Intervention de Catherine Deroche

Commission des affaires sociales — Réunion du 14 avril 2021 à 9h30
Communication sur le bilan annuel de l'application des lois

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, présidente :

Chaque année, les présidents des commissions permanentes procèdent à un bilan de l'application des lois relevant de leur compétence au 31 mars, six mois après la fin de la session précédente.

Ces informations font ensuite l'objet d'un rapport de synthèse présenté en conférence des Présidents, puis en séance publique. Cette année, le débat avec le Gouvernement est prévu au cours de la première semaine de juin.

Ce bilan est réalisé à partir du suivi permanent, par chaque commission, des textes réglementaires relevant de son domaine de compétences. Il est principalement statistique, mais comprend aussi des éléments qualitatifs sur la conformité des textes d'application à l'intention du législateur ou sur les raisons des retards constatés.

Le bilan annuel que je vous présente aujourd'hui porte sur les lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2019-2020, entre le 1er octobre 2019 et le 30 septembre 2020. Il intègre les mesures d'application publiées jusqu'au 31 mars 2021.

Cette borne de six mois correspond à l'objectif retenu par une circulaire du 29 février 2008 pour le délai d'édiction des mesures réglementaires nécessaires à l'application des lois.

Il s'agit parfois d'un exercice teinté d'une certaine étrangeté dans la mesure où il s'agit de demander des comptes au Gouvernement sur l'application de mesures que le Sénat n'a pas votées ou, par exemple, de déplorer le retard de la remise de rapports qu'il n'a pas demandés. C'est pourquoi je vous invite à relativiser le seul volet statistique de cet exercice qui ne dit au fond que peu de choses.

Vous serez par ailleurs destinataires d'une note détaillée texte par texte, destinée au rapport d'ensemble qui sera publié au mois de juin. Je me bornerai donc aujourd'hui, au-delà de quelques chiffres, à vous faire part des principaux constats sous un angle plus qualitatif.

Durant l'année parlementaire 2019-2020, le Parlement a adopté définitivement sept lois examinées au fond par notre commission des affaires sociales, auxquelles s'ajoute un texte examiné pour avis avec délégation au fond.

Trois de ces lois étaient issues d'une proposition de loi de l'Assemblée nationale : la proposition de loi visant à améliorer les droits des travailleurs et l'accompagnement des familles après le décès d'un enfant, la proposition de loi permettant d'offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action durant l'épidémie de covid-19, et la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer. Trois étaient issues d'un projet gouvernemental : le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 et le projet de loi et le projet de loi organique sur la dette sociale et l'autonomie. Une était issue d'une proposition de loi du Sénat : la proposition de loi visant à améliorer l'accès à la prestation de compensation du handicap.

Sur sept lois examinées au fond par notre commission, une était d'application directe (le PJLO) et six appelaient un total de 165 mesures réglementaires d'application, dont 142 pour la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Au total, 79 mesures avaient été prises au 31 mars 2021, soit un taux de 48 %, contre 64 % les deux années précédentes.

À la différence des années précédentes où la loi de financement de la sécurité sociale est vite et bien appliquée, en général à plus de 90 % et 94 % l'an dernier, le taux de mise en application au 31 mars dernier est de 46 %.

Le fil conducteur que j'ai choisi pour cette communication est celui de la difficulté du Gouvernement à gérer le temps, et en particulier le temps parlementaire, ressource particulièrement précieuse en ces temps de crise sanitaire.

L'exemple le plus caricatural est certainement la loi du 30 juillet 2020 permettant d'offrir des chèques-vacances aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action durant l'épidémie de covid-19 devenue caduque avant même d'avoir reçu le décret d'application nécessaire après avoir, pourtant, fait l'objet d'une procédure accélérée. Nous avions émis des doutes à la fois sur l'opportunité de ce texte et son adéquation aux besoins des soignants, mais aussi sur son caractère opérationnel que notre rapporteur, Frédérique Puissat, s'était pourtant efforcée d'améliorer.

