Intervention de Jean-Pierre Moga

Réunion du 14 avril 2021 à 15h00
Lutte contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique — Adoption d'une proposition de loi modifiée

Photo de Jean-Pierre MogaJean-Pierre Moga :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, toute proposition de loi comporte des points forts et des points faibles. Celle-ci n’échappe pas à la règle, notamment parce qu’elle aggrave la situation des finances publiques sans prévoir de compensation équivalente. En outre, elle compte de nombreuses dispositions de nature réglementaire, comme l’a rappelé M. le rapporteur.

Elle a cependant le mérite d’exister, et elle est particulièrement bienvenue tant il y a urgence à légiférer sur la fracture numérique qui frappe de plein fouet notre pays.

Elle arrive dans le sillage du rapport du 17 septembre 2020 de la mission d’information du Sénat « Lutte contre l’illectronisme et inclusion numérique », que présidait notre collègue Jean-Marie Mizzon. Le constat dressé y était accablant : 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et près d’un Français sur deux n’est pas à l’aise avec cet outil de progrès !

Surtout, alors que la France compte 53 millions d’internautes, les plus âgés, les moins favorisés ou encore nombre de ruraux sont laissés pour compte dans une société toujours plus numérisée.

Sans surprise, cette fracture sociale et générationnelle est aussi, dans une large mesure, territoriale. En effet, 50 % des non-internautes résident dans des communes de moins de 20 000 habitants.

Au mois de mai 2018, la Cour des comptes avait évalué à 34 milliards d’euros le coût du plan France Très haut débit et estimé que l’objectif de raccordement d’ici à 2030 était nettement plus réaliste que la prévision initiale, c’est-à-dire 2022.

Dans ce contexte, la dématérialisation généralisée et à marche forcée des services publics d’ici à 2022 laisse sur le bord de la route trois Français sur cinq, incapables ou presque de réaliser des démarches administratives en ligne.

Pour toutes ces raisons, le passage d’une logique 100 % dématérialisée à une logique 100 % accessible semble, pour l’heure, quelque peu compromis.

Fort de ces chiffres, le rapporteur de la mission, notre ancien collègue du Gers Raymond Vall, avait tenu à bien prendre la mesure de ce phénomène d’envergure, en précisant combien la lutte contre l’illectronisme dépasse largement le simple défaut de maîtrise technologique des outils numériques.

De fait, l’illectronisme, qui peut aussi s’expliquer par un manque de compétences informatiques, provoque immanquablement une rupture d’égalité des citoyens, lorsque ceux-ci sont confrontés à une dématérialisation totale des démarches administratives. Il est aussi parfois facteur d’exclusion sociale. C’est inadmissible, et notre pacte républicain ne peut pas le tolérer !

C’est la raison pour laquelle le rapport demandait que l’inclusion numérique soit proclamée priorité nationale et service d’intérêt économique général. Surtout, il préconisait l’allocation d’un milliard d’euros à ce chantier colossal ; cela représente un budget quatre fois supérieur à celui qui est prévu en loi de finances pour 2021.

Ne nous leurrons pas. L’argent est, ici plus d’ailleurs, le nerf de la guerre. Les propositions qui figurent dans le rapport, si elles sont mises en pratique, comme les actions menées jusqu’ici par le Gouvernement, donneront des résultats uniquement si tout est mis en œuvre au plan financier pour parvenir à un niveau d’inclusion numérique satisfaisant dans les meilleurs délais.

À cet égard, quid des préconisations du rapport, notamment de la proposition de professionnalisation de la médiation numérique ? Il y a pourtant là un vivier d’emplois qui pourraient séduire de jeunes diplômés, mais encore faudrait-il, là aussi, les rémunérer à leur juste valeur. Le SMIC, niveau qui est évoqué, ne peut décemment pas suffire.

Dans ces conditions, puisque tout est une question de financement et de budget, de quels moyens le législateur dispose-t-il pour inciter le Gouvernement à agir au mieux et, surtout, au plus vite ? Et quid de cet ambitieux chantier d’inclusion numérique, décrété grande cause nationale ? Il est très attendu, en particulier dans nos territoires ruraux brusquement confrontés à la dématérialisation massive des services publics.

La commission des lois a arrêté un périmètre indicatif pour cette proposition de loi. Celui-ci comprend la détection et l’étude des personnes en difficulté face au numérique, les échanges et procédures numériques avec l’administration, les compétences numériques de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), la formation au numérique pour les personnels de l’enseignement et les aides en lien avec le numérique.

Tâchons de nous y tenir, car il est un fait parfaitement établi et confirmé par la crise du covid-19 : la société numérique provoque l’exclusion de nombre de nos concitoyens. Cet outil de progrès, auquel nous devons, entre autres, la démocratisation des savoirs, est donc aussi particulièrement inégalitaire.

Cet état de fait n’est pas tolérable ! Il y a un risque croissant d’atteinte au principe d’égalité devant le service public. Nous ne pouvons pas l’accepter. D’ailleurs, l’intitulé de la proposition de loi est plus qu’explicite : il s’agit bien d’une « lutte ».

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, donnons-nous les moyens de venir à bout de ce véritable fléau !

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