Nous attendions d'être saisis de ce texte depuis plus de deux ans. Son examen va nous permettre de débattre de cette politique que notre commission suit avec beaucoup d'attention, nous sommes convaincus qu'elle joue un rôle essentiel pour relever certains grands défis, en particulier le développement de l'Afrique. La croissance très rapide de la population, les changements climatiques, les troubles politiques, les violences et les migrations de grande ampleur : tels sont ces grands enjeux du continent africain dont l'Europe ne peut à l'évidence se désintéresser.
Le texte est-il à la hauteur de ces défis ?
Sur le plan de la programmation financière, cette prétendue loi de programmation ne couvre en réalité que l'année 2022. Le texte fixe ainsi un objectif de 0,55 % du revenu national brut (RNB) consacré à cette politique en 2022, en deçà des fameux 0,7 %. Ce dernier chiffre est toutefois mentionné comme un objectif que la France « s'efforcera d'atteindre » en 2025.
Cette absence de réelle programmation nous a parue insatisfaisante et nous nous sommes efforcés d'y remédier. La loi de programmation de la recherche, adoptée en décembre dernier, ne fixe-t-elle pas les crédits de paiement de recherche jusqu'à 2030 ? Et, bien entendu, la loi de programmation militaire court jusqu'en 2025. Certes, l'exercice est rendu un peu périlleux par les incertitudes de la situation économique actuelle. Nous sommes partis des prévisions du Fonds monétaire international (FMI) et nous avons dessiné une trajectoire pour atteindre 0,6 % du RNB en 2025. Cela nous a paru un moyen terme pertinent entre un objectif à 0,7 %, qui sera, de l'avis général, très difficile à atteindre, et le statu quo, qui ne serait pas satisfaisant. La trajectoire que nous proposons suppose déjà une augmentation annuelle des crédits de la mission « Aide publique au développement » de plus de 800 millions d'euros, ainsi qu'un accroissement de la part de la taxe sur les transactions financières consacrée à cette politique : je laisserai Rachid Temal préciser ce dernier point. Nous prévoyons un rendez-vous en 2023 pour réviser ces objectifs en fonction de la conjoncture, et pourquoi pas pour remettre au premier plan les 0,7 %, si cela nous paraît alors raisonnable et pertinent.
Le volume des engagements financiers ne doit pas constituer l'alpha et l'omega de cette politique. Le choix des pays vers lesquels nous orientons nos financements, la nature des projets financés et la manière dont ils sont menés sont tout aussi importants.
À cet égard, le projet de loi, même amélioré par les députés, est un peu décevant. Nous répétons depuis des années que notre aide publique au développement (APD) ne cible pas assez les pays les plus pauvres, comporte une part de dons trop faible et qu'elle est déséquilibrée en faveur de l'aide multilatérale. La Cour des comptes ou les analyses des ONG ne disent pas autre chose. La comparaison avec nos principaux partenaires est sans appel : 18 % de notre aide programmable va vers les pays les moins avancés (PMA) quand la plupart de nos partenaires sont à 30 ou 40 % ; nous avons la deuxième plus faible part de dons et la deuxième plus faible part de dépenses bilatérales. Sur ces points essentiels, le texte ne fait que reconduire des objectifs et des critères qui datent de 2013 ou bien qui ne sont assortis d'aucune cible chiffrée. Nous vous proposerons des amendements pour remédier à cette situation de manière progressive. D'autres amendements déposés par des membres de la commission vont parfois plus loin. Selon nous, une approche trop radicale serait cependant contreproductive. Si nous disons, par exemple, qu'il faut immédiatement orienter la moitié de notre aide publique au développement vers les pays les moins avancés, le ratio prêts/dons actuel nous obligera à faire des prêts massifs à des pays déjà surendettés. Une approche progressive est donc préférable.
Le pilotage de notre aide publique au développement n'est pas non plus traité de manière satisfaisante par ce texte.
Le rapport de la Cour des comptes de 2020 sur les opérateurs de l'action extérieure de l'État a souligné la complexité actuelle de ce pilotage. Les instances sont nombreuses et leurs missions enchevêtrées. Le ministre chargé du développement est chargé de « définir et mettre en oeuvre » la politique de développement solidaire. Il est secondé par le ministre chargé de l'économie, ainsi que, s'agissant de la tutelle de l'Agence française de développement (AFD), par celui des outre-mer. En outre, le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) fixe la liste des pays prioritaires. Le co-secrétariat du Cicid assure l'application de ses décisions. Le Conseil d'orientation stratégique de l'AFD réunit, sous l'autorité du ministre chargé du développement, les représentants de l'État au conseil d'administration de l'agence et élabore le contrat d'objectifs et de moyens (COM) de l'AFD.
À ces instances décisionnelles s'ajoutent deux organismes consultatifs : le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) et la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD).
Le projet de loi n'apporte aucune simplification à cette architecture. Il crée même deux nouvelles instances : le conseil du développement, présidé par le Président de la République, et le conseil local de développement, dirigé dans chaque pays partenaire par l'ambassadeur. Cette innovation nous semble d'ailleurs plutôt positive, car elle est susceptible d'améliorer la coordination de l'AFD et de l'ambassade au niveau local tout en permettant une meilleure concertation avec l'ensemble des partenaires concernés.
Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) regrette que « le projet de loi n'ait pu être l'occasion de donner à la politique de développement de la France un portage politique fort et unique ». Nous partageons cette analyse. Notre commission plaide depuis plusieurs années pour le retour d'un ministre ou d'un secrétaire d'État dédié au développement. Nous ne pouvons pas y obliger le Gouvernement. Cependant, nous vous proposerons de réaffirmer le rôle prééminent du ministre chargé du développement. Par ailleurs, le Cicid devra se réunir au moins une fois par an pour exercer son rôle indispensable de coordination. Nous avons également introduit des dispositions pour renforcer la tutelle de l'AFD ; je laisserai Rachid Temal les évoquer en détail.
Autre apport de ce texte, la création d'une commission indépendante d'évaluation de la politique de développement solidaire : c'est une de nos préconisations de longue date. L'évaluation interne des projets d'aide publique au développement est réalisée par des services qui dépendent des administrations conduisant ces projets. Le nouvel organisme, inspiré de la commission d'évaluation britannique, possédera l'indépendance et l'expertise technique. Il fournira ainsi, notamment au Parlement, les données nécessaires pour réaliser des évaluations plus ambitieuses de la politique de solidarité internationale.
Nous avons souhaité mieux définir sa composition, en entérinant son placement auprès de la Cour des comptes par les députés, mais en prévoyant la présence de parlementaires en son sein. Nous avons également précisé le pouvoir de saisine des assemblées, en fixant un délai de huit mois dans lequel la commission devra rendre les rapports commandés par celles-ci.
Enfin, j'évoquerai brièvement les dispositions relatives au volontariat de solidarité internationale. Le projet de loi prévoit la mise en place de volontariats réciproques, c'est-à-dire l'accueil de volontaires étrangers en France. Cela existe déjà, très marginalement, dans le cadre du service civique. L'objectif est limité puisqu'il s'agit d'accueillir 300 jeunes volontaires en France en 2022.
Pour conclure, nous nous réjouissons de pouvoir débattre d'un texte qui comporte certes des lacunes, mais aussi de nombreuses avancées pour la politique de solidarité internationale. Nous nous sommes appuyés sur les travaux antérieurs de la commission et sur les nombreuses auditions que nous avons menées, afin de proposer les modifications qui nous semblaient nécessaires. Les apports issus des nombreux amendements déposés permettront sans nul doute d'aller plus loin et d'améliorer encore le texte.