Intervention de Corinne Prost

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 13 avril 2021 à 14h30
Pauvreté en milieu rural — Audition de M. Jean-Paul Carteret deuxième vice-président de l'association des maires ruraux de france Mme Corinne Prost cheffe du service de la statistique et de la prospective au ministère de l'agriculture et de l'alimentation et M. Dominique Marmier président de familles rurales fédération nationale

Corinne Prost, cheffe du service de la statistique et de la prospective au ministère de l'agriculture et de l'alimentation :

Merci Madame la Présidente. Je vous proposerai une vision chiffrée et quantitative des éléments dont nous disposons au sein du ministère de l'Agriculture, avec une focalisation sur l'agriculture.

L'institut national de la statistique (Insee) a mis en place un groupe de travail cherchant à définir ce qu'est le rural. Ces travaux ont été présentés à la commission territoires du Conseil national de l'information statistique (CNIS). Le rural est en l'occurrence multiforme. Pour l'Insee, il est défini comme «?l'ensemble des communes peu denses et très peu denses?». Lorsqu'on cherche à mieux cibler ces zones, on distingue les communes sous l'influence d'un pôle urbain, que l'on peut appeler le rural périurbain, et les autres communes. Nos agriculteurs sont plutôt situés dans le rural non périurbain et dans les communes très peu denses. Ce rural périurbain est plus dynamique et bénéficie fortement du dynamisme des métropoles, avec notamment des habitants travaillant en ville mais vivant à la campagne.

Les agriculteurs exploitants sont des non-salariés, chefs d'exploitation qui perçoivent un revenu issu pour partie du résultat d'exploitation. Ces revenus sont dès lors difficilement comparables à des revenus salariés. Il est donc plus difficile de caractériser le niveau de pauvreté de ces personnes, qui peuvent enregistrer de faibles résultats d'exploitation une année donnée, pour des raisons économiques ou météorologiques, sans être appauvries sur une durée plus longue si leur exploitation est rentable. Elles peuvent en outre décider de s'allouer un revenu ou non, indépendamment du résultat d'exploitation, avec par exemple la possibilité de privilégier un investissement dans l'exploitation afin d'améliorer son rendement futur. Le patrimoine professionnel est ainsi fortement imbriqué avec le patrimoine privé, ce qui induit une plus grande difficulté à caractériser la pauvreté de ces agriculteurs exploitants.

Pour autant, un certain nombre d'études se sont penchées sur les revenus de ces ménages agricoles. Plusieurs d'entre elles ont été publiées en 2020 par l'Insee, et montrent que ces ménages sont davantage soumis à la pauvreté que les ménages des zones comparables. En Bourgogne-Franche-Comté, par exemple, les personnes vivant dans les ménages agricoles sont plus souvent touchées par la pauvreté que l'ensemble de la population de la région : le taux de pauvreté des ménages agricoles y est de 18 % contre 13 % en moyenne dans la région. C'est dans les territoires spécialisés dans l'élevage bovin que le niveau de vie est le plus faible. Ces revenus sont en effet souvent liés au type de production, et affichent une forte disparité. Les revenus peuvent par exemple être très élevés ou assez faibles au sein de la viticulture tandis que dans l'élevage, ils sont généralement plus concentrés et plus faibles.

De façon générale, dans la «?France de province?», en 2015, 20 % des ménages agricoles étaient pauvres contre 14 % de l'ensemble des ménages actifs. Pour autant, les agriculteurs ont souvent un patrimoine relativement élevé, correspondant au patrimoine professionnel : 90 % d'entre eux possèdent ainsi un patrimoine immobilier, contre une moyenne de seulement 60 % pour l'ensemble de la population.

Nous nous intéressons en outre à la situation des salariés du secteur agricole. Les salaires de l'ensemble de ces salariés s'élevaient à 12,49 euros par heure en 2016, soit 1,29 SMIC. Ils ont affiché une progression de 1,4 % par an. Pour les saisonniers et occasionnels, ils représentaient 1,15 SMIC, se rapprochant de situations considérées comme précaires, à double titre : des salaires beaucoup plus proches du SMIC et des durées du travail s'éloignant du plein temps. Les salariés agricoles sous statut précaire (CDD, saisonniers) assurent la moitié du volume de travail salarié et représentent 80 % des travailleurs directement salariés par les exploitations agricoles. Ils fournissent donc la majorité de la force de travail sur ces exploitations, contrairement aux salariés permanents. Une proportion croissante de travailleurs agricoles est salariée par des entités juridiques extérieures, qu'il s'agisse de prestataires de services ou d'agences d'intérim. Le secteur agricole a de plus en plus recours au travail détaché. Pour autant, nous n'avons pu trouver de données sur le taux de pauvreté de ces personnes. Il s'agit souvent de personnes assurant plusieurs activités dans l'année, avec plusieurs employeurs, ce qui complexifie le suivi et la caractérisation en termes de revenu complet et de taux de pauvreté.

S'agissant des marchés du travail, une étude de France Stratégie sur la thématique «?Chômage et territoires : quel modèle de performance ??» conclut que la typologie urbain/rural ne suffit pas à caractériser la performance d'un territoire, et qu'il existe une multitude de trajectoires possibles de lutte contre le chômage , de sorte qu' «?un levier efficace semble résider dans un modèle de développement qui s'appuie sur les ressources à disposition, en misant sur une complémentarité avec les territoires adjacents?». L'étude n'identifie donc pas de phénomène systématique concernant les territoires ruraux, certains parvenant à lutter contre le chômage et à permettre un accès à l'emploi suffisant aux habitants.

Enfin, du point de vue de l'accès à l'éducation, l'enseignement technique agricole propose une offre éducative adaptée au monde rural. Nous disposons de publications sur l'implantation de ces établissements sur l'ensemble du territoire. Le taux d'internes parmi les élèves de ces établissements est très élevé, et leur permet d'accéder à des formations diverses sur l'ensemble du territoire. Ces établissements agricoles comptent ainsi 56 % d'internes en moyenne contre 4 % pour les établissements de l'éducation nationale.

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