Intervention de Roselyne Bachelot

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 13 avril 2021 à 14h00
Projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique et projet de loi organique modifiant la loi organique relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la constitution — Audition de Mme Roselyne Bachelot ministre de la culture

Roselyne Bachelot, ministre de la culture :

Monsieur le président, je tiens à vous remercier pour les mots de sympathie que vous m'avez adressés et remercier également tous les sénateurs et sénatrices qui, quelle que soit leur appartenance politique, m'ont adressé des messages de soutien et d'amitié au cours de ces dernières semaines - j'en ai été profondément touchée.

Je suis heureuse de vous présenter aujourd'hui le projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, car le calendrier est extrêmement chargé, sans compter les prochaines échéances électorales.

Vous l'avez rappelé, même si la crise sanitaire a bouleversé la poursuite de l'examen du projet de loi sur l'audiovisuel, les mesures prévues conservent toute leur importance et leur force pour répondre aux attentes des professionnels.

Pour tenir compte du bouleversement du calendrier parlementaire, le Gouvernement fait un triple choix.

Premièrement, le Gouvernement a choisi de recourir aux ordonnances. La loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière a permis au Gouvernement de transposer plusieurs directives importantes pour le secteur culturel. Ainsi, l'ordonnance relative au service des médias audiovisuels a été promulguée le 21 décembre dernier ; les ordonnances permettant de transposer la directive sur le droit d'auteur dans le marché unique numérique et la directive Câble-Satellite sont en préparation et devraient être présentées en conseil des ministres au cours du deuxième trimestre.

Deuxièmement, le Gouvernement a choisi de ne pas reprendre le volet législatif concernant la transformation de l'audiovisuel public, mais les objectifs de renforcement des coopérations entre les différentes entreprises du service public de l'audiovisuel ont néanmoins été confirmés dans les contrats d'objectifs et de moyens, qui sont en cours de finalisation.

Troisièmement, enfin, le Gouvernement a fait le choix de présenter un projet de loi resserré et recentré sur un nombre de dispositions urgentes et consensuelles, en vue de son adoption avant la fin de cette année.

Trois enjeux forts structurent ce projet de loi.

Le premier enjeu est le renforcement de la lutte contre le piratage. Ces dispositions ont une acuité particulière en raison du contexte sanitaire. L'enquête portant sur les pratiques culturelles des Français en période de confinement qui a été réalisée par mon ministère montre que l'offre numérique culturelle a été fortement sollicitée pendant cette période, confirmant en cela une tendance observée depuis une dizaine d'années. Cette forte augmentation de la consommation de biens culturels numériques dématérialisés s'est accompagnée d'une hausse des pratiques illicites, ce qui justifie d'autant plus les dispositions prévues dans ce projet de loi.

La lutte contre le piratage se voit ainsi renforcée par plusieurs dispositions de fond, qui ciblent non pas les internautes, mais les sites internet qui tirent un profit commercial de la mise en ligne d'oeuvres, en violation des droits des créateurs. Il est prévu de dresser une liste noire des sites internet dont le modèle économique repose sur l'exploitation massive de la contrefaçon. Le projet de loi contient des mesures de nature à lutter plus efficacement contre les sites miroirs, ceux qui réapparaissent sous une autre adresse URL après fermeture d'un site jugé illicite. Il prévoit, en outre, un dispositif spécifique de référé pour lutter contre le piratage sportif. La lutte contre le piratage sportif exige la mise en place de mesures adaptées pour les retransmissions audiovisuelles de manifestations sportives en direct. Un mécanisme ad hoc de référé est susceptible de produire des effets pendant toute la durée de la saison sportive.

Ce projet de loi vise donc à accompagner les internautes dans leurs pratiques numériques vers des usages responsables, notamment au regard des règles de la propriété intellectuelle.

Le deuxième enjeu concerne la modernisation de la régulation des contenus audiovisuels et numériques. Pour tenir compte de la convergence progressive de l'audiovisuel et du numérique et de la nécessité de rationaliser l'organisation administrative en matière de régulation des contenus, le projet de loi fusionne la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) en une nouvelle autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

Ce nouveau régulateur, qui sera compétent pour ce qui concerne les contenus audiovisuels et numériques, sera mieux armé et plus efficace grâce à trois évolutions : son collège sera recomposé, ses missions seront élargies et ses pouvoirs de contrôle et d'enquête étendus. Cette modernisation permettra de mieux réguler les communications sur internet, de protéger les oeuvres culturelles et de veiller au respect du droit d'auteur et des droits voisins.

Le troisième et dernier enjeu a trait à la protection de l'accès du public aux oeuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises, un chapitre nouveau par rapport au texte examiné par l'Assemblée nationale. Les catalogues de nos oeuvres cinématographiques et audiovisuelles constituent notre patrimoine ; ils forgent notre identité culturelle et sont un élément de notre souveraineté nationale.

Aujourd'hui, le public a la garantie d'avoir accès aux oeuvres françaises, car les producteurs établis en France qui les possèdent sont tenus à une obligation de recherche d'exploitation suivie prévue par le code de la propriété intellectuelle. Cette obligation leur impose de conserver les supports des oeuvres en bon état et de faire en sorte que l'oeuvre puisse être exploitée en France et à l'étranger. Or le risque existe aujourd'hui que de grandes sociétés de production - ou simplement leur catalogue - soient rachetées par des entreprises éloignées de tout objectif culturel. Ces acheteurs pourraient décider de retirer temporairement ces oeuvres du marché pour en faire monter les prix ou d'exploiter seulement les films les plus rentables.

L'article 17 du projet de loi, qui étend à toutes les personnes qui rachètent une ou plusieurs oeuvres françaises l'obligation de recherche d'exploitation suivie, prévoit que tout projet de cession d'oeuvres doit faire l'objet d'une déclaration préalable auprès du ministère de la culture au moins six mois avant la date de l'opération engagée.

Pour conclure, je veux dire que ce texte est urgent, car il reprend les dispositions du projet de loi initial les plus attendues par les secteurs concernés. Il est important, car il apporte des réponses concrètes à trois enjeux majeurs dans le domaine de la communication audiovisuelle : la protection des droits, ceux des auteurs, des producteurs, des diffuseurs, des fédérations sportives ; l'organisation de notre régulation, qui doit être rationalisée et modernisée ; et la défense de l'accès du public aux oeuvres cinématographiques et audiovisuelles françaises dans un contexte où la demande n'a jamais été aussi forte. Il est cohérent, car ces trois chapitres sont étroitement liés entre eux : la lutte contre le piratage et la protection des catalogues participent d'un même objectif, celui de la défense de notre création culturelle, avec un régulateur solide et puissant ainsi que des outils innovants et ambitieux. La création de l'Arcom marque à la fois la volonté de passer à la vitesse supérieure en matière de lutte contre les sites pirates et d'inscrire cette action dans une politique de régulation plus large.

Je sais que votre travail de qualité permettra à la commission de conserver la cohérence que le Gouvernement a souhaité donner à ce texte, mais également de l'enrichir à bon escient. Je serai très attentive à vos propositions car je suis très attachée au travail parlementaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion