La concurrence internationale est très forte, mais certaines questions concernent directement l'Union européenne, car de nouveaux acteurs veulent émerger. Les Allemands sont très attachés à réaliser un microlanceur. Nous disposons d'un savoir-faire et, plutôt que de nous opposer, nous devons travailler avec eux.
Nous disposons déjà d'une gamme assez complète de lanceurs en Europe : Ariane, Véga, etc. L'enjeu est de savoir si nous pourrons compter sur une politique de lancements institutionnels suffisante pour nous permettre de mener une politique commerciale compétitive face aux tarifs très bas pratiqués outre-Atlantique. L'Europe a besoin d'un lanceur lourd pour garantir sa souveraineté spatiale. Nous devons nous en donner les moyens. Le fait que tous les États européens s'intéressent à l'espace est une bonne nouvelle et montre bien l'importance de l'espace. L'enjeu est celui de la coordination. À travers la réalisation de grands programmes sous l'égide de l'ESA, on constate que l'une des difficultés tient à la complexité d'organiser le retour géographique en ce qui concerne l'organisation industrielle. Nous devons trouver des règles plus souples. Autant la règle du retour géographique peut se justifier lorsqu'il s'agit de grands programmes scientifiques lourds et risqués, autant cela devient plus problématique dès lors que l'on veut produire des objets en série à des coûts compétitifs.
Nous devons nous mobiliser avec nos partenaires européens autour d'un ou deux grands nouveaux projets. La constellation de satellites pourrait en faire partie, car il s'agit d'un moyen de fournir un accès à internet haut débit sur tous les territoires. Le prochain lanceur devra aussi être conçu dans un cadre européen.
L'installation du centre de l'OTAN et du commandement de l'espace sur le campus du CNES à Toulouse montre l'attractivité du site et de tout l'écosystème qui lui est associé. Mécaniquement, il y aura des échanges, des coopérations. Des transferts de savoir-faire ont déjà lieu avec le commandement de l'espace.
Beaucoup d'applications spatiales ont une dimension duale : militaire et civile. Les relations avec la DGA sont fluides. Celle-ci souhaite que le CNES conserve son excellence technique pour qu'elle puisse avoir un interlocuteur de haut niveau en ces domaines. Disposer d'une feuille de route stratégique sur la défense spatiale facilite notre coopération.
De plus en plus d'objets sont en orbite. Le temps de désorbitation peut être plus ou moins long selon les orbites. On assiste en effet à une forme d'encombrement de l'espace. Si le nombre de collisions reste très faible, il croît plus vite que le nombre d'objets en orbite. Nous devons donc d'abord identifier et suivre les objets en orbite. Nous devons aussi concevoir des satellites capables de se désorbiter rapidement en produisant peu de débris. Comment faire pour désorbiter les débris actuellement en orbite ? Un ensemble de techniques sont aujourd'hui mises en oeuvre.
La question de la fin de vie des satellites et de l'encombrement de l'espace se pose davantage encore avec l'arrivée prochaine d'une constellation de satellites. Pour chaque constellation, on parle de plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de satellites. Cet encombrement ne va faire que croître. Elon Musk, par exemple, envoie aujourd'hui 60 satellites à chaque lancement pour sa constellation. Cette question de l'encombrement, absolument centrale, demande avant tout un effort de coordination internationale.
L'observation de la Terre est au centre des problématiques de développement. Tous les modèles mathématiques ou numériques qui permettent aux scientifiques de comprendre comment fonctionne notre planète - sur des sujets aussi variés que la météo, le climat, le suivi des productions agricoles ou des pandémies - sont nourris de données spatiales. L'apport de ces données pour la compréhension des phénomènes physiques qui gouvernent nos vies est crucial, notamment pour ce qui concerne les ressources agricoles et les ressources hydriques, ou encore le suivi des populations et des pollutions. Avec ces données, nous sommes au coeur des applications spatiales et de la coopération entre différents organismes en France et dans le monde.
Quelles sont les priorités pour l'avenir ? Il faut être à l'écoute des scientifiques quand on aborde des questions aussi complexes, qui se traitent dans la durée.
L'observation de la Terre doit être prioritaire. De cette observation dépend le traitement de questions fondamentales liées au climat, à la biodiversité, au suivi des pollutions. Le nombre de données sur ces sujets ne cesse d'augmenter. Avec la miniaturisation des satellites, les petits lanceurs ou encore les nanosatellites, nous aurons une profusion de données à traiter.
La question de la compréhension de l'univers nous touche tous profondément. Nous avons, sur ces sujets, des programmes déjà très organisés.
Se pose ensuite la question de l'exploration humaine de l'espace. Historiquement, comme vous le savez, cela n'a jamais été une priorité pour l'Europe, comme cela a pu l'être pour les États-Unis ou la Russie. Technologiquement, nous savons faire des choses. Les coûts, bien sûr, sont significatifs. Si l'on compare le budget spatial européen par habitant à celui des États-Unis, on est presque à un ordre de grandeur de différence.
Pour un scientifique pur, la priorité n'est pas d'envoyer des hommes dans l'espace, mais d'utiliser les sondes et les satellites pour faire de l'observation et comprendre les phénomènes. L'ingénieur aurait sans doute un point de vue différent ; il évoquerait le formidable défi technologique que cela représenterait. Et l'homme et le citoyen ne peuvent que rêver en imaginant, demain, une installation durable sur la Lune ou, à plus long terme, l'envoi d'hommes sur Mars.
Un certain nombre de grands pays se positionnent aujourd'hui pour construire une base durable sur la Lune ou pour envoyer des hommes sur Mars. Compte tenu des moyens et de la technologie à développer pour réaliser ce type de choses, l'enjeu est d'en faire un grand projet international.
Un point essentiel a été soulevé concernant les emplois dans la filière spatiale. Un certain nombre de secteurs se portent très bien, avec des champions français ou européens sur la scène internationale. Dans d'autres secteurs, des questions se posent ; je pense, notamment, au sujet des lanceurs. Le rôle du CNES est de garantir à la fois le transfert et l'apport de technologies, ainsi que des programmes aux industriels, de manière à les faire monter en compétences. Il est important d'être mobilisé sur ces questions ; les emplois et la compétitivité de la filière en dépendent.
Venant du monde numérique, mon projet - je le redis - se tient aux frontières du numérique et du spatial.