dialogue sur celle de la LPM. Dialogue qui a été souhaité par le Président de la République, qui, lors de ses voeux aux armées à Brest, a précisément dit qu'il souhaitait que cette actualisation se fasse en liaison avec le Parlement.