Concernant l'ONU, on rappellera - et ça a été un marqueur de début de mandat - que l'administration Biden a décidé de réintégrer le comité des droits de l'Homme, qui avait été abandonné par Donald Trump, et de refinancer l'agence onusienne d'aide aux réfugiés palestiniens. En réalité, on observe une double manoeuvre de l'administration Biden concernant l'ONU : premièrement, revenir parce que, si on n'est pas là, les autres prennent la place ; deuxièmement, essayer de revaloriser le Conseil de sécurité comme une instance de négociation et de décision internationale. Par exemple, sur le dossier nord-coréen, l'administration Biden a déjà invité à plusieurs reprises le Conseil de sécurité à prendre des mesures supplémentaires et à continuer à gérer le dossier. De même, les Etats-Unis aimeraient que l'ONU puisse être à la manoeuvre pour les futurs pourparlers de paix en Afghanistan. Donc il y a une volonté de revalorisation, mais qui doit tenir compte d'une réalité que j'ai déjà soulignée. Dans l'enquête Pew Research, il n'y a que 30% des Etatsuniens pour qui renforcer l'ONU doit être une priorité et le taux tombe à 15% chez les électeurs républicains.
J'en viens maintenant à la Turquie. Pour l'instant, Joe Biden, fidèle à sa personnalisation de la diplomatie, bat froid Recep Erdogan, il refuse de lui parler, alors que celui-ci multiplie les signes de bonne volonté pour rentrer dans les bonnes grâces étatsuniennes. Il y a beaucoup de sujets de conflits. Par exemple, l'administration Erdogan aurait fait une offre sur le fameux dossier du F-35, l'avion étatsunien dont Trump avait exclu la Turquie parce qu'elle n'avait pas renoncé à l'achat du système de défense russe S-400. Erdogan a fait des propositions mais, pour l'instant, l'administration Biden ne répond pas. Joe Biden considère que si la Turquie a pu, par exemple en Syrie, avoir tant de marge de manoeuvre, c'est parce que son prédécesseur, sur ce dossier précis, l'a laissée faire absolument ce qu'elle voulait. En ce moment, il y a donc comme une épreuve de force entre les deux. Parmi les signaux envoyés par Erdogan, il y a ces pourparlers de paix dans le conflit afghan qui seront tenus à Istanbul. C'est une initiative prise par la Turquie qui vise aussi à rentrer dans les bonnes grâces de l'administration Biden mais pour l'instant ça ne marche pas.
Pour finir, par rapport à la Russie et à la Chine, s'il est vrai qu'il y a l'alliance des techno-démocraties contre l'alliance des techno-autoritarismes, il y a aussi une interdépendance économique qui n'existait pas du tout à l'époque de la guerre froide. Tout le problème est de savoir comment faire fonctionner le monde avec une telle opposition sur les principes politiques, qui est réelle, et en même temps une interdépendance économique totale. A cet égard, - je reviens sur l'une des premières questions -, il y a eu une tentation, qui s'est aussi exprimée par la guerre des tarifs douaniers avec la Chine, de « désinisation » de l'économie étatsunienne sous Trump. Néanmoins, si les flux d'IDE des Etats-Unis vers la Chine ont baissé depuis 2017, avant même la crise de la Covid, on voit bien que c'est impossible. Il y a une telle interdépendance, ne serait-ce que par les titres de dette étatsunienne détenus par les investisseurs publics chinois et les investisseurs privés. Toute la difficulté aujourd'hui, c'est d'être dans un affrontement de valeurs, qui est nécessaire pour rassembler du côté étatsunien, face à des pays avec lesquels on partage la même économie et le même capitalisme financier. C'est une question compliquée.