Intervention de Brigitte Bariol-Mathais

Délégation aux entreprises — Réunion du 1er avril 2021 à 8h30
Table ronde quelles perspectives pour le télétravail

Brigitte Bariol-Mathais :

Merci de nous associer à cette table ronde. La Fédération nationale des agences d'urbanisme rassemble une cinquantaine de structures d'ingénierie partenariale qui travaillent au côté des collectivités sur les politiques publiques, l'aménagement, l'observation et la prospective. Un certain nombre d'agences se sont penchées sur les évolutions du travail et l'effet accélérateur de la crise de la Covid-19. Nos travaux nous amènent à aborder quatre points : un changement dans la conception et la programmation des logements, une évolution dans l'organisation et la localisation des espaces de travail, les impacts sur les déplacements et l'impact de ces transformations sur les stratégies résidentielles des ménages, la conception urbaine et les enjeux d'aménagement du territoire.

Au cours de la pandémie, beaucoup de ménages ont dû transformer leur logement en bureau et en école. Nous assistons à un enjeu d'hybridation des espaces de logement et de travail, avec la nécessité de logements plus évolutifs, plus vastes, qui puissent se doter d'une pièce supplémentaire dédiée au travail ou, au contraire, la possibilité de mutualiser ces espaces à l'échelle de l'immeuble ou de l'îlot. Certains bailleurs ou promoteurs avaient tenté de s'engager dans cette voie il y a 5 ou 10 ans, avec peu de succès. La question de l'accès au digital est aussi devenue une clé indispensable. Les modes de vie s'hybrideront ainsi davantage, avec d'une part des urbanités physiques et un éventuel retour à une plus grande proximité et, d'autre part, une connexion en archipel numérique, permettant d'accéder au travail et à d'autres ressources.

S'agissant des espaces de travail, les 20 dernières années ont vu le développement de l'immobilier de bureau et des quartiers d'affaires, notamment dans les métropoles françaises. Un coup d'arrêt très brutal a été porté à cette dynamique en 2020, avec un marché en forte chute par rapport au 1er semestre 2019 estimé à - 45 %. La question de la spatialisation de l'immobilier de bureau se pose en conséquence, de façon inégalitaire en fonction des différents espaces de bureaux. Certains, bien situés et connectés, restent attractifs, alors que se pose la question du devenir des espaces situés en 2e ou 3e rideau urbain, mal ou déconnectés, avec un déficit de mixité déjà reconnu. L'approche du bureau donne lieu à des questionnements dans de nombreuses entreprises, qui souhaitent mettre en place des espaces plus évolutifs, dont le nombre de postes de travail est inférieur au nombre de salariés, plus modulaires, avec de petits espaces de travail, des bulles permettant de se connecter, etc. Ces évolutions tendent à la réduction des espaces de bureau, qui est déjà sensible depuis plusieurs années et a vocation à s'accélérer, mais également à l'émergence de lieux tiers, permettant un travail nomade, en plus grande proximité des espaces résidentiels et enfin d'espaces bien connectés, notamment des gares. À Saint-Omer, une gare désaffectée a été transformée en espace de coworking et a pu être connectée de nouveau, avec une desserte à la métropole lilloise. Il s'agit de vecteurs de reconquête, notamment dans des centralités intermédiaires. En termes d'organisation de l'espace, nous pouvons imaginer que la respatialisation du travail se fera de manière différenciée entre le résidentiel, qui devra s'adapter au niveau programmatique, les bureaux (resserrés, mieux situés, dans des dispositifs urbains qui appelleront davantage de mixité) et les tiers-lieux (offrant des bouquets de services et permettant un maillage différent des quartiers et des espaces).

Ces modes de vie et de travail plus hybrides limiteront les pics des heures de pointe, liés à des horaires très réguliers. Ils ne sont pas nécessairement synonymes d'une diminution globale des déplacements, mais sans doute de modes de déplacement différents, peut-être moins motorisés si des dispositifs de proximité se développent. Une forte connexion aux espaces de travail demeurera néanmoins. L'enjeu pour les collectivités et les acteurs est dès lors de repenser les systèmes de mobilité, ce qui pose un véritable défi pour les autorités organisatrices de transport, alors que les modèles ont été pensés sur la base d'une autre gestion.

Nous pouvons également nous interroger sur les impacts de ces phénomènes sur la stratégie résidentielle. Nous voyons apparaître dans les grandes métropoles des affiches invitant à s'installer en dehors des grandes villes et singulièrement de la capitale. En l'occurrence, il ne s'agira pas d'un exode massif, les métropoles conservant leur attractivité en termes de ressources de formation, culturelles, territoriales, etc. Cet argument doit donc être nuancé. En revanche, une véritable transformation des espaces de travail conduira à les diffuser dans l'espace urbain, avec davantage de proximité et une opportunité pour les centralités, y compris de reconquêtes des rez-de-chaussée par d'autres fonctions et espaces. Cette évolution bénéficiera en priorité aux territoires très bien connectés et espaces métropolitains, qui pourront bénéficier à la fois de la possibilité de rejoindre les pôles d'emploi et d'un environnement attractif. Un véritable défi est ainsi posé aux villes intermédiaires pour leur reconquête.

Nous voyons également apparaître des dématérialisations de la localisation ou des bi-localisations, avec la tentation, pour de jeunes actifs, d'avoir accès à un logement offrant une meilleure qualité de vie. Les critères du jardin ou de la terrasse sont ainsi devenus déterminants dans les aspirations, comme en témoignent des études en cours. Nous voyons en outre se développer des systèmes de bi-résidence, afin de disposer de la double possibilité du travail décentralisé et d'une présence dans les centres urbains. Cette notion d'hybridation des espaces et des modes de travail pose un véritable enjeu pour un aménagement des territoires plus équilibré.

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