Ce projet de loi présente d'abord l'intérêt de renouveler le « narratif » de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales, notamment grâce au cadre de partenariat global (CPG). De manière pertinente, les députés en ont extrait les points essentiels pour les faire figurer dans un article liminaire.
Toutefois, nous vous proposerons de regrouper les principaux objectifs en trois catégories, au sein de l'article liminaire et du CPG : d'abord, l'aide au développement « classique », qui vise à lutter contre la pauvreté en fournissant des services essentiels ; ensuite, la défense des droits humains et de la bonne gouvernance et, enfin, la préservation des « biens publics mondiaux », par exemple le climat. Cela fera écho à la clarification des missions de l'AFD que je vais évoquer.
Nous vous proposerons également d'améliorer l'information du Parlement, dans le cadre du rapport prévu à l'article 2, qui nous permettra de débattre annuellement de la stratégie et des résultats. Nous demandons au Gouvernement de nous préciser la répartition des montants de l'aide publique au développement entre prêts et dons, en distinguant par pays, par programme et par opérateur. Nous demandons également, dans ce cadre, des informations sur la coordination entre acteurs militaires et acteurs de l'aide au développement au Sahel, dans l'optique de la stratégie « 3D » - défense, diplomatie, développement.
Nous nous soucions également de la trajectoire financière. En complément de l'augmentation des crédits de la mission « Aide publique au développement » évoquée par Hugues Saury, nous vous proposerons un amendement sur la taxe sur les transactions financières (TTF). Il nous semble en effet incohérent de ne pas davantage profiter du dynamisme de la TTF, dont le produit était d'environ 1,7 milliard d'euros en 2020, pour soutenir notre effort d'aide publique au développement. Actuellement, seulement 528 millions d'euros, soit 30 % environ du produit total, en sont prélevés pour la politique de développement, alors même qu'elle a été créée pour cela, c'est insuffisant. Nous vous proposerons donc d'affecter 60 % du produit de la TTF au Fonds de solidarité pour le développement (FSD) à partir de 2022, c'est-à-dire environ 1,02 milliard d'euros. Cet apport contribuera ainsi significativement à la trajectoire financière proposée.
Je rappelle que si le projet de loi initial inscrivait l'objectif de 0,7 % du PIB pour l'aide au développement, sans date pour l'atteindre, les députés ont adopté un amendement, avec l'accord du Gouvernement, prévoyant que la France s'efforce d'atteindre cet objectif en 2025. Nous proposons de remplacer cette formulation par des termes plus concrets : une augmentation significative des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » et de la part de TTF consacrée au développement.
J'en viens aux missions de l'AFD. Les engagements de cette agence sont passés de 6 milliards d'euros en 2009 à 14 milliards d'euros en 2019. Cette hausse très rapide est en grande partie responsable de la singularité de notre aide, qui comporte une forte proportion de prêts non concessionnels et qui est, pour cette raison, très orientée vers les pays émergents. Du fait des règles de comptabilisation de l'aide publique au développement, nous affichons des montants corrects d'aide tout en minimisant nos dépenses budgétaires. Tout le monde s'accorde sur le fait que cette stratégie a atteint ses limites. Nous n'aidons pas assez nos pays prioritaires et l'AFD, de son côté, continue à prospecter dans le monde entier pour y placer de nouveaux prêts auprès de pays qui n'en n'ont pas toujours un besoin évident. Nous faisons ainsi la « politique de notre instrument », l'AFD, au lieu d'avoir les instruments de notre politique. Le projet de loi initial ne remet pas fondamentalement en cause cette stratégie.
La fixation d'objectifs précis pour orienter notre aide vers les pays prioritaires et pour augmenter la proportion de dons, évoquée par Hugues Saury, constitue un début de solution. Pour aller plus loin, il aurait fallu séparer les activités de dons de l'AFD de ses activités de prêt. L'AFD est déjà un organisme multiple comprenant trois branches : l'AFD proprement dite, Proparco et maintenant Expertise France. À terme, on peut tout à fait imaginer une branche supplémentaire spécialisée dans les dons à destination des pays les plus pauvres.
Sans aller aussi loin, nous vous proposerons, dans un premier temps, de bien distinguer, au sein des missions de l'AFD, les deux axes suivants : d'une part, financer les services essentiels - santé, éducation, agriculture, infrastructures de base - dans les pays les plus pauvres, par le biais de dons et de prêts très concessionnels ; d'autre part, financer, essentiellement par des prêts, les biens publics mondiaux et la convergence économique dans les pays à revenu intermédiaire.
C'est aussi une question de lisibilité pour nos concitoyens, qui peuvent avoir du mal à comprendre pourquoi l'AFD aide à creuser des puits dans le Sahel et en même temps à rénover des centrales électriques en Chine ou en Turquie.
Outre cette clarification, nous nous sommes efforcés de renforcer la cohérence du pilotage de l'AFD. Dans son rapport de juin 2020, la Cour des comptes a fait ce constat : « Les outils de pilotage dont dispose le ministère des affaires étrangères demeurent insuffisants pour lui permettre d'exercer une véritable tutelle stratégique, au niveau central, sur l'AFD. »
Le projet de loi ne propose pas de mesure nouvelle pour y remédier. Actuellement, l'AFD est soumise à plus d'une centaine d'objectifs différents, fixés par les ministres de tutelle, par le Cicid et son secrétariat, par le président de la République ou le Premier ministre. Nous proposons que désormais, tout ceci aboutisse à un nombre limité d'objectifs figurant au sein du contrat d'objectifs et de moyens, présenté au Parlement avant sa signature. Ce COM rénové doit devenir le support d'une revue annuelle menée sous la direction du ministre chargé du développement afin de vérifier si l'AFD a atteint ses objectifs.
Notre commission n'était guère favorable à la fusion d'Expertise France et de l'AFD, dont les objectifs ne semblaient pas évidents. La décision a désormais été prise et il convient de maximiser les avantages qu'on peut en retirer, notamment sur le plan des synergies administratives. Toutefois, notre commission avait souligné qu'il fallait prendre garde à ce que l'intégration au sein du groupe AFD de nuise pas aux relations d'Expertise France avec les ministères pourvoyeurs d'expertise, ni à sa capacité à travailler avec les agences onusiennes ou avec la Commission européenne. Dans cet esprit, nous proposerons un amendement afin de préciser les missions d'Expertise France.
Enfin, le projet de loi prend pleinement en compte la contribution des collectivités territoriales à l'aide publique au développement française. L'État doit doubler son soutien à l'action extérieure des collectivités entre 2017 et 2022. Le texte instaure un nouveau dispositif de financement sur les budgets des services de mobilité. Ce « 1 % mobilité » vient compléter les « 1 % eau », « 1 % énergie » et « 1 % déchets ». Les succès de ces dispositifs sont inégaux, mais ils présentent l'intérêt d'avoir un fort effet de levier. Le « 1 % mobilité » devrait monter en puissance très progressivement, étant donné la crise actuelle qui frappe durement les transports urbains et locaux. Son introduction répond toutefois à une demande de certaines collectivités et sa mise en oeuvre sera facultative.
En conclusion, je voudrais souligner que, au cours du travail préparatoire à l'examen de ce projet de loi nous avons, avec Hugues Saury, partagé les mêmes analyses sur les apports, mais aussi sur les lacunes du texte. Les amendements que nous vous proposons reflètent cette vision commune sur un sujet dont l'importance fait consensus au sein de notre commission. La discussion que nous aurons aujourd'hui permettra d'enrichir encore ce texte avant son examen en séance publique à partir du 11 mai.