Intervention de Virginijus Sinkevicius

Commission des affaires européennes — Réunion du 15 avril 2021 à 9h05
Agriculture et pêche — Table ronde sur l'actualité européenne de la pêche avec mm. virginijus sinkevicius commissaire européen à l'environnement aux océans et à la pêche françois-xavier bellamy député européen pierre karleskind président de la commission de la pêche du parlement européen et mme caroline roose députée européenne

Virginijus Sinkevicius, commissaire européen à l'environnement, aux océans et à la pêche :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les députés, c'est un honneur pour moi d'avoir l'opportunité de m'exprimer devant vous, dans le cadre de cette table ronde sur la pêche. L'occasion apparaît tout à fait idéale, non seulement parce que mes derniers échanges avec vos collègues de l'Assemblée nationale remontent à un an, mais aussi parce que beaucoup d'évolutions sont intervenues depuis.

Avant de commencer, permettez-moi d'exprimer à nouveau ma solidarité avec les pêcheurs français. Je sais qu'en 2020, en plus de la crise sanitaire, ils ont vu leurs ventes chuter de 12 % en valeur par rapport à 2019, du fait d'une plus faible demande et de la fermeture de certaines criées, phénomènes que nous avons aussi constatés dans d'autres pays européens. À ce titre, j'aimerais saluer l'action des associations de producteurs français, qui ont contribué à limiter les répercussions de cette crise d'une ampleur extrême. En plus des aides existantes, leur rôle dans la gestion collective du secteur sera plus crucial encore au cours de la période qui succédera à la crise de la covid-19, lors de la prochaine programmation financière 2021-2027.

Je débuterai mon intervention en abordant la question de l'Atlantique nord-est, zone dans laquelle sont déterminés chaque année, pour cent cinquante espèces de poissons, des Totaux Admissibles des Captures (TAC). Depuis le Brexit, la très grande majorité des stocks doivent faire l'objet d'une gestion partagée avec le Royaume-Uni. L'Union européenne ne fixera seule des limites à la pêche que pour 25 espèces.

D'une façon générale, la situation apparaît très différente de celle que nous connaissions par le passé, puisque le Royaume-Uni agit à présent en tant qu'État côtier indépendant. Désormais interviendront chaque année des négociations trilatérales entre l'Union européenne, la Norvège et le Royaume-Uni pour de nombreux stocks de poissons. Si les défis à relever demeurent encore nombreux, retenons que les trois parties se sont mises d'accord, le 16 mars 2021, sur un ensemble de TAC et quotas représentant plus de 636 000 tonnes de poissons. Parallèlement, l'Union européenne et la Norvège sont convenues du niveau des pêches pour les espèces partagées en mer du Nord.

Depuis le mois de janvier 2021, pour ce qui concerne les stocks en gestion partagée avec le Royaume-Uni, plusieurs cycles de négociations ont eu lieu et ces dernières se poursuivent. Des progrès notables ont été enregistrés, mais je ne vous cacherai pas non plus que nous avons également traversé des moments difficiles. Malgré tout, je crois que des deux côtés, existe une volonté de parvenir prochainement à un compromis sur les sujets restant en discussion. La position de l'Union européenne, fondée sur l'objectif de la PCP tendant à rechercher le niveau de rendement maximum durable pour la pêche, est très forte.

Quelles sont les principaux points sur lesquels les négociations se poursuivent ? Le principal sujet est celui des stocks de poissons à gestion partagée, pour plusieurs espèces importantes. Nous sommes tombés d'accord sur environ 70 % des TAC à mettre en place, mais les seuils à fixer pour un certain nombre d'espèces importantes et dans certaines zones géographiques demeurent problématiques. C'est le cas notamment en mer Celtique et dans la Manche, où le Royaume-Uni cherche à fixer des TAC à un niveau plus limité que ne le souhaiterait l'Union européenne.

Une autre difficulté majeure des négociations en cours réside dans les marges de flexibilité nécessaires en ce qui concerne l'accès et les modalités de pêche dans les eaux maritimes. Cette difficulté reflète l'évolution des pratiques professionnelles intervenue au cours des dernières années. Il faut en tenir compte, car elle a des répercussions sur le quotidien de nos pêcheurs. Il nous est ainsi apparu très clairement, au cours des négociations, que Royaume-Uni entend saisir toutes les opportunités pour prendre de la distance par rapport à la Politique commune de la pêche. Au surplus, le débat politique en Ecosse tend à influer sur la position du gouvernement britannique.

Il apparaît difficile de prédire comment les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne vont évoluer au cours des prochaines années. Cependant, l'Accord de commerce et de coopération conclu entre les deux parties comporte des obligations fortes, de nature à favoriser la coopération sur un large éventail de sujets. Jusqu'en 2026, nous bénéficierons de la période de transition prévue par cet accord : nous entendons nous appuyer sur ces dispositions pour garantir la pérennité des quotas de pêche au-delà de cette date. Nous voulons également préserver le niveau et les modalités de la réciprocité de l'accès aux eaux territoriales. Voilà, en résumé, où nous en sommes dans les négociations avec le Royaume-Uni !