Autre exemple parmi les textes promulgués au cours de la période considérée, la loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer, examinée en première lecture au Sénat en février 2017 dans des circonstances qu'il n'est pas nécessaire de rappeler puis en deuxième lecture en juin 2020, soit trois ans après. Le Sénat a été « sommé » de faire un vote conforme sur ce texte afin de permettre une application anticipée en 2021 ce que la lettre du texte rend difficilement possible. À ce jour, aucun décret d'application n'a été pris en raison des difficultés techniques rencontrées en particulier dans les outre-mer. Le ministre, que j'ai interrogé à ce sujet, conserve l'objectif d'une application en 2021, mais nous sommes déjà mi-avril...

La loi du 6 mars 2020 visant à améliorer l'accès à la prestation de compensation du handicap, issue des travaux de nos collègues Alain Milon et Philippe Mouiller, n'est pas davantage applicable alors que les textes d'application étaient attendus pour décembre 2020.

Un autre exemple de précipitation manifeste : la création de la cinquième branche de la sécurité sociale, saluée avec la plus grande solennité comme « historique » lors de sa création par la loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie, mais qui n'a connu qu'un début de mise en oeuvre très limitée au sein du PLFSS 2021 alors que la loi Grand âge et autonomie semble renvoyée aux calendes grecques.

Il ne s'agit pas, sur ce sujet, d'un décret d'application qui n'aurait pas été pris, mais de la redéfinition tout entière d'une politique publique qui n'a pas été au rendez-vous des espoirs portés par le texte.

Quand le Gouvernement applique les textes, il prend parfois certaines libertés avec l'autorisation parlementaire qui lui est donnée.

C'est ainsi que l'autorisation des transferts de dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) pour les années 2020 et 2021, prévue par ce même texte sur la dette sociale et autonomie, a été dépassée de 174 millions d'euros, sans que le Gouvernement juge nécessaire de demander une nouvelle autorisation en PLFSS pour 2021.

Le rapporteur général a déjà eu l'occasion de souligner les conséquences du transfert de l'État à l'assurance maladie du financement de l'agence nationale de santé publique dite « Santé publique France » opéré en PLFSS pour 2020. La dotation à Santé publique France, fixée à 150 millions d'euros par un arrêté du 11 mars 2020, a été portée à 4,8 milliards d'euros trois mois plus tard, par un arrêté du 8 juin 2020.

Cette augmentation est juridiquement possible dans la mesure où le formalisme qui s'attache aux dépenses de l'assurance maladie n'est pas le même que celui du budget de l'État. Elle est politiquement plus discutable, le Gouvernement n'ayant pas souhaité revenir devant le Parlement malgré le dérapage manifeste des comptes sociaux. Plus grave : la dotation à Santé publique France a donné lieu à une « rebudgétisation » de 700 millions d'euros via un transfert de l'agence à la mission « Santé » du budget de l'État. Or cette somme n'a pas fait l'objet de l'autorisation de dépenser nécessaire aux dépenses de l'État. Nous verrons ce que la Cour des comptes dira de ce procédé sur lequel nous aurons l'occasion de l'interroger.

Ce précédent a conduit le rapporteur général à préconiser, dans le cadre de la proposition de loi organique qu'il a déposée, la mise en place de crédits limitatifs au sein du PLFSS pour les dépenses qui ne relèvent pas des assurances sociales. Ces crédits limitatifs pourraient s'appliquer au financement des agences sanitaires par l'assurance maladie, tout dépassement devant conduire à revenir devant le Parlement.

L'article 51 de la LFSS pour 2021 a repoussé l'entrée en vigueur de plusieurs des réformes prévues l'année précédente : la réforme du financement des hôpitaux de proximité, de la psychiatrie ou encore des urgences ou du ticket modérateur à l'hôpital a ainsi été différée.

Parmi les textes promulgués au cours des sessions antérieures, j'évoquerai la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, promulguée au cours de la session précédente et qui appelait 71 mesures d'application dont seul un tiers avaient été pris l'an dernier à pareille époque.

