Intervention de Corentin Sellin

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 31 mars 2021 à 10h00
Audition de Mme Laurence Nardon responsable du programme amérique du nord de l'institut français des relations internationales ifri et de M. Corentin Sellin professeur agrégé d'histoire et spécialiste des états-unis

Corentin Sellin, professeur agrégé d'histoire et spécialiste des États-Unis :

Je vous parlerai de Joe Biden lui-même car, en matière de politique étrangère américaine, la notion d'incarnation est très forte le concernant.

Dans ce domaine, il bénéficie de la confiance d'une large partie de l'opinion publique américaine. Selon le Pew Research Center, 60 % des sondés lui font confiance pour la gestion des affaires internationales, contre 46 % pour Donald Trump et 74 % pour Barack Obama au début de leur mandat.

Joe Biden possède une grande expertise sur les questions internationales, fruit d'une longue expérience de sénateur - 36 ans passés au Congrès, un record -, et d'un mandat de 8 ans comme vice-président des États-Unis. Au Sénat, Joe Biden a notamment présidé la puissante commission des affaires étrangères à deux reprises, de 2001 à 2003, puis de 2007 à 2009. C'est d'ailleurs pour son expertise en ce domaine que Barack Obama l'avait choisi comme colistier.

De 2009 à 2013, l'actuel secrétaire d'État, Antony Blinken, a occupé les fonctions de chargé de la sécurité nationale auprès du vice-président Biden. Son successeur, Colin Kahl, principal négociateur de l'accord nucléaire avec l'Iran, devrait quant à lui être nommé au Pentagone comme responsable de la planification politique. Le président Biden s'appuie donc sur une équipe expérimentée qu'il connait parfaitement. Pour lui, la diplomatie est fondée sur des relations interpersonnelles, ce qui le conduit à développer des relations durables avec ses conseillers comme avec ses homologues étrangers. À titre d'anecdote, Joe Biden avait convié sa petite-fille à un déplacement officiel en Chine, en 2013. Aussi Xi Jinping, que Joe Biden avait connu comme numéro deux du Parti communiste chinois, a-t-il salué l'élection à la Maison blanche de son « vieil ami », non sans une pointe d'ironie.

Comme vice-président, Joe Biden a été l'homme du retrait partiel des troupes américaines d'Irak, engagement majeur de Barack Obama. Dans ses mémoires publiés en 2014, Robert Gates, qui a dirigé la CIA avant d'être nommé secrétaire à la défense sous George Bush et Barack Obama, décrit le nouveau président américain comme un homme intègre qui a eu tort sur quasiment tous les sujets majeurs de diplomatie et de sécurité internationale des quarante dernières années. Ce jugement sévère tient principalement à sa gestion du dossier irakien : pour mémoire, contre l'avis des chefs militaires déployés à l'époque au Moyen-Orient - parmi lesquels le général James Mattis, qui fut l'un des secrétaires à la défense de Donald Trump -, Joe Biden avait soutenu, en 2010, l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki, qui, par la suite, a hâté le départ des troupes américaines d'Irak à partir d'octobre 2011. Toutefois, la gestion clanique d'al-Maliki, ainsi que la persécution des sunnites, a permis à l'État islamique de se renforcer à compter de 2013 ; par conséquent, le succès politique de Joe Biden lui a ensuite été reproché, notamment pendant la dernière campagne présidentielle. Mais il a su changer de position en 2014, en retirant son soutien à al-Maliki et en organisant, avec Brett McGurk, la coalition contre Daech.

Contrairement à la légende tenace, Joe Biden n'est pas un va-t-en-guerre. Sur le dossier afghan, il s'est toujours prononcé contre l'envoi de troupes supplémentaires, ce qui explique peut-être l'ire de Robert Gates que je citais précédemment. En 2010, Joe Biden entretenait des relations houleuses avec Richard Holbrooke, envoyé spécial pour l'Afghanistan, à qui il a fait part de son refus de renvoyer son fils militaire sur place pour défendre les droits des femmes, au péril de sa vie.

La doctrine Biden est donc fondée sur l'instinct, les relations personnelles et le pragmatisme. Rappelons qu'il avait blâmé l'administration Clinton qui refusait d'intervenir à Sarajevo, en lui reprochant de tourner le dos à la conscience morale américaine ; quelques années plus tard, il refusera lui-même d'envoyer des troupes supplémentaires en Afghanistan. L'exceptionnalisme américain a toujours été le moteur de Joe Biden : pour lui, les États-Unis ont vocation à conduire le monde par la défense de la démocratie et de la liberté. Au début du mois de mars, l'administration a publié ses orientations stratégiques provisoires de sécurité nationale, où le président Biden affirme que la démocratie est l'avantage fondamental des États-Unis, tout en ayant conscience que le monde avait changé et que la défense des valeurs américaines devait évoluer. En effet, l'opinion américaine a elle aussi changé : d'après un récent sondage, 49 % des sondés pensent que les États-Unis ont un rôle à jouer dans la conduite du monde, alors que 50 % d'entre eux considèrent que l'emploi doit constituer la priorité de la nouvelle administration.

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