J'aimerais à présent m'exprimer sur les licences de pêche, désormais nécessaires aux pêcheurs européens et français pour accéder aux eaux britanniques. Depuis la toute fin de l'année 2020, la Commission a travaillé d'arrache-pied, ce qui nous a permis d'obtenir des autorisations dans des délais extrêmement brefs. Pour les autorisations concernant, d'une part, la bande des 6/12 milles et, d'autre part, l'approche de Jersey et Guernesey, nous avons besoin de données historiques. Cela a été extrêmement chronophage et nous a demandé beaucoup de travail, en particulier pour ce qui touche à la pêche autour de Jersey et Guernesey, car les professionnels qui y opèrent traditionnellement sont de petits équipages, dépourvus d'équipement de géolocalisation. S'y ajoutent toutes les questions relatives au transfert des données électroniques : nous avons dû, à plusieurs reprises, appeler le Royaume-Uni à faire preuve de pragmatisme pour pouvoir avancer. Jersey et Guernesey ont étendu jusqu'au 15 juin 2021 la période pendant laquelle un accès dérogatoires à leurs eaux sera possible. S'agissant des plus petits navires, nous avons insisté sur le fait qu'il fallait du temps pour que les pêcheurs français puissent recueillir les données historiques qui conditionnent l'obtention de licences permanentes. Soyez assurés que nous vous soutenons et que nous continuerons à soutenir la France dans ce processus de recueil de données !

Pour atténuer les effets délétères du Brexit, qui s'apparentent à ceux d'un divorce, nous avons proposé la mise en place d'une réserve d'ajustement. Cette réserve d'ajustement a été conçue sur la base de données statistiques fiables, incluant une dimension comparative dans le domaine des échanges avec le Royaume-Uni et prenant en compte l'importance de la pêche dans les eaux britanniques. Pour la Commission européenne, il s'agit d'un outil de transition dont l'objectif consiste à permettre aux États membres d'utiliser pleinement les financements européens pour minorer l'impact négatif immédiat du Brexit sur les secteurs d'activité de l'économie. Cette réserve viendra s'ajouter aux interventions prévues dans le cadre des fonds structurels, à commencer par le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). La proposition de la Commission européenne, dont les termes sont en cours de négociation avec le Parlement européen, le Conseil et les États membres, vise à donner aux États membres toute la souplesse nécessaire pour utiliser les outils de relance et de soutien destinés à venir en aide aux secteurs affectés par le Brexit.

J'aimerais maintenant évoquer l'avenir de la pêche européenne qui, comme tous les autres secteurs de notre économie, sera ancré dans le Pacte vert de l'Union européenne oeuvrant en faveur d'une croissance verte et durable, respectueuse de notre environnement : la pêche devra donc s'adapter pour être à la hauteur de ces ambitions. Des efforts ont déjà été entrepris. Ils seront poursuivis pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La France joue ici un rôle essentiel, en contribuant à nous amener collectivement à des niveaux d'exigences plus élevés. Par ailleurs, nous avons établi un plan d'action pour la gestion intégrée des nutriments et nous souhaitons promouvoir une aquaculture plus respectueuse de l'environnement. Dans le cadre du Pacte vert, nous serons également amenés à gérer de façon plus durable les eaux territoriales européennes. J'ai ainsi pris des engagements pour la protection de 30 % de ces eaux.

Avant de conclure, je voudrais formuler une dernière observation portant sur la mer Méditerranée. L'état des stocks de poissons dans cette zone reste très préoccupant et nous avons besoin du soutien de la France. Vous jouez ici aussi un rôle essentiel pour la mise en place de mesures ambitieuses destinées à protéger les ressources halieutiques, lesquelles ne sont pas infinies. Bien sûr, d'autres facteurs, comme les phénomènes de pollution et de changement climatique impactent également nos ressources halieutiques. Mais la surpêche demeure le principal problème empêchant la reconstitution des stocks de poissons. Dès lors, la mise en oeuvre du plan pluriannuel de gestion de la pêche, adopté en 2019 pour la Méditerranée occidentale, apparaît cruciale pour l'avenir. Notre objectif est clair : l'exploitation des ressources halieutiques doit revenir à des niveaux pérennes d'ici à 2025, au plus tard. Une pêche plus durable, cela implique plus de rentabilité pour tout le secteur concerné. Enfin, la protection de la Méditerranée apparaît également absolument capitale au regard de la richesse de la tradition culinaire et de la culture des pays de son pourtour.

Pour conclure mon propos, je serais heureux de revenir sur l'un ou l'autre des points abordés, si vous avez des questions.

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