Pour ce texte qui comportait, comme la commission l'avait regretté, un grand nombre d'habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnance, seules trois des onze ordonnances prévues ont été publiées, portant sur les carrières hospitalières, les GHT et les conditions de certification des logiciels en vue de la généralisation par étapes de la prescription électronique.

Certains délais d'habilitation ont été prolongés par les textes relatifs à l'urgence sanitaire ; c'est le cas des deux ordonnances relatives à la procédure de certification des professionnels de santé (article 5) et d'une ordonnance de l'article 64.

Le Gouvernement a également prolongé de 4 mois d'ici à mai 2021 par l'article 14 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 les délais d'habilitation sur les modalités d'organisation et de gouvernance des hôpitaux de proximité (article 35) dont la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a précisé sans attendre les conditions de financement ; la réforme du régime des autorisations sanitaires (article 36) ; l'identification et l'authentification des usagers du système de santé pour accompagner le développement des usages numériques en santé (article 49) ; l'organisation et fonctionnement des agences régionales de santé (ARS), par des mutualisations de leurs actions, en allégeant des procédures et formalités pour prendre en compte des caractéristiques de certains territoires (article 64).

Nous atteignons ainsi des délais d'habilitation de 22 mois, ce qui pour un dispositif censé pallier les supposées lenteurs du Parlement n'a clairement pas atteint sa cible, M. Véran s'est engagé à venir devant notre commission présenter ces différentes ordonnances.

L'application des dispositions inscrites « en dur » dans le texte a progressé depuis l'an dernier, mais reste très partielle.

Pour le volet relatif aux études de médecine, la partie relative aux épreuves classantes nationales n'a pas encore été mise en oeuvre.

La réforme du premier cycle des études médicales, mise en oeuvre par un décret du 4 novembre 2019, est en revanche à inscrire au catalogue des ambitions déçues, au moins pour cette première année de transition entre l'ancien et le nouveau système. La volonté de ménager les chances des doublants de la première année commune aux études de santé (Paces) ne s'est en effet pas accompagnée de l'augmentation nécessaire des capacités d'accueil pour les étudiants issus des Parcours accès santé spécifique (PASS) et des licences avec option accès santé. Les capacités disponibles, définies université par université ont été communiquées tardivement et de manière peu transparente, ce qui a conduit à des inquiétudes décuplées en ces temps de crise sanitaire. Nous sommes nombreux à avoir interpellé la ministre de l'enseignement supérieur à ce sujet et il semble que la réforme ait manqué un objectif que nous avions pourtant soutenu, de mettre fin au gâchis de l'échec programmé d'excellents élèves ayant choisi un métier de vocation, et dont nous avons collectivement un besoin criant.

Pour le reste du texte, son application a souffert de la crise sanitaire et nous devrons à nouveau nous tourner vers le Gouvernement pour disposer d'un nouvel échéancier d'application du texte.

Sur le front des demandes de rapports au Parlement, la situation est tout à fait comparable aux années précédentes. Les sept lois promulguées contenaient 18 demandes de rapport, dont un seul a été remis, relatif à la création de la branche autonomie, dit rapport Vachey, dont nous avons entendu l'auteur en commission. Aucun des 15 rapports demandés dans le cadre du PLFSS n'a ainsi été remis. Je ne ferai pas de reproche au Gouvernement à ce sujet puisqu'il s'agit par construction de demandes que notre commission n'a pas approuvées. Ce chiffre, comparable à celui de l'an dernier (1 sur 21) me paraît conforter notre position de principe sur les demandes de rapport. Si notre commission souhaite un rapport, il faut qu'elle examine si il répond à un besoin politique impérieux, mais aussi si elle dispose à la fois de la volonté, du temps et des ressources pour le réaliser elle-même.

Voici, mes chers collègues, les principaux enseignements pouvant être tirés de ce bilan annuel. Reste à examiner comment ces réformes sont effectivement mises en oeuvre sur le terrain. C'est tout le sens de nos missions d'évaluation et de contrôle.

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