Intervention de Alain Lambert

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 18 février 2021 à 9h00
Audition de M. Alain Lambert président du conseil national d'évaluation des normes cnen dans le cadre des travaux sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales

Photo de Alain LambertAlain Lambert, président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) :

Vis-à-vis du principe d'égalité, notre Constitution prévoit très clairement que le législateur puisse régler de façons différentes les situations et puisse déroger à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, à condition que les différences de traitement ainsi introduites soient en rapport direct avec l'objet de la loi. Le Conseil constitutionnel a pris de nombreuses décisions en ce sens.

Je crois donc qu'il conviendrait de faire exception à l'égalité devant la loi en recourant à l'égalité par la loi, afin de rétablir une égalité réelle et non une égalité arithmétique. Cette rupture de l'égalité de traitement serait justifiée par le rétablissement de l'égalité des situations. Une égalité de fait justifierait ainsi un dépassement de l'égalité de droit.

Pour ce qui est de l'invocation de l'irrecevabilité, il conviendrait que le Sénat, par la densité qui est la sienne, ne se laisse pas prendre dans un jeu qui n'est pas à la hauteur d'une démocratie responsable. Laissez le Conseil constitutionnel vous censurer, vous verrez qu'il le fera beaucoup moins souvent que ce que l'on vous dit.

Dans le cadre des fonctions de ministre que j'ai occupées, il m'est arrivé de recevoir des notes de collaborateurs me conseillant d'invoquer l'irrecevabilité. Je crois cependant que le Sénat ne devrait pas se laisser trop tenter par cette utilisation immodérée de l'argument d'irrecevabilité.

Vous avez par ailleurs posé la question de l'utilité de la loi. De fait, la loi n'est pas l'instrument de l'action. Elle est l'instrument qui autorise l'action. À élaborer continuellement des lois, on se donne parfois le sentiment d'agir. Cependant, par le détail que nous introduisons dans la loi, nous freinons très souvent l'action. Sur ce point, il convient effectivement d'être prudent, en relisant les grands auteurs sur le sujet.

Pour ce qui est de l'agencification, l'État lui-même constate qu'il ne peut plus appliquer le droit qu'il a produit. En conséquence, il sort certaines activités du périmètre étatique pour les soumettre à droit nouveau plus opérationnel. Tel est ce qui, dans de nombreux cas, au-delà des raisons idéologiques, justifie la création d'agences. Lorsque l'État ne peut pas ou n'ose pas, parce que ce serait trop long, modifier le droit qui s'applique à l'exercice de ses activités, il fait le choix d'en créer un nouveau, en constituant une agence.

La Constitution, depuis sa révision de 2003, me semble par ailleurs prévoir quasi-explicitement une limitation du rôle de l'État. Le problème est que nous n'osons pas suffisamment utiliser cette possibilité.

Vous avez également évoqué la nécessité d'éviter un affrontement entre les collectivités territoriales. Sur ce point, prenons l'exemple de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite loi « NOTRe »), qui a posé plus de problèmes qu'elle n'en a résolus. Vous pourriez insérer par des amendements, devant tous les dispositifs problématiques à cet égard, une référence à un droit ayant vocation à s'appliquer « sauf volonté unanime contraire des collectivités territoriales ». Plutôt que de présumer un désaccord des collectivités, l'objectif serait ainsi de faire en sorte que la loi puisse promouvoir d'abord l'accord des collectivités pour aller dans un sens, en ayant vocation à s'appliquer de manière contraignante uniquement en cas d'absence de terrain d'entente.

La crise nous signifie par ailleurs le retour du local. Dans ce contexte, il conviendrait effectivement de passer à une loi organique relative au droit de l'action publique locale. Le droit qui régit les collectivités territoriales traite aujourd'hui des instruments et définit l'action publique à partir de ceux-ci, alors qu'il conviendrait désormais de régir l'action publique pour atteindre des résultats, dans un objectif de performance. À cet égard, je ne m'engagerai pas dans un débat sémantique autour des notions de transformation et de performance. La transformation que j'ai proposée ne serait qu'un instrument pour atteindre la performance que vous appelez de vos voeux.

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