Intervention de Laurence Nardon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 31 mars 2021 à 10h00
Audition de Mme Laurence Nardon responsable du programme amérique du nord de l'institut français des relations internationales ifri et de M. Corentin Sellin professeur agrégé d'histoire et spécialiste des états-unis

Laurence Nardon, responsable du programme Amérique du Nord de l'Institut français des relations internationales (IFRI) :

Je vais tenter de dresser un bilan des premiers mois de l'administration Biden en matière de politique étrangère, marquée à la fois par une rupture et une continuité par rapport aux administrations Trump et Obama.

L'administration américaine a renoué avec la diplomatie traditionnelle, avec le retour aux affaires du « blob », terme péjoratif qui désigne l'establishment diplomatique, souvent originaire de la côte est, qui défend une vision idéaliste - voire interventionniste - des États-Unis. Je vous renvoie à l'article que Célia Belin a écrit pour la Fondation Jean-Jaurès, dans lequel elle décrit comment les quelque 4 000 personnes qui composent la nouvelle administration étaient déjà présentes sous Barack Obama, et parfois sous Bill Clinton. Ce sont des multilatéralistes, que Donald Trump honnissait.

L'élection de Joe Biden marque le retour des États-Unis à de meilleurs sentiments vis-à-vis de l'accord de Paris sur le climat, de l'OTAN et de l'Union européenne (UE). Alors que Trump détestait le projet supranational que représente l'UE, Joe Biden a participé au Conseil européen, le 25 mars dernier, et a promis de tenir un grand sommet international sur la démocratie et les droits de l'homme, qui s'apparente un peu au Forum de Paris sur la paix initié par le président Macron.

J'ai été surprise par le ton agressif employé par le président américain à l'égard de Vladimir Poutine qui, répondant à un journaliste, a affirmé que son homologue russe était un tueur. À la suite de cette déclaration, Moscou a rappelé son ambassadeur à Washington pour consultation.

Il y a deux semaines, le secrétaire d'État, Antony Blinken, et le conseiller à la sécurité nationale, Jack Sullivan, ont rencontré en Alaska leurs homologues chinois. Lors de la conférence de presse, les échanges furent violents sur la question de la démocratie et des droits de l'homme, lorsque les Américains ont fait la promotion de leur modèle. La Chine considère en effet que la démocratie et les droits de l'homme « à la chinoise » sont tout aussi légitimes que le modèle américain, et de rappeler à cet égard l'intrusion du 6 janvier dernier dans le Capitole. L'administration Biden souhaite à nouveau diffuser ce modèle, considérant que la rupture portée par Donald Trump est une parenthèse définitivement fermée.

Mais il existe aussi une continuité avec la politique conduite par Donald Trump, et donc une rupture avec celle de Barack Obama. En effet, les élites américaines ont compris qu'il fallait s'occuper du sort de la classe moyenne peu ou pas diplômée - que certains sociologues nommeraient plutôt « classe ouvrière » -, qui a souffert du programme économique mis en place par Ronald Reagan. Sa politique conservatrice a rogné les mesures de redistribution, considérant que la société américaine prospérerait par « ruissellement » ; au contraire, l'élite s'est enrichie et la classe moyenne s'est appauvrie. En 2007-2008, c'est-à-dire avant la crise financière, l'indice de Gini, qui détermine le niveau de répartition des richesses au sein d'une population, était revenu à son niveau de 1929, preuve du décrochage social. Les inégalités se sont accrues - ce qui explique, pour partie, l'élection de Donald Trump -, et la classe moyenne n'a pas bénéficié des effets de la réforme fiscale de l'ancien président, qui a surtout profité aux grandes entreprises et aux plus riches. Il sera intéressant de voir si la nouvelle administration mènera une politique de redistribution.

Avec Joe Biden, on assiste également à un retour en arrière sur la question du libre-échange, ainsi qu'à une attitude protectionniste sur les questions technologiques vis-à-vis de la Chine. Sur le plan international, un duopole sino-américain se dessine dans le domaine du numérique. Donald Trump avait souhaité interdire à ses alliés de contracter avec Huawei sur la 5G ; Joe Biden a renforcé les mesures contraignantes à l'égard de l'entreprise chinoise sur le sol américain.

Démocrates et républicains se rejoignent sur l'opposition à la Chine : les premiers critiquent le pays sur la question des droits de l'homme, quand les seconds l'accusent de tricherie dans le domaine économique et financier. Ce sujet peut être un facteur de cohésion pour la nation américaine qui, aujourd'hui, est très polarisée.

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