Intervention de Gilbert Cette

Délégation aux entreprises — Réunion du 1er avril 2021 à 8h30
Table ronde quelles perspectives pour le télétravail

Gilbert Cette, économiste, professeur d'économie associé à l'université d'Aix-Marseille :

Nous avons constaté, au cours de cette période de Covid-19 et de confinement, une explosion du télétravail, en France comme dans tous les pays avancés. Si le chiffrage est assez difficile, on estime cependant qu'environ un quart des travailleurs seraient dans une situation de télétravail. On ne sait pas très bien comptabiliser le télétravail : faut-il compter les personnes en télétravail à un « moment t » ou l'ensemble des personnes qui, sur une semaine de référence, sont amenées à télétravailler ? La littérature économique est cependant assez consensuelle quant au fait qu'en France comme dans les autres pays avancés, la proportion de postes télétravaillables serait d'un tiers, sinon plus. Ce chiffrage semble très prudent. Vous avez évoqué les bénéfices du télétravail : pour les télétravailleurs, il s'agit d'économiser le temps de transport et d'éviter ses inconvénients, notamment en région parisienne, et de concilier plus facilement vie professionnelle et vie personnelle. Les enquêtes conduites auprès des travailleurs montrent qu'une majorité d'entre eux souhaiterait continuer à télétravailler après la fin de la crise de la Covid-19. Du côté des entreprises, des gains de productivité peuvent intervenir. La littérature économique démontre qu'ils peuvent être parfois très importants, par une plus grande implication et une plus grande satisfaction globale des travailleurs. Mais on peut aussi observer des pertes de productivité quand le télétravail est mal conçu et mal organisé, et quand il se produit dans une situation de confinement extrême, avec notamment la présence d'enfants. Les entreprises peuvent aussi attendre des économies assez importantes en matière d'immobilisations, sources de gains de productivité. L'un des effets économiques du télétravail, encore peu étudié, est celui sur les marchés immobiliers. On peut s'attendre à des effets très forts en la matière, en particulier dans les endroits où le marché est assez tendu, si le télétravail connaissait un niveau d'équilibre élevé après la crise.

Je considère que nous ne reviendrons pas à l'avant Covid-19 en termes de recours au télétravail. Il n'est pas impossible que le recours au télétravail demeure massif, peut-être même plus important qu'il ne l'est actuellement, puisque des postes non télétravaillés seront réorganisés pour devenir télétravaillables.

Tout ceci demande des adaptations. Qu'en est-il notamment de la mesure du temps de travail ? La définition européenne du temps de travail effectif est « le temps durant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur sans pouvoir vaquer à des occupations ». Avec le développement du télétravail, nous devrons reconcevoir la mesure du temps de travail effectif au profit d'une approche en termes de charge de travail plutôt qu'en termes de minutes et d'heures passées sur un lieu de travail, facilement vérifiables par la hiérarchie.

Le développement du télétravail ne doit pas entraîner un nivellement par le bas « à la française ». Comme toute innovation, le télétravail présente de nombreux avantages, mais aussi des inconvénients. Son développement doit donc être accompagné. Ce n'est pas au nom des inconvénients que le recours au télétravail devrait être freiné. Cet accompagnement doit privilégier la voie de la négociation collective, puisque la réalité du télétravail diffère considérablement d'une entreprise à une autre, mais également les attentes d'un salarié à l'autre. Il est nécessaire d'éviter autant que possible des normes réglementaires qui brideraient le développement du télétravail pour susciter l'émergence de normes conventionnelles issues de la négociation collective entre les partenaires sociaux.

En résumé, le télétravail constitue une opportunité très forte en termes de gains de productivité et de réponse à des difficultés économiques que nous connaissons aujourd'hui, en particulier l'endettement public. L'accroissement du PIB qui pourrait en résulter contribuera à la réduction du ratio dette publique/PIB. J'ajoute qu'il convient d'éviter notre réflexe traditionnel de « village gaulois » : regardons comment les pays étrangers conçoivent le développement du télétravail, afin de s'inspirer de bonnes pratiques, qui essaient de concilier au mieux, d'une part, les attentes et la protection des travailleurs, d'autre part, la recherche de gains de performance économique. C'est ainsi que le télétravail pourra être une innovation gagnant-gagnant.

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