Intervention de Roselyne Bachelot

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 13 avril 2021 à 14h00
Projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique et projet de loi organique modifiant la loi organique relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la constitution — Audition de Mme Roselyne Bachelot ministre de la culture

Roselyne Bachelot, ministre :

Jérémy Bacchi et Laure Darcos m'ont interrogée sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur, à savoir la protection des catalogues. Sans doute n'ai-je pas été assez complète dans ma présentation liminaire. Laure Darcos a raison, le terme « remarquable » n'apparaît plus dans le texte, car cela peut poser un problème de définition juridique. La protection des catalogues de nos oeuvres cinématographiques est un enjeu très important pour les Français, à la fois en termes de patrimoine, d'identité et de souveraineté nationale - cela répond en partie à la question qui m'a été posée par Julien Bargeton.

J'ai évoqué, à travers des grandes sociétés comme Gaumont, Pathé, Studiocanal, les grandes oeuvres des cinémas français. Aujourd'hui, le public a la garantie d'avoir accès aux oeuvres françaises, car les producteurs établis en France et qui possèdent ces oeuvres sont tenus à une obligation de « recherche d'exploitation suivie » prévue par le code de la propriété intellectuelle. Cette obligation essentielle leur impose de conserver les supports des oeuvres en bon état et de fournir leurs meilleurs efforts pour que l'oeuvre puisse être exploitée, et donc vue par le public en France et à l'étranger.

Ces grandes sociétés de production ou leurs catalogues peuvent être achetés par des entreprises qui ne sont pas tenues, en l'état du droit, à cette obligation de recherche d'exploitation. On pense, évidemment, aux fonds d'investissement. Ainsi, les oeuvres rachetées par des entreprises américaines ou chinoises pourraient, du jour au lendemain, être inaccessibles au public français. Ces acheteurs pourraient décider de les retirer temporairement du marché ou d'exploiter uniquement les productions les plus rentables. Ce risque est d'autant plus inacceptable que les oeuvres françaises ont le plus souvent - pour ne pas dire totalement - été financées par des fonds publics, notamment via le soutien du CNC ou des différents dispositifs fiscaux.

Par ailleurs, des concertations ont été menées par le CNC. Elles se poursuivent avec les différentes parties prenantes sur ce sujet. Il y a donc bien eu concertation, je ne comprends pas cette polémique.

Nous soumettrons les oeuvres cinématographiques et audiovisuelles à un dispositif de protection quand elles sont rachetées par des entreprises qui aujourd'hui ne sont pas tenues à ce principe d'exploitation suivie. L'article 17 étend donc à toutes les personnes qui rachètent une ou plusieurs oeuvres françaises l'obligation de recherche d'exploitation suivie. Tout projet de cession d'oeuvre doit faire l'objet d'une déclaration préalable auprès de mes services au moins six mois avant la date de l'opération envisagée. Ce délai permet de vérifier que l'acheteur présente bien toutes les garanties pour assurer la recherche d'une exploitation suivie. À défaut, des garanties peuvent lui être imposées par une commission de protection de l'accès aux oeuvres. C'est un dispositif nécessaire, c'est un dispositif proportionné. Nous ne pouvions d'ailleurs pas, en l'état du droit, aller plus loin. La liberté de circulation des capitaux telle que définie dans le droit de l'Union européenne nous interdit de soumettre les projets de rachat à une autorisation préalable et de faire juridiquement obstacle à la vente.

Ce projet est soutenu par toutes les organisations de cinéastes et par de nombreux producteurs. C'est un premier pas important dans la défense de notre souveraineté culturelle. Nous poursuivons la réflexion. Je pense, en particulier, à la protection de notre réseau de salles de cinéma. La protection de nos actifs culturels stratégiques est aussi, Julien Bargeton, une question de souveraineté nationale.

Finalement, l'ensemble du texte est une défense de la souveraineté. L'interdiction du piratage, la création d'une autorité indépendante pour garantir des mesures efficaces en matière de lutte contre le piratage, la protection des catalogues : tout cela est une question de souveraineté nationale !

Je suis toujours étonnée que l'on oppose trop souvent le droit des consommateurs à ce texte. Le droit des consommateurs, c'est aussi le droit d'avoir une souveraineté sur des biens culturels et de garder la propriété de ces oeuvres. Pourquoi certains s'indignent-ils d'une perte de souveraineté dans la recherche pharmaceutique ou la construction automobile, mais ne s'émeuvent pas de laisser les biens culturels à disposition, sans que les créateurs ne soient rémunérés pour leur travail et leur créativité ? Ce débat est toujours devant nous !